Le Canada adopte une loi menaçant tout manifestant masqué d’une peine d’emprisonnement de dix ans

Un projet de loi donnant des pouvoirs draconiens et arbitraires à l’État canadien pour réprimer les manifestations a été approuvé la semaine dernière par le parlement fédéral dominé par le Parti conservateur.

Le projet de loi C-309 intitulé Loi empêchant les participants à des émeutes ou des attroupements illégaux de dissimuler leur identité fait du geste de porter un masque ou de se couvrir le visage de quelque façon que ce soit, y compris le simple fait d’avoir le visage peint, un crime pour incitation à l’émeute passible d’une peine d’emprisonnement de dix ans.

Quelqu’un simplement présent à une émeute ou à un rassemblement «illégal» avec le visage couvert peut, en vertu de la nouvelle loi, être considéré comme ayant commis un acte criminel et emprisonné pendant cinq ans.

Ces nouvelles infractions s’ajoutent aux infractions déjà prévues au Code criminel de participation à une émeute et de participation à un attroupement illégal. Les personnes reconnues coupables à la première infraction peuvent être emprisonnées pour une période maximale de deux ans, alors que la seconde infraction, qui figure parmi les plus bas niveaux d’infractions pénales appelés «délits mineurs», qui entraîne une peine d’emprisonnement maximale de six mois.

Selon la loi canadienne, la police et les autres autorités ont de très larges pouvoirs pour rendre illégale toute manifestation en la déclarant «attroupement illégal». Le Code criminel définit un «attroupement illégal» tout rassemblement poussant les gens à se conduire, «de manière à faire craindre, pour des motifs raisonnables» les personnes se trouvant dans le voisinage, ou encore provoquant une telle conduite.

Pendant la grève étudiante qui a duré six mois de l’année dernière au Québec, la police a déclaré de nombreuses protestations comme étant des «attroupements illégaux», prétexte utilisé pour disperser violemment la foule avec des gaz lacrymogènes, des charges à la matraque et des arrestations de masse. Réagissant aux gaz lacrymogènes, de nombreux manifestants ont couvert leurs visages avec des mouchoirs. Avec la nouvelle loi en vigueur, ils pourraient être accusés de dissimuler leur identité et être passibles de peines d’emprisonnement punitives allant jusqu’à cinq ans.

Les détracteurs de la nouvelle loi l’ont condamné à juste titre comme une attaque flagrante sur le droit à la liberté d’expression. Les masques et la peinture faciale sont utilisés depuis des siècles pour marquer des points politiques, et il y a de nombreuses raisons, y compris la peur de représailles exercées par un employeur, qui peuvent amener des manifestants à choisir de se cacher le visage. La police, faut-il ajouter, soumet les manifestations politiques à une surveillance généralisée depuis des années, photographiant et filmant systématiquement les manifestants.

En outre, il y a une longue histoire de violences instiguées par la police lors de manifestations – que ce soit par l’utilisation de tactiques de contrôle des foules par provocation ou l’utilisation d’agents provocateurs – afin de justifier la répression. En 2007, des agents de la Sûreté du Québec, le corps de police de cette province, ont été surpris en train d’inciter les manifestants à attaquer la police au sommet trilatéral des chefs d’État des États-Unis, du Canada et du Mexique alors réunis à Montebello. (Voir Agents provocateurs démasqués au sommet de Montebello).

Le projet de loi C-309 est le fruit d’une initiative parlementaire. Il est rare que de tels projets soient adoptés, mais le gouvernement conservateur a choisi d’en faire une priorité législative. À la suite d’un amendement proposé par Robert Goguen, le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice Rob Nicholson, adopté par la suite par le Comité de la justice dominé par les conservateurs, la peine maximale pour le crime d’incitation à l’émeute avec visage couvert de quelque façon que ce soit – est passée de cinq à dix ans.

En plaidant en faveur de la loi, les conservateurs ont dit qu’ils voulaient donner à la police un «outil supplémentaire» pour faire face aux émeutiers.

En fait, les violences les plus graves lors des manifestations politiques, sans parler des attaques les plus graves contre les droits démocratiques, sont l’œuvre des autorités canadiennes. Pendant le sommet du G-20 de 2010 à Toronto, une gigantesque suppression des droits démocratiques encouragée et soutenue par les trois paliers de gouvernement – la police a frappé à coups de pied et matraqué les manifestants ainsi que de nombreux passants, en plus d’utiliser des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Des journalistes qui couvraient ces événements sans précédent ont également été agressés et arrêtés.

Dans ce que l’ombudsman de l’Ontario a décrit comme l’«atteinte la plus massive contre les libertés civiles de l’histoire canadienne», 1 100 personnes ont été arrêtées. Les personnes appréhendées dans ce coup de filet ont été traînées dans des cages de détention primitives, fouillées à nu et se sont vues refuser l’accès à un avocat. Par la suite, les accusations ont été abandonnées contre la grande majorité des personnes arrêtées, et seulement une petite fraction reconnue coupable de quoi que ce soit.

Au Canada, comme partout ailleurs dans le monde, l’élite dirigeante dont la richesse et les revenus ont grimpé à la suite de l’offensive de guerre de classe qu’elle mène contre les conditions de travail, les salaires et les services publics, réagit à l’opposition croissante en criminalisant la dissidence.

Au cours des deux dernières années, le gouvernement conservateur a maintes fois déclaré illégales les grèves et les menaces de grèves imminentes menées par les travailleurs de Postes Canada, d’Air Canada et du Canadien Pacifique. Au moment d’écrire ces lignes, le gouvernement du Parti québécois menace de criminaliser la grève des 175 000 travailleurs de la construction qui dure depuis une semaine au Québec.

En mai 2012, le gouvernement du Québec, alors libéral, a adopté une loi d’urgence qui interdisait effectivement la grève étudiante et imposait des restrictions radicales au droit de grève sur toute question dans la province. Arrivé au pouvoir en septembre suivant, le PQ a fait de l’abrogation de la loi 78 un spectacle pour la galerie, approuvant néanmoins les règlements répressifs adoptés au cours de la grève étudiante à Montréal, Québec, et dans de nombreuses autres municipalités de la province. Ces règlements font qu’il est illégal de manifester sans l’approbation expresse par la police de l’itinéraire de toute manifestation. Dans de nombreux cas, ces règlements rendent également illégal le fait de porter un masque, de se couvrir ou de se peindre le visage lors d’une manifestation, même si la manifestation est légale. La police a déjà utilisé le prétexte de la présence de manifestants masqués lors de manifestations pour déclarer ces dernières comme étant des «attroupements illégaux», rendant ainsi toute personne présente susceptible d’arrestation et d’amende.

À la suite de cette nouvelle loi fédérale, la police de Montréal pourrait invoquer ce règlement municipal contre les manifestations à visage couvert pour déclarer une manifestation illégale et arrêter toute personne ayant le visage dissimulé avec comme motif la participation à un attroupement illégal tout en dissimulant son identité, l’exposant du coup à une peine de prison punitive.

La criminalisation de la dissidence va de pair avec la montée en puissance d’un État secret dans l’État. En vertu d’une série de directives ministérielles, dont l’existence, et à fortiori le contenu, ont été dissimulés aux Canadiens, les gouvernements libéral et conservateur ont autorisé le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC) – un proche partenaire de la National Security Agency des États-Unis – à fouiller dans les métadonnées téléphoniques, informatiques et des autres moyens de communication électroniques des Canadiens depuis au moins 2005.

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[25 juin 2013]

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