La "gauche" petite-bourgeoise fait la promotion de la guerre de la CIA en Syrie

La « gauche » petite-bourgeoise a réagi à la publication de rapports détaillés sur le rôle de la CIA et son soutien aux forces islamistes dans la guerre par procuration menée par les États-Unis en Syrie en intensifiant son soutien à cette guerre. Des partis comme l'International Socialist Organisation (ISO) aux États-Unis et le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) en France fonctionnent comme les propagandistes conscients d’une opération néo-coloniale de la CIA.

L'article de l'ISO du 9 avril par Yusef Khalil, intitulé « Pourquoi la gauche doit soutenir la Révolution syrienne » – qui cite Gayath Naïssé, l'un des principaux auteurs du NPA sur la Syrie – commence par diffamer les opposants à la guerre menée par la CIA dans ce pays, les traitant de partisans du président Syrien Bashar el-Assad. 

Khalil commence, « "Les envois aériens aux rebelles en Syrie s'étendent avec le soutien de la CIA", s'écriait un titre du New York Times à la fin mars. "Intervention étrangère ! ", s'écriaient en retour les partisans du dictateur Syrien Bashar el-Assad. » Il continue, « Certains parmi la gauche américaine et internationale continuent à s'accrocher à l'idée que le régime qui dirige cette violence et cette répression est progressiste – et que le soulèvement contre lui a été agencé par les gouvernements occidentaux. » 

L’affirmation de Khalil, qui se moque de l'idée que l'impérialisme occidental serait derrière la guerre en Syrie, est en contradiction flagrante avec le fait largement reconnu que la CIA et ses alliés dans la région arment l'opposition pour déstabiliser la Syrie et faire tomber Assad. L'implication que toute opposition à cette guerre des États-Unis viendrait de « partisans du dictateur syrien Bashar el-Assad » relève de la diffamation et du mensonge politique. Elle vise à empêcher une lutte pour mobiliser la classe ouvrière qui pourrait lutter à la fois contre le régime d'Assad et, surtout, contre l'intervention en Syrie des sections les plus agressives de l'impérialisme américain. 

En excluant une telle lutte, Khalil soutient une opération sanglante de la CIA et, derrière cela, la politique moyen-orientale de l'impérialisme américain, dont la guerre en Syrie a eu des conséquences dévastatrices pour le peuple syrien. 

L'Arabie saoudite, la Jordanie, le Qatar, et la Turquie ont aidé à l’achat et au transport vers la Syrie d’une « cataracte d'armements » coordonnée par la CIA ; ce sont là les mots de l'un des responsables américains sympathisant avec l'opposition syrienne et qui est cité dans l'article de mars du Times. Ce journal estime « de manière prudente » la quantité de munitions envoyées en Syrie à 3500 tonnes. Dans les combats qui ont suivi, 70 000 syriens sont morts, et près de 5 millions ont été contraints de quitter leur foyer. 

Les experts de la politique étrangère américaine ont déclaré que les troupes de choc de Washington sont le Front al-Nusra, lié à Al-Quaïda, qui reçoit toujours un soutien, apparemment sans difficulté, de la part de la CIA – alors même que Washington a déclaré fin décembre qu'al-Nusra était une organisation terroriste. (Lire également : Le représentant de Washington en Syrie : Al-Qaïda). 

La déclaration de l'ISO montre clairement qu'elle soutient la décision des milices anti-Assad d'accepter les armes de la CIA. Khalil écrit, « la question vitale pour l'opposition syrienne est comment recevoir de l'aide de la part des sources qui peuvent lui fournir ce dont a besoin la révolution, c'est-à-dire des armes, tout en maintenant une prise de décision syrienne indépendante. C'est une question à laquelle il est difficile de répondre, mais pas impossible. » 

La prétention de Khalil qu'il serait possible de maintenir « une prise de décision syrienne indépendante » tout en recevant des armes de la part de la CIA est une fiction absurde, concoctée pour dissimuler le fait que l'ISO soutient une guerre coordonnée et organisée par Washington. 

Comme l'ont clairement dit les responsables américains interrogés par le Times, les envois d'armes sont surveillés de près par la CIA. Le Times écrit, « les officiers des renseignements américains ont aidé les gouvernements arabes à acheter des armes, y compris une importante cargaison venant de Croatie, et ont passé au crible les commandants et les groupes rebelles pour déterminer qui devait recevoir les armes au fur et à mesure qu’elles arrivaient, selon les dires de responsables américains s'exprimant sous le couvert de l'anonymat. »

Le journal ajoute que l'ex-directeur de la CIA David Petraeus a « joué un rôle essentiel pour aider à mettre en marche ce réseau aérien et a consulté divers pays pour y collaborer avec eux. »

Le soutien ouvertement accordé par l'ISO et la "gauche" petite-bourgeoise européenne aux guerres menées par la CIA représente un point culminant dans leur évolution en tant que partis pro-impérialistes bourgeois, opérant à la périphérie du Parti démocrate aux États-Unis ou des partis sociaux-démocrates en Europe.

Frappés par la crise économique mondiale qui a éclaté avec le crash de Wall Street en 2008, ils ont soutenu la classe dirigeante dans chaque pays quand elle tentait d'imposer le fardeau de la crise à la classe ouvrière. Pendant qu'ils applaudissaient les trahisons par les syndicats des luttes des travailleurs contre l'austérité à l'intérieur, leur rôle en politique étrangère a été encore plus ouvertement aligné sur la politique impérialiste. 

Après l'éclatement de luttes révolutionnaires dans les classes ouvrières égyptienne et tunisienne en 2011, ils ont soutenu les interventions, menées sous le leadership des Etats-Unis, pour faire tomber des régimes que Washington considérait être des obstacles à ses intérêts – d'abord la guerre de 2011 en Libye puis celle menée en Syrie. Ils l'ont fait en affirmant de manière mensongère que les forces qui menaient ces guerres étaient révolutionnaires. 

Les tentatives de Khalil de déguiser les positions pro-impérialistes de l'ISO avec un peu de rhétorique "de gauche", son affirmation qu'accepter l'aide de la CIA est une nécessité révolutionnaire, le pousse à d'absurdes falsifications. 

Il écrit, « les révolutionnaires syriens – réagissant à la répression brutale de la dictature – devaient développer une résistance populaire armée pour se défendre et vaincre les forces du régime. De grandes parties du pays, dont des bases militaires et des aéroports importants, ne sont plus aux mains du gouvernement, mais elles restent soumises à un bombardement intense. Néanmoins, dans beaucoup de ces régions, les Syriens expérimentent localement avec la démocratie directe, maintenant que le régime a perdu le contrôle. » 

La fantaisie de l'ISO sur le fait que les Syriens seraient maintenant en train d'expérimenter avec des formes radicales de démocratie directe sous la botte des milices islamistes sectaires et ultra-droitières armées par la CIA est ridicule. Les travailleurs syriens dans les zones contrôlées par l'opposition sont soit simplement en train d'essayer de survivre pendant que les guérillas islamistes pillent leurs lieux de travail, leurs écoles, leurs foyers, soit manifestent activement contre la brutalité de l'opposition. 

Une série d'entretiens réalisés par le Guardian avec les forces des milices de l'opposition à Alep en décembre dernier montrait le caractère foncier de ces milices islamistes, qui pillent la population pour obtenir de l'argent afin d'acheter des armes à la CIA. Le commandant d'une des milices dit ainsi « je libère une zone, j'ai besoin de ressources et de munitions, donc je commence à piller la propriété du gouvernement. Quand c'est fini, je passe au pillage d'autres types de propriété et je deviens un voleur. » 

Un autre représentant de l'opposition faisait remarquer la mort d'un combattant de l'opposition, Abu Jameel, dans un combat avec d'autres milices au sujet du partage du butin suite à la prise d'un entrepôt d'acier. Il dit, « se faire tuer à cause d'une altercation pour un butin est un désastre pour la révolution. C'est extrêmement triste. Il n'y a pas une seule institution du gouvernement ou un entrepôt encore debout à Alep. Tout a été pillé. Tout est parti. » 

Étant donné le rôle d'Alep comme centre de l'industrie pharmaceutique publique syrienne, les raids de l'opposition sur les usines et les autres installations ont eu un effet dévastateur. Les médicaments essentiels manquent, notamment les médicaments pour traiter le diabète et les antibiotiques. Les avions de l'Etat qui ramenaient des vaccins en Syrie se sont fait tirer dessus, et le chlore pour la purification de l'eau est interdit à l'importation par les puissances impérialistes au prétexte qu'Assad pourrait s'en servir pour créer des armes chimiques – ce qui entraîne une multiplication des infections par l'eau.

Abdul-Jabbar Akidi, un ex-colonel de l'armée syrienne et un membre dirigeant du conseil militaire de l'opposition à Alep, a admis qu'il y a une hostilité populaire profonde envers ses forces à Alep : « Même les gens en ont marre de nous. Nous étions des libérateurs, mais maintenant ils nous dénoncent et manifestent contre nous. » 

L'ISO et le NPA ont maintenu un silence consciencieux sur les manifestations populaires contre les forces d'opposition islamistes, des forces manipulées par la CIA qu'ils ont promues. Ces manifestations sont pourtant une indication qu'une révolution s'appuyant sur la classe ouvrière en Syrie prendrait la forme d'un soulèvement contre les forces d'opposition soutenues par Washington et par l'ISO, ainsi que contre le régime d'Assad.

À la peine pour trouver un côté positif aux forces réactionnaires qu'elle promeut en Syrie, l'ISO écrit : « Il serait faux de réduire la révolution syrienne à la question de la lutte armée et au rôle des puissances impérialistes qui tentent d'influencer et de récupérer cette lutte. Prenons le rôle des femmes dans le soulèvement – quelque chose qui n'est pas apprécié à sa juste valeur dans les grands médias. Les femmes ont été des participantes très actives et des meneuses dès le début […] Comme l'a écrit un groupe de femmes activistes à Alep, "Nous n'attendrons pas que le régime tombe pour être actives." » 

La présentation par l'ISO des intégristes islamistes soutenus par la CIA comme des défenseurs des droits des femmes est absurde et répugnante. Si des forces du genre d'Al-Quaïda devaient conquérir la Syrie avec l'aide des États-Unis et de l'Arabie saoudite, les femmes syriennes – qui vivaient généralement dans des conditions modernes sous le régime laïc d'Assad – seraient contraintes de vivre dans des conditions semblables à celles auxquelles étaient confrontées les femmes sous le régime des Talibans en Afghanistan ou celles existant en Arabie saoudite. Là-bas, les femmes sont considérées comme des mineures au sens légal et se voient refuser des droits fondamentaux, dont la liberté de conduire une voiture. 

En fait, les femmes activistes d'Alep que l'ISO a cyniquement brandies en exemple du caractère prétendument progressiste de l'opposition ne s'en sont pas très bien sorties. « Début mars, le conseil révolutionnaire local d'Alep a été élu et ne comprenait pas une seule femme, malgré la nomination de certaines femmes activistes très connues, » écrit l'ISO, ajoutant avec légèreté : « donc il y a – comme partout dans le monde – des progrès à faire avant que les femmes aient l'égalité en Syrie. » 

Les tentatives de l'ISO de se distancer quelque peu de la politique moyen-orientale de Washington sont de la même manière emplies de malhonnêteté et de cynisme. Khalil écrit, « comme toutes les autres puissances régionales et internationales, le gouvernement américain intervient en Syrie. Il manœuvre pour influencer – et finalement, pour limiter – la révolution Syrienne […] tout au long du carnage infligé par le régime, les États-Unis ont maintenu des limites très sévères sur le soutien, en particulier le soutien militaire, qu'ils ont apporté. » 

Khalil cite Naïssé du NPA sur les raisons de l'implication américaine en Syrie : « Les grandes puissances impérialistes, menées par les États-Unis, ont toujours soutenu ce qu'elles appellent une "transition ordonnée" en Syrie, ce qui veut dire uniquement des changements superficiels et partiels à la structure du régime. C'est pour des raisons géostratégiques, y compris la protection de l'entité sioniste [c-à-d Israël] et pour empêcher la révolution de réussir et de se répandre dans tout l'orient Arabe, y compris dans les pétro-monarchies réactionnaires. » 

Sans même parler de la fausse contradiction que Khalil établi entre la politique américaine et la guerre menée par la CIA qu'il appelle « la révolution syrienne, » ces passages montrent clairement une chose : les politiques soutenues par l'ISO et le NPA sont en fait entièrement compatibles avec la stratégie de l'impérialisme américain. Cela comprend le maintien des revenus pétroliers du Golf persique sous contrôle de monarques réactionnaires et proaméricains, et de la division de la classe ouvrière du Moyen-Orient entre travailleurs Juifs et Arabes établie par l'existence de l'Etat israélien. 

Bien que ni l'ISO ni le NPA ne le disent, la guerre des États-Unis contre la Syrie vise également à priver l'Iran de son principal allié dans la région, facilitant ainsi les préparatifs américains pour une guerre de grande ampleur contre l'Iran. L'objectif lointain de ces opérations est de s'assurer que Washington maintiendra et étendra son hégémonie sur un Moyen-Orient riche en pétrole et stratégiquement situé. Ce but est entièrement soutenu par les partis petits-bourgeois "de gauche".

Si Washington a des inquiétudes sur les "rebelles" anti-Assad, ce n'est pas qu'ils puissent être révolutionnaires. Il craint plutôt que s'il arme trop fortement ses intermédiaires islamistes en Syrie, ils risquent de livrer ces armes à des factions islamistes dissidentes dans les monarchies instables du Golf, ou qu'ils ne s'en servent pour des attaques terroristes contre Israël et les États-Unis. 

En Syrie même, la guerre déchaînée par l'opposition soutenue par la CIA – qui recrute parmi les couches de la majorité sunnite de Syrie insatisfaites du régime d'Assad dont les dirigeants proviennent eux, de la minorité Alaouite – s'est développée en grande partie suivant des lignes sectaires. Elle renvoie ainsi la société syrienne aux conditions qui existaient sous la domination coloniale française au début du 20e siècle. À cette époque, les troupes françaises et leurs intermédiaires locaux maintenaient le contrôle français sur la Syrie en jouant les Chrétiens, les Druzes, les Sunnites, les Alaouites et d'autres groupes de Syriens les uns contre les autres. 

L'opposition soutenue par les États-Unis est donc réactionnaire au sens classique du terme : elle ramène la société vers un passé plus primitif et oppresseur. 

(Article original paru le 12 avril 2013)

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