Perspectives

L'histoire de deux villes

Les attentats à la bombe à Boston le 15 avril continuent de dominer les médias américains. Les deux explosions près de la ligne d’arrivée du marathon annuel de la ville ont tué trois personnes et blessé plus de 170 autres, dont un grand nombre gravement.

Mais, une explosion bien plus mortelle et destructrice, celle survenue le 17 avril dans l’usine d’engrais West Fertilizer Company de la ville rurale de West au Texas, a quasiment disparu des journaux. Cet événement, selon toute apparence un accident du travail, auquel on pouvait s’attendre, a tué 14 personnes et en a blessé 200, dont certains grièvement. Il a littéralement détruit un quartier résidentiel dans un rayon de cinq blocs contigus à l’usine, abattant plus de 50 maisons, en détruisant un immeuble d’appartements et en endommageant gravement un collège et une maison de repos.

Le prétexte qui a servi à imposer un état de siège de fait dans la région métropolitaine de Boston – le verrouillage militaire et policier sans précédent d’une ville américaine – a été la soi-disant nécessité de protéger la population. Mais, au lieu de remettre en question la mobilisation de milliers de soldats et de policiers ainsi que le déploiement de véhicules blindés et d’hélicoptères Backhawk – le tout pour traquer un jeune de 19 ans – les média ont fait, et continuent de faire, tout ce qu’ils peuvent pour attiser les peurs et glorifier un exercice effectué selon les règles d’un Etat policier.

Des présentateurs de télévision et des commentateurs haletants ont applaudi les perquisitions illégales et pratiquées sans mandat, une maison après l'autre, et salué le meurtre d’un suspect et la capture de l’autre, en exigeant que les coupables soient poursuivis et répondent de leur crime. Des politiciens, à commencer par le président Obama, s’y sont associés et Obama a publié depuis la Maison Blanche tard dans la soirée un communiqué pour s’attribuer le mérite pour le rôle joué dans la capture du présumé poseur de bombe Dzhokhar Tsarnaev.

Mais, on ne trouve pas pareille préoccupation pour traduire en justice ceux qui sont responsables de l’explosion qui a ravagé West au Texas. Cette tragédie est déjà traitée comme n’importe quel vulgaire accident du travail dans un pays où près de 4millions de travailleurs sont blessés au travail tous les ans et où plus de 4.600 sont morts en 2011 des séquelles de leur accident du travail.

La Maison Blanche a annoncé mardi qu’Obama prendra la parole lors d'un service œcuménique qui aura lieu jeudi à l’université Baylor dans la ville voisine de Waco, Texas, pour rendre hommage aux victimes de l’explosion survenue à l’usine d’engrais. Le moment choisi est commode, vu que le président devait déjà se rendre à Dallas pour lever des fonds mercredi soir et participer jeudi à l'inauguration de la bibliothèque George W. Bush à Dallas.

L’indifférence des médias et des politiciens face à la mort et à la mutilation de travailleurs par des entreprises qui ignorent les règlements en matière de sécurité et de santé, et des agences gouvernementales qui manquent à la fois de ressources et de volonté pour les appliquer, souligne la fraude de leur supposée préoccupation pour la sécurité des gens de Boston.

Le jour même où Obama fera une apparition à Baylor pour verser des larmes de crocodile pour les victimes de l'explosion de l'usine de West au Texas, il rendra hommage à un homme, son prédécesseur à la Maison Blanche, qui a démoli les agences fédérales de sécurité et de santé et qui a instauré une politique d’« auto surveillance volontaire », c’est-à-dire une invitation ouverte aux propriétaires à ignorer les règlementations, quel qu'en soit le coût en vies humaines de leurs salariés.

Obama lui-même a poursuivi la politique bipartisane menée des décennies durant pour saper l’application des règles de santé et de sécurité dans l’intérêt de la recherche du profit des entreprises. Son nouveau budget prévoit une réduction des programmes d’aide à la conformité appliqués par l’administration américaine de la sécurité et de la santé au travail (Occupational Safety and Health Administration, OSHA). Encore plus écrasant est probablement le fait que le budget de l’agence est réduit de 8 pour cent suite aux coupes du séquestre qui ont été promulguées loi en mars par Obama.

OSHA et les autres agences fédérales, comme le Chemical Safety Board, manquent désespérément de personnel. L’OSHA et les agences de l’Etat, ne disposent que de 2.200 inspecteurs pour veiller à l’application des règles de sécurité pour 130 millions de travailleurs américains. En 1977, OSHA comptait 37 inspecteurs par million de travailleurs. De nos jours, elle n’en a que 22, soit une réduction de plus de 40 pour cent. En conséquence, l’OSHA a pratiquement mis fin aux inspections régulières des lieux de travail.

Des bombes à retardement potentielles comme l’usine d’engrais West Fertilizer manquent régulièrement aux règles de sécurité. Soit elles ne sont soit pas inspectées soit elles sont occasionnellement réprimandées et se voient infliger des peines d’amendes symboliques. Les vastes installations de stockage et de ventes d’engrais contiennent 540.000 livres de nitrate d’ammonium explosif, le matériel utilisé par Timothy McVeigh pour faire sauter en 1995 le bâtiment fédéral d'Oklahoma. C’est 1.350 fois la quantité qui est supposée déclencher le système de surveillance du ministère de la sécurité intérieure. L’usine entrepose aussi 110.000 livres d’hydroxyde d’ammonium volatil.

Au cours de la dernière décennie, l’usine s’est vue imposer des amendes pour infractions en matière de sécurité et pour opérer sans permis. Elle ne dispose d’aucun système d’arrêt automatique, ni de pare-feu et ni de plans de gestion des urgences. La dernière fois qu’OSHA a inspecté l’usine c’était en 1985 et l’agence avait découvert de « graves violations » et avait infligé une amende de 30 dollars aux propriétaires.

Selon l’Institut des engrais, une association commerciale, il existe quelque 6.000 points de vente d’engrais sur le plan national.

Il y a des raisons économiques et politiques à l’énorme différence qui existe entre l’attitude adoptée par l’Etat et les médias à l’égard des événements de Boston et des événements survenus à West au Texas. Economiquement, l’Etat s’engage à protéger la propriété privée et le contrôle de l’industrie en s’opposant à toute mesure portant atteinte au « droit » des propriétaires à imposer les conditions de travail et à maximiser les profits.

Politiquement, la classe dirigeante est en train de poursuivre, à Boston, un programme qui consiste à semer la crainte et l’angoisse de façon à désorienter l’opinion publique, à détourner l’attention de son attaque contre le niveau de vie de la classe ouvrière et à justifier sa politique de militarisme et de guerre qui est appliquée sous le couvert de la « guerre contre le terrorisme. »

La classe dirigeante est hantée par la crainte d’un mécontentement grandissant et de l’état de précarité des marchés financiers mondiaux qui pourrait provoquer un autre krach financier et une éruption de luttes sociales de masse. C’est en préparation à de tels événements qu’elle planifie l’instauration de formes dictatoriales de régime, du type de celles qui ont été testées la semaine passée à Boston.

(Article original paru le 23 avril 2013)

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