Affaire Cahuzac: L’Humanité défend le gouvernement français

Dans son éditorial du 3 avril, le quotidien stalinien L'Humanité a tenté de se servir des aveux faits la veille par l'ex-ministre du Budget français Jérôme Cahuzac, qui reconnaissait détenir un compte non déclaré en Suisse puis à Singapour depuis 20 ans, pour se lancer dans une défense du Parti socialiste (PS) au gouvernement et de la république bourgeoise dans son ensemble. 

L'éditorialiste Patrick Apel-Muller note d’abord ce que tous les autres journaux n'ont pu que relever, après avoir pour la plupart dénigré les informations sous-tendant l'affaire, c’est-à-dire la contradiction entre la réalité de la fraude et les prétentions de Cahuzac. Ce dernier se présentait comme un partisan intraitable de l'austérité, mais luttant aussi fermement contre la fraude fiscale et, selon lui, pour « l’égalité des chances, » et la « justice qui suppose des efforts équitablement répartis. » 

Ayant fait son office de moralisateur, Appel-Muller peut passer à ce qui le motive réellement : défendre le rôle du PS et la République dans cette affaire. Le cœur de l'article est l'idée, affirmée deux fois, que la faute de Cahuzac est « personnelle ». 

Il tente de tempérer cette affirmation par une dénonciation très générale de « l'argent » dans lequel baigne le milieu politique. Ceci ne lui sert qu'à camoufler son acceptation sans discussion des déclarations selon lesquelles Cahuzac aurait menti à ses collègues du gouvernement et au président François Hollande pendant quatre mois, et que ceux-ci l'auraient cru de bonne foi. 

Si L’Humanité et le Parti communiste français (PCF) stalinien insistent que l’affaire Cahuzac est « personnelle », c’est avant tout parce qu’ils veulent étouffer le caractère de classe de la politique d’austérité menée par le PS. En fait, la fraude fiscale menée par Cahuzac n’est que le reflet dans les finances privées d’un ministre de l’orientation anti-ouvrière de l’ensemble du gouvernement PS. Le PCF est profondément impliqué dans cette politique. 

Le PCF a participé à des gouvernements PS depuis les années 1980 et joue toujours un rôle déterminant dans la Confédération Générale du Travail (CGT), qui négocie les attaques sociales avec Hollande. 

Ainsi Apel-Muller convoque cyniquement comme autorité morale l'ex-président PS de 1981 à 1995, François Mitterrand, pour une citation sur « l'argent qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes. ». Cet usage du dirigeant historique du PS, un des hommes politiques français parmi les plus couverts de scandales, pour sermonner le PS actuel est absolument fantastique. 

Mitterrand, proche du mouvement violent d'extrême-droite de la Cagoule dans les années 1930 puis fonctionnaire sous Vichy, a prétendu à la Libération avoir fait partie d'un mouvement de résistance. 

Le mouvement rassemblé autour de De Gaulle dans le Conseil national de la Résistance (CNR) comprenait des représentants de tous les courants voulant sauver l'état bourgeois, des monarchistes aux staliniens. Pourtant il a fallu des décrets pris sous sa propre présidence en 1986 et 1992 pour que le mouvement de Mitterrand soit officiellement classé parmi les mouvements de résistance. 

Au pouvoir, Mitterrand a effectué le « tournant de la rigueur » en 1983, qu’ont suivi l’attentat contre le navire de Greenpeace, le Rainbow-Warrior, en 1985, et l’implication de la France dans le génocide rwandais en 1994. 

Le PS actuel est la créature de Mitterrand, qui l'a fondé en 1971 pour servir ses ambitions présidentielles assises sur l'idée d'une alliance avec le PCF, alors le plus grand parti de France, dans laquelle celui-ci apportait des électeurs et le PS un personnel politique capable de mener une offensive directement contre la classe ouvrière. Cahuzac n'a pas simplement été encouragé à frauder par le milieu du PS actuel, il représente une évolution logique de ce parti. 

Apel-Muller enchaîne sur la menace d'une « marée brune », ayant insisté sur l'aspect "personnel" de la faute de Cahuzac. Ceci vise simplement à assimiler à des fascistes tous ceux qui seraient tentés de tirer des conclusions plus larges de l’affaire et de rechercher une opposition depuis la gauche et le point de vue de la classe ouvrière aux politiques du PS et du PCF. 

À cet égard, les révélations selon lesquelles le compte en Suisse de Cahuzac aurait été ouvert par un ami ex-membre de l'organisation étudiante fasciste GUD et aujourd'hui proche collaborateur de la présidente du FN Marine Le Pen indiquent une constance dans les liens entre PS et extrême-droite que L'Humanité se garde bien d'étudier. Le fait que Mitterrand a sciemment poussé le FN sur le devant de la scène dans les années 1980 pour diviser la droite est pourtant largement reconnu. 

Apel-Muller conclut ainsi en établissant une fausse opposition entre la dénonciation, qu'il garde très vague, de la politique actuelle du PS « impitoyable pour les pauvres » et la dénonciation de la corruption, seule la première présentant un intérêt à ses yeux. Il construit là-dessus l'idée qu'il faudrait « raviver les couleurs de la République, […] prendre pour guide l’intérêt général. » C'est-à-dire qu'il recommande aux pauvres victimes des hypocrites de la trempe de Cahuzac de faire cause commune avec leurs bourreaux au sein d'une république idéalisée. 

La réalité de la République française est que la corruption va de pair avec un programme politique taillé sur mesure pour la grande bourgeoisie. 

En fait, L'Humanité, comme beaucoup d'autres journaux, avait attaqué dès le début l'enquête de Médiapart, titrant dès le 7 décembre, soit tout juste 3 jours après les premières révélations du site Web, que l'affaire « se dégonfle ». 

Tant pour les couches sociales représentées par ce journal, la bureaucratie de la CGT notamment, que pour les couches bourgeoises les plus élevées, il était essentiel de protéger à tout prix Cahuzac et le gouvernement PS. Leur ardeur à appliquer le programme de rigueur de l'UE constituait la meilleure garantie vis-à-vis des marchés financiers internationaux.

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