Allemagne : comment le parti La Gauche offre une tribune aux néonazis

Durant plusieurs jours, les médias allemands ont été remplis d’articles montrant, en bonne place, des néofascistes faisant de l'agitation contre un centre de réfugiés à Marzahn-Hellersdorf un quartier périphérique de Berlin. 

Lundi 19 août, la première chaîne publique de télévision diffusa aux informations de huit heures une interview avec un homme au crane rasé qui s’en prenait à grand bruit à des plans destinés à donner un logement à des réfugiés originaires de Syrie et d'Afghanistan dans une ancienne école de Hellersdorf. Le jour suivant, le même homme était interviewé à nouveau aux nouvelles du soir par la deuxième chaîne de télévision publique, tenant les mêmes propos. 

Cet homme était censé représenter les ‘habitants’ du quartier en question, alors que le nombre de personnes, bien plus nombreuses elles, qui manifestaient contre les néonazis et défendaient les réfugiés, étaient décrites comme venant toutes « de l'extérieur ». Comment on en était arrivé à ce jugement n'était pas expliqué aux téléspectateurs. Les informations cherchaient à donner l'impression que Hellersdorf, un quartier habité principalement par des familles ouvrières, était dominé par une populace d'extrême droite. 

En fait il n'y a aucune évidence d’un racisme largement répandu à Hellersdorf. Lorsque le PSG (Parti de l'égalité socialiste) y a collecté des signatures lui permettant de se présenter aux élections législatives, il y a quelques semaines de cela, il y a obtenu plus de soutien que partout ailleurs. 

Les manifestations anti-réfugiés n'ont pas été organisées par des habitants de ce quartier mais par des organisations d'extrême droite comme le NPD (Parti national démocratique) et le mouvement Pro Allemagne qui ont même déclaré officiellement leurs protestations xénophobes auprès des autorités. Malgré le fait qu'ils soient organisés au niveau national, ces partis furent incapables de rassembler plus de quelques dizaines de gens. Il y avait 10 à 20 fois plus de gens manifestant contre les protestataires d'extrême droite. 

Les conflits dont Hellersdof est la scène ne sont pas le résultat d'une xénophobie régnant chez les habitants de ce quartier mais celui des manœuvres politiques du parti Die Linke (La Gauche) dont les actes ont constitué une véritable invitation pour les partis d'extrême droite à venir dans cette banlieue de Berlin. A présent, Die Linke se sert de ces rassemblements racistes pour détourner l'attention des problèmes sociaux brûlants au cours de la ‘phase chaude’ de la campagne électorale, et serre les rangs avec tous les autres partis bourgeois au nom de l'anti- fascisme. 

Le Sénat de Berlin avait pris, à court terme et loin de l’attention publique, la décision de loger jusqu'à 400 réfugiés dans des conditions exiguës dans les locaux de l'ancien lycée Max Reinhardt. L’administration du district de Marzahn-Hellersdorf avait invité les locataires à un meeting d'information public le 9 juillet, c'est-à-dire moins d'un mois avant la date prévue d’ouverture.

Le maire du district, Stefan Komoß du SPD et la conseillère municipale responsable des affaires sociales, Dagmar Pohle (Die Linke), ont envoyé une lettre annonçant le meeting, formulée de telle manière que tout raciste devait y détecter une invitation. La lettre exprimait le désir « de discuter avec vous de toute inquiétude, réserves, préoccupations et peurs concernant la situation dans le quartier. » 

Le site Internet du parti La Gauche de Marzahn-Hellersdorf, était plus explicite encore et déclarait: « Le meeting des habitants du quartier est une bonne occasion de s'informer abondamment et d'exprimer vos préoccupations. » Le texte disait encore: « On ne doit pas permettre cependant que cela soit utilisé comme une tribune par des organisations d’extrême droite qui abuseraient ainsi des inquiétudes et des peurs des habitants du district. » 

Les éléments droitiers ont répondu aux signaux. Près de 70 néo-fascistes de toute l'Allemagne se sont présentés au meeting et ont intimidé l'auditoire et y étaler leur propagande xénophobe. Die Linke avait atteint son objectif. Les médias ont localisé la source du racisme chez les habitants du quartier et La Gauche fut en mesure d'organiser une alliance avec tous les partis bourgeois dans une prétendue lutte contre ce racisme. 

Le parti a écrit deux résolutions qui ont soutenu « sans limitations » la décision du Sénat de Berlin d'installer un camp de réfugiés dans une ancienne école. En plus de Die Linke, ces résolutions furent soutenues par le parti social-démocrate SPD, les Verts, le parti chrétien- démocrate CDU, le parti libéral FDP et le parti Les Pirates. 

Cette alliance droitière put ensuite se poser en défenseur des « principes démocratiques » et appela au « respect de la dignité humaine » et à s'opposer aux « attitudes racistes et inhumaines ». En d'autres mots, Die Linke a permis aux partis précisément responsables de l'abolition du droit d'asile en Allemagne ayant conduit à la mort de milliers de réfugiés, de prendre la pose de champions des Droits de l'homme et de la démocratie! Cela démontre en soi que Die Linke s'est établie fermement dans le camp de la politique bourgeoise de droite. 

Il serait naïf de considérer cette manœuvre simplement comme une tentative mal venue de faire de l'anti-fascisme. Dagmar Pohle, une des signataires de la lettre du 9 juillet est une politicienne habile qui possède une longue histoire. Née en 1953 en Allemagne de l'est, elle a fait des études de philosophie à Leipzig au milieu des années 1970 et rejoint le parti dirigeant stalinien est allemand SED en 1975. Elle a reconnu qu'elle avait travaillé comme ‘collaboratrice officieuse’ pour la police secrète est-allemande, la Stasi. 

Suite à la réunification allemande en 1990, Pohle a poursuivi sa carrière politique dans le parti néostalinien PDS et le parti La Gauche. Depuis 2012, elle est conseillère pour les affaires sociales à Marzahn-Hellersdorf et fut maire de district de 2006 à 2011. Durant cette période, elle a joué en même temps un rôle clé dans l'imposition de coupes massives exigées par le Sénat SPD-PDS de Berlin, des mesures qui comprennent la fermeture d'écoles, d'équipements récréatifs et culturels et le licenciement de milliers de travailleurs du secteur public. 

Pohle est aussi présidente d'un groupe d'anciens staliniens qui a une longue existence et est connu sous le nom de Forum politique local de Berlin. De nombreux membres dirigeants de ce forum ont une biographie similaire à celle de Pohle et certains ont même étudié avec elle à Leipzig. On se connaît bien et on se demande son avis. 

Le district de Marzahn-Hellersdorf est un bastion du PDS et de La Gauche. C'est une des circonscriptions peu nombreuses où la Gauche a obtenu un représentant direct au parlement fédéral. La députée du quartier, Petra Pau, est également une des vice-présidentes du parlement allemand. 

Lors de l'élection à l'Assemblée des élus du district de Hellersdorf en 2001, le PDS, le précurseur de La Gauche, avait obtenu 51 pour cent des voix. A la suite de dix années de coupes sociales, le nombre de voix obtenu par La Gauche est tombé à juste 31 pour cent. Le parti a répondu à ce déclin en serrant les rangs avec les autres partis bourgeois et en démontrant sa disposition à réprimer de futurs conflits sociaux. C'est là le contexte de ses manœuvres politiques autour de l’hébergement des réfugiés à Hellersdorf. 

Une véritable lutte contre le fascisme et la xénophobie est inséparablement liée à une lutte contre le capitalisme, contre l'inégalité sociale, l'oppression et la guerre. Elle exige l'unité internationale de la classe ouvrière sur la base d'un programme socialiste. C'est la perspective du Parti de l'égalité socialiste, la section allemande de la Quatrième internationale. Le parti La Gauche, qui est issu de la tradition stalinienne s'oppose avec véhémence à une telle perspective.

(Article original publié le 23 août 2013)

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