Les protestations de masse en Ukraine exigent le départ du président Ianoukovitch

Les manifestants défilant dimanche à Kiev et réclamant l’éviction du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, prenaient part à la plus importante d’une série de protestations pro-Union européenne contre la décision d’Ianoukovitch d’abandonner un accord d’association avec l’UE.

Les partis droitiers qui ont pris la tête des protestations en coordination avec des responsables et des politiciens de l’UE avaient appelé à une « marche du million ». Finalement, entre 250.000 et 300.000 personnes se sont rassemblées sur la place Maïdan (Indépendance). Il s’agissait de la plus importante manifestation ayant eu lieu à Kiev depuis la « révolution de couleur » organisée en 2004 par l’impérialisme américain et européen – la soi-disant Révolution orange qui avait évincé Ianoukovitch, pro-russe, et amené au pouvoir le tandem pro-occidental du président Viktor Iouchtchenko et du premier ministre Julia Tymochenko.

Les manifestants de la place Maïdan ont scandé « Démission ! Démission ! » tout en écoutant les discours prononcés sur la place. Ensuite, certains d’entre eux sont partis pour occuper des bâtiments gouvernementaux à Kiev.

Le rassemblement réactionnaire des orateurs sur la place Maïdan incluait des représentants de différents oligarques milliardaires, des groupes de l’extrême-droite et des patriarches de l’église orthodoxe russe.

Evguenia Tymochenko, la fille de l’ancien premier ministre milliardaire et magnat du gaz naturel, Julia Tymochenko, que Ianoukovitch a fait emprisonner, a lu un message de sa mère appelant au renversement « immédiat » de Ianoukovitch.

Oleg Tyagnibok, un néo nazi du parti nationaliste d’extrême droite Svoboda (Liberté) et qui est tristement célèbre pour ses déclarations antisémites, a accusé le gouvernement de Ianoukovitch d’avoir élaboré des accords commerciaux avec la Russie plutôt qu’avec l’UE. Il a déclaré : « Aujourd’hui, ils s’agenouillent devant le président de la Russie et nous livrent à l’union douanière [russe]… Nous exigeons que soit rendu public le contenu de ces négociations secrètes. Ils nous ramènent au temps du stalinisme. »

Un groupe de manifestants brandissant des drapeaux du parti Svoboda a abattu et détruit une statue de Vladimir Lénine, le codirigeant avec Léon Trotsky de la Révolution d’octobre de 1917 qui avait fondé l’Union soviétique.

La situation demeure explosive, des manifestants bloquent des bâtiments gouvernementaux et redoutent une répression des forces de sécurité. Une lutte factionnelle amère a lieu entre des oligarques tels Tymochenko qui est axée sur l’UE et d’autres, ralliés autour de Ianoukovitch qui cherchent à nouer des liens plus étroits avec Moscou.

Après le rejet la semaine passée par le parlement de la motion de censure contre Ianoukovitch, l’on peut observer des signes de démoralisation au sein de l’opposition.

Le quotidien français, Le Monde a ainsi écrit, « Sur les réseaux sociaux, la marche du million a vite été rebaptisée ‘marche de la dernière chance’... Les chefs qui s’expriment chaque jour à la tribune de la place Maïdan n’appellent plus à la ‘révolution’, comme ils le faisaient en début de semaine, et des négociations ‘de couloir’ ont déjà débuté avec le pouvoir, croyait savoir samedi le journaliste Vitali Portnikov », un journaliste à la Radio Europe libre qui est appuyée par le gouvernement américain.

Les dirigeants des protestations eux-mêmes sont conscients qu’il n’existe, même parmi les couches plus droitières qu’ils ont mobilisées, qu’un soutien limité pour une intégration au libre marché de l’UE. « Les gens ont leur dignité, » a dit au New York Times Svitlana Zalischuk, une organisatrice des protestations. « C’est pourquoi ils sont ici : et pas parce qu’ils sont contre Ianoukovitch, pas parce qu’ils sont pour l’Union européenne, mais parce qu’ils ont une dignité, et ne veulent pas vivre sans dignité. »

Un autre manifestant a ajouté qu’il s’opposait avant tout à la décision du gouvernement de « tabasser les étudiants et les gens innocents. » Il a continué, « La question de l’Europe ne motive personne. Nous espérons que les gens seront entendus et que le gouvernement démissionnera. »

La capacité pour de telles manifestations droitières de progresser et de gagner l’appui de vastes couches de la population qui ne soutiennent pas nécessairement le programme d’austérité sociale de l’UE, reflète la profonde crise de perspective politique à laquelle la classe ouvrière de l’Europe de l’est est confrontée.

L’anticommunisme qui a réussi à dominer la vie politique dans les anciennes républiques soviétiques a fait de ces pays une proie facile à piller pour le capital international et à manipuler pour l’impérialisme occidental et les oligarques ukrainiens et russes. Le profond mécontentement qui existe s’exprime principalement à travers des mouvements qui sont exploités par des forces réactionnaires, voire fascistes et des agences de l’impérialisme. Ces mouvements sont à leur tour utilisés pour faire virer la situation politique encore davantage vers la droite et pour monter de nouvelles attaques sociales contre la population.

L’Ukraine est l’un des pays les plus pauvres de l’Europe et détient le deuxième plus haut taux de mortalité du monde (15,5 pour 1.000, le second après l’Afrique du sud.) La colère sociale est en train de s’amplifier après une crise budgétaire qui a amené le gouvernement Ianoukovitch à supprimer en juin l’assurance chômage à des centaines de milliers de travailleurs.

Les principales banques et marchés financiers ont suspendu les prêts à l’Ukraine qui en mars devrait avoir besoin de 18 milliards de dollars de financement d’urgence. L’Etat ne dispose actuellement que d’un financement suffisant pour couvrir deux mois d’activité. Il y a une crainte de plus en plus grande d’une éventuelle nouvelle dévaluation de la monnaie nationale, la hryvnia, qui s’était effondrée durant l’hyperinflation au début des années 1990, suite à la dissolution de l’URSS en 1991 et à la restauration capitaliste par la bureaucratie stalinienne.

L’UE collabore avec le Fonds monétaire international (FMI) en exigeant de sévères mesures d’austérité – une augmentation de 40 pour cent des prix du gaz et du chauffage, des coupes dans les budgets publics et le gel des salaires minimums et moyens – en échange d’un prêt de 15 milliards de dollars. Ces coupes visent à intensifier l’exploitation de la classe ouvrière et à rendre l’Ukraine plus rentable pour les entreprises européennes qui veulent s’implanter une fois que l’Ukraine aura établi d’étroites relations avec l’UE.

Les factions oligarchiques pro-UE et pro-russe manoeuvrent toutes deux dans le but de conserver les milliards qu’elles ont pillés en volant les biens publics et grâce à la restauration du capitalisme, et pour faire porter à la classe ouvrière l’ensemble du fardeau de la crise financière. Telle est la raison plus fondamentale pour laquelle le gouvernement Ianoukovitch n’a pas cherché à mobiliser d’autres couches sociales contre les protestations droitières pro-UE.

La rivalité entre ces différentes factions oligarchiques donne libre jeu aux manipulations de l’impérialisme européen qui – alors qu’il pille sauvagement la Grèce, et sur le plan intérieur passe outre à l’opposition des masses populaires à l’austérité – se présente de manière hypocrite en défenseur de la démocratie en Ukraine.

Hier, le magazine allemand Der Spiegel, a rapporté que la chancelière allemande, Angela Merkel, avait décidé de « constituer » le boxeur professionnel ukrainien Vitali Klitschko en tant que « principal oppositionnel et candidat rival du président Viktor Ianoukovitch. » Klitchko doit se rendre à Bruxelles vers le milieu du mois pour rencontrer Merkel et les représentants du parti populaire européen, la fédération des partis droitiers et chrétiens démocrates des pays de l’UE.

Le parti UDAR (‘Coup de poing’) de Klitchko bénéficie d’ores et déjà d’un « soutien logistique » de l’Union chrétienne-démocrate de Merkel et de la Fondation Konrad Adenauer proche du CDU, a rapporté Der Spiegel.

En ce qui concerne Svoboda, il entretient des liens étroits avec le Front national néofasciste français (FN) et collabore au sein de l’Alliance européenne des mouvements nationaux avec Bruno Gollnisch du FN et le parti antisémite Jobbik en Hongrie

(Article original paru le 9 décembre 2013)

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