Soudan du sud : tentative de cessez-le-feu alors que se poursuit le renforcement des troupes

Les luttes intestines que se livre l’élite dirigeante au Soudan du sud pour le pouvoir, le contrôle du pétrole et des richesses minérales de ce pays appauvri risquent de se transformer en une guerre civile ethnique et tribale et de déclencher une crise humanitaire et des implications régionales plus vastes.

Les dirigeants de l’Afrique de l’est qui forment les huit membres de l’Autorité intergouvernementale sur le développement (Igad) ont annoncé hier que le gouvernement du président Salva Kiir avait accepté de « cesser immédiatement les hostilités » et avaient demandé aux forces menées par l’ancien vice-président Riek Machar de faire de même. En guise d’édulcorant, les dirigeants de l’Igad ont dit que Kiir avait aussi accepté de libérer les alliés de Machar accusés de fomenter un coup d’Etat.

La veille, les dirigeants de deux des voisins du Soudan, le premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn et le président kenyan Uhru Kenyatta, tous deux des alliés régionaux des Etats-Unis, avaient signalé leur soutien et celui de Washington à Kirr en disant, « Les dirigeants ont également rappelé que les moyens inconstitutionnels pour destituer un gouvernement démocratiquement élu doivent être condamnés. »

Kiir et Machar, qui sont issus de factions rivales au sein du Mouvement de Libération du Peuple soudanais (SPLM) au pouvoir et de son armée, l’Armée de Libération des Peuples du Soudan (SPLA), s'affairent entretemps à d'abord renforcer leur contrôle militaire sur le terrain.

L’Union européenne est censée dépêcher un envoyé spécial, Alex Rondos, à Juba pour demander une solution négociée. La Chine est un investisseur de premier plan dans l’industrie pétrolière au Soudan du sud et importe près de la moitié de production pétrolière totale du Soudan du sud. Beijing a dit que son envoyé spécial en Afrique se rendrait aussi « bientôt » à Juba.

Dans ce contexte diplomatique, le Conseil de sécurité des Nations unies a accepté d’envoyer dans le pays dans les prochaines 48 heures 5.500 membres supplémentaires de la police et de l’armée ainsi que des hélicoptères d’attaque et des avions de transport pour rejoindre son opération multilatérale forte de 7.500 hommes. Les Etats-Unis ont déjà expédié des forces au Soudan, pour soi-disant garantir une évacuation sûre de leurs citoyens. Ils ont envoyé des Marines à la base américaine sur le camp Lemonnier, qui sert de base au commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) à Djibouti et qui permettrait à brève échéance le déploiement d’une force de réaction rapide vers le Soudan du sud.

Les combats ont débuté la semaine passée au Soudan du sud, suite à ce que Kiir, qui appartient à la tribu Dinka dominante, avait prétendu être une tentative de coup d’Etat de Machar, qui appartient à la tribu Nuer, et l’arrestation de 10 des alliés politiques de Machar.

Alors que les prisons de Kiir regorgent d’adversaires appartenant à tous les groupes ethniques, il cherche à présenter l’opposition contre son régime qui devient de plus en plus corrompu et autoritaire comme une révolte des Nuer, le deuxième plus grand groupe ethnique sur les 200 qui existent au Soudan du sud.

Les rivalités ethniques et tribales sont attisées par la pauvreté et la pénurie de ressources. Le Soudan du sud, l’un des pays les plus pauvres du monde en dépit de son pétrole, de ses minéraux, de son bois et de ses riches terres agricoles, a été dévasté par la longue guerre civile qui a duré des décennies contre son voisin du Soudan du nord.

Lorsque Juba a fait sécession de Khartoum en juillet 2011, moins d’un pour cent de la population avait accès à l’électricité et 15 pour cent disposaient de téléphones mobiles. Mis à part la route qui relie Juba à Khartoum, il n’existait qu’une seule route goudronnée en direction de Nimoula, à la frontière ougandaise. Plus de la moitié de la population est isolée durant la saison des pluies. Le pays dénombre le pire taux de mortalité maternelle du monde, avec 2.954 décès pour 100.000 naissances.

L’indépendance tant louée, négociée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni en vertu de l’Accord de paix global (CPA), a été un moyen de contrer l’influence économique croissante de la Chine dans la région. L’établissement d’un Etat indépendant avec une population d’à peine 9 millions d’habitants était fondé sur la disparité entre les Arabes et les musulmans au nord et les chrétiens et les Africains au sud, des différences sciemment renforcées par la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale du Soudan.

La réalité est qu’une telle homogénéité n’existe pas. Le Soudan se compose de nombreux groupes ethniques, chacun ayant sa propre langue et croyances. L’affirmation qu'il s'agit d'une scission entre chrétiens et musulmans n’est rien de plus qu’une couverture pour la mise en place d’un autre petit Etat dont les dirigeants pourraient être contrôlés, ou du moins c'est ce que Washington espère, pour ses propres intérêts géopolitiques.

Alors que le Soudan du sud disposerait de la plus grande partie du pétrole du pays, le Soudan contrôlerait l’oléoduc qui est le seul moyen d’acheminer le pétrole du sud enclavé et sous-développé vers les marchés internationaux. Le CPA et les pourparlers ultérieurs n'ont pas réussi à définir les frontières des deux pays, notamment dans la province d’Abyei, riche en pétrole. Il y a également des conflits armés qui perdurent au sein des provinces de part et d’autre de la frontière, même là où celle-ci a été définie, et qui sont attisés par Khartoum et Juba.

Au fur et à mesure que la sécheresse s’aggrave, le conflit croissant sur la distribution des eaux du Nil, dont l’Egypte et le Soudan se taillent actuellement la part du lion et ont un droit de veto sur la construction de barrages en amont, crée un nouvel élément de rivalité dans la région.

Dans de telles circonstances, et comme le World Socialist Web Site l’avait prévenu à l’époque dans un article, « La division du Soudan ouvre la voie à de nouveaux conflits » tant au Soudan du sud qu’entre Juba, Khartoum et ses voisins. Ce qui est actuellement décrit dans la presse internationale comme un conflit entre le plus récent Etat du monde fait partie de la balkanisation en cours du Soudan pour le contrôle de son pétrole et de ses richesses minérales.

Loin d’apporter la paix et la prospérité, la division a engendré un autre Etat non viable dirigé par des factions belligérantes et redevables à l’une ou à l’autre des grandes puissances, n’apportant rien d’autre que des souffrances à tous sauf à une infime couche à Juba.

Les relations entre le Soudan du sud et Khartoum avaient frôlé une guerre totale en 2012 au sujet du contrôle de la région frontalière d’Abyei riche en pétrole, menant à l’effondrement de la production pétrolière vers les marchés d’exportations sud-soudanais, durant la fermeture de 16 mois de l’oléoduc qui transite par le Soudan. Le PIB avait chuté de 53 pour cent en 2012.

Le Soudan du sud a connu le vol de bétail, l’enlèvement de femmes et d’enfants et des affrontements ethniques et tribaux et que des factions corrompues et dissidentes du SPLM et de petits groupes ont attisés. Du fait que le pays était inondé d’armes automatiques après la guerre civile, un millier de personnes au moins ont été tuées et 100.000 auraient fui depuis janvier dernier dans la brousse rien que dans l’Etat du Jonglei.

Le pays se trouve dans une situation précaire après que Kiir a limogé en juillet Machar et ses partisans au sein du gouvernement suite à la déclaration de ce dernier de son intention de se présenter à l'élection présidentielle de 2015. Des affrontements armés entre des unités du SPLA et des milices ont eu lieu dans la moitié des dix Etats du pays ainsi que dans au moins 20 villes de l'est où les forces rebelles ont pris le contrôle de certaines des régions productrices de pétrole.

Le contrôle de ces Etats est vital, vu que le pétrole fournit 98 pour cent des recettes du gouvernement. L’ampleur de l’opposition contre Kiir était telle que l’Ouganda voisin a envoyé des troupes à Juba afin de protéger le gouvernement contre les forces de Machar.

Alors que les forces gouvernementales ont repris le contrôle de Bor, dans l’Etat du Jonglei, elles se débattent pour reprendre les villes clé de Malakal, capitale de l’Etat du haut Nil où se trouve le deuxième aéroport international du Soudan, ainsi que Bentiu, la capitale productrice de pétrole de l’Etat d’Unity.

Selon les toutes dernières mises à jour du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, « le véritable nombre de personnes déplacées dépasse probablement de loin » les 100.00. Il ajoute que près de 60.000 personnes avaient cherché refuge dans différentes bases de la force de maintien de la paix de l’ONU dans le pays dont 20.000 environ rien que dans la capitale Juba.

L’ampleur de la violence est telle que les organismes d’aide disent nécessiter 166 millions de dollars pour affronter les répercussions de la violence, dont des installations sanitaires, des soins de santé, des refuges, de la nourriture et de l’eau.

S’il s’avérait impossible de commencer des pourparlers de paix entre les factions rivales, les atrocités commises par les deux camps et la catastrophe humanitaire qui menace la population du Soudan du sud pourraient fournir le prétexte nécessaire pour une intervention de plus, parrainée par les Etats-Unis, dans la poursuite de leurs intérêts géostratégiques.

(Article original paru le 28 décembre 2013)

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