Des demandeurs d’asile en grève de la faim à Berlin

Durant toute la semaine passée, les médias et les politiciens de tous les principaux partis politiques allemands ont versé des larmes de crocodile sur la mort tragique de centaines de réfugiés au large des côtes italiennes.

En réalité les réfugiés, qui réussissent à franchir les frontières extérieures de l’Europe et à atteindre l’Allemagne, sont confrontés à l’indifférence des partis politiques et à l’hostilité des autorités. Plusieurs dizaines de demandeurs d’asile ont entamé mercredi dernier à Berlin une grève de la faim illimitée pour protester contre la politique d’asile inhumaine pratiquée par l’Allemagne. Ils ont déclaré être prêts à sacrifier leur vie si le gouvernement allemand ne réagissait pas. Initialement, ils avaient commencé leurs protestations par des défilés et des grèves de la faim cet été dans le Land de Bavière.

L’Etat bavarois avait réagi en essayant d’intimider les manifestants par une présence policière massive. Un certain nombre de demandeurs d’asile avaient cherché refuge au siège de la Confédération allemande des syndicats (DGB) à Munich. Les bureaucrates syndicaux leur avaient clairement fait comprend qu’ils n’étaient pas les bienvenus et le dirigeant du DGB bavarois, Matthias Jena, leur avait demandé de quitter les lieux.

Les demandeurs d’asile se sont alors rendus à Berlin. Un campement et une grève de la faim organisés précédemment devant la porte de Brandebourg avaient déjà été démantelés de force par la police. Bon nombre de réfugiés africains qui étaient arrivés en Europe en passant par Lampedusa ont dressé dans le quartier de Kreuzberg à Berlin un nouveau camp composés de tentes et abritant jusqu’à 200 réfugiés. Ils sont considérés comme des clandestins et menacés d’expulsion. Il n’y a ni douche ni cuisine dans le camp et la nourriture est insuffisante.

Le quartier de Kreuzberg est gouverné par un conseil municipal dirigé par le parti des Verts. Le maire Vert de Kreuzberg a déclaré que plus aucun camp ne sera toléré en proposant que les réfugiés soient transférés dans un bâtiment ou dans des casernes situées en banlieue. L’attitude du maire Vert est cynique à l’extrême. La municipalité a dit qu’aucun autre logement n’était disponible alors que la capitale allemande regorge d’immeubles vides nouvellement construits et pouvant être utilisés à cet effet.

Sibtain et Hamed

Des journalistes du WSWS ont parlé à Sibtain N. originaire du Pakistan et à Hamed R. d’Iran. Ils font partie du groupe de 30 immigrants et réfugiés, dont deux femmes, qui ont entamé mercredi une grève de la faim devant le monument historique de la Porte de Brandebourg. Les membres du groupe sont originaires de différents pays, y compris du Pakistan, de l’Afghanistan, du Congo, d’Ethiopie et de Sierra Léone.

Sibtain et Hamed ont raconté leurs expériences avec les autorités allemandes depuis qu’ils sont arrivés en Allemagne il y a environ un an.

Sibtain, 32 ans, a dit être arrivé à Munich par avion du Pakistan il y a un an . Il est victime de persécution politique au Pakistan et il a déposé une demande d’asile politique auprès des autorités allemandes à sa descente d’avion à Munich.

Durant les deux premiers mois passés en Allemagne, Sibtain a d'abord été enfermé dans un camp à Munich aux côtés d’une centaine d’autres réfugiés. En vertu de la loi allemande sur l’immigration, les demandeurs d’asile tels Sibtain n’ont pas le droit de travailler. Ils doivent en permanence rester dans un rayon de 20 kilomètres de leur lieu de détention. Leur seul moyen de survie sont des bons alimentaires ou des colis de vivres qui dictent aux réfugiés ce qu’ils doivent acheter et manger.

Au bout de deux mois à Munich et n’ayant pas de nouvelles de sa demande d’asile, Sibtain a été transféré dans un autre camp situé dans un petit village bavarois où il a été détenu pendant huit mois.

Il a dit, « Il n’y avait rien à faire dans ce village. Il n’y avait pas de supermarché tout proche ce qui signifie qu'il nous fallait parcourir de longues distances pour remettre nos bons. Nous n’avions aucune possibilité de nous instruire ou de nous cultiver. Ceci vaut aussi pour les familles avec des enfants. Rien n’était prévu pour les soins médicaux… nous n’avions pas accès à un médecin. Lorsque j’ai demandé des informations sur ma demande d’asile au bureau allemand, je n’ai reçu aucune réponse. Il est clair que les autorités ne s’intéressent aucunement à nous et à notre sort.

La grève de la faim à Berlin

« Pour protester contre le traitement qui nous est infligé et le refus des autorités de nous donner des informations, j’ai rejoint les autres réfugiés à Munich et nous avons commencé une grève de la faim en juin dernier qui a duré 9 jours. Nous avons aussi organisé des marches de protestation au départ des villes de Würzburg et de Bayreuth vers Munich, une marche d’environ 300 km.

« L’expérience que j’ai faite ici montre clairement que les autorités allemandes se fichent complètement des droits des réfugiés. Le règlement européen (Dublin II) pour les réfugiés, qui crée une barrière pour les immigrants qui tentent d’atteindre le centre de l'Europe, signifie qu’un grand nombre de gens entreprennent de dangereux voyages en mer à destination de pays comme l’Italie ou la Grèce. Ces pays connaissent déjà dans une crise économique. Au lieu de nous accueillir et de nous permettre de travailler, ils veulent nous déporter. Je n’arrive pas à comprendre cela…

« De nombreux réfugiés viennent de pays comme la Syrie, la Libye, l’Iran, l’Afghanistan et de mon propre pays qui sont tous littéralement en proie à une guerre civile due à l’OTAN et à l’agression occidentale. Des pays comme l’Allemagne sont tout à fait prêts à vendre des armes à ces pays mais, lorsque les conséquences en sont la guerre et la persécution, ils ne veulent rien avoir à faire avec les réfugiés. Je vais rester ici et continuer la grève de la faim jusqu’à ce que le gouvernement allemand réagisse. Je suis prêt à sacrifier ma vie s’il le faut pour satisfaire nos revendications… »

Les commentaires de Sibtain concernant le rôle joué par les Etats occidentaux pour fomenter des conflits à l’étranger ont été étayés par Hamed qui participe lui aussi à la grève de la faim et qui avait aussi pris part à la grève de la faim précédente à Munich.

Hamed a 23 ans et a été obligé, après un an passé à l’université, de fuir l’Iran par crainte de répression politique. « Je suis arrivé en Allemagne au début de 2012. Je ne suis pas venu ici pour avoir ‘une vie meilleure’, je suis venu parce je craignais pour ma vie en Iran. Comme tous les autres réfugiés ici, je ne veux pas dépendre de subsides. Je veux travailler et gagner ma vie. Il y a des gens ici, certains plus instruits, d’autres moins, qui peuvent tous apporter une contribution à la société allemande mais tout ce qu'on obtient des autorités allemandes c’est de l’indifférence. On nous ignore.

« L’Occident et l’Amérique sont prêts à vendre des armes aux régimes répressifs mais refusent ensuite d’assumer toute responsabilité pour les conséquences. Tout le monde sait que la police iranienne est équipée avec des armes allemandes – les sprays au poivre, les armes, les véhicules de police portent tous des noms de marques allemandes.

« Je connais des collègues étudiants qui ont tous été victimes de persécution de l’Etat iranien qui les a espionnés grâce à du matériel de surveillance venu de firmes allemandes comme Siemens.

« D’une certaine manière l’Allemagne est pour quelque chose dans le fait que j'ai été forcé de quitter mon pays mais maintenant que je suis ici ils ne veulent rien avoir à faire avec moi. »

(Article original paru le 16 octobre 2013)

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