La chancelière allemande défend les agences de renseignement occidentales

Dans un long entretien accordé à l’hebdomadaire politique allemand Die Zeit, la chancelière allemande, Angela Merkel, a défendu avec véhémence le travail des agences de renseignement américaines et occidentales et réaffirmé que son gouvernement n’était pas disposé à accorder au lanceur d’alerte, Edward Snowden, l’asile en Allemagne.

Merkel a utilisé l’interview pour blanchir les activités des services secrets et elle a souligné que toute discussion sur les questions de renseignement se tiendrait dans un état d’esprit appréciant le fait que l’Amérique : « a été et est notre alliée le plus fidèle depuis des décennies. »

Ces dernières semaines, les médias allemands et certaines sections des médias internationaux ont cherché à exploiter les divergences existant entre le gouvernement allemand et les Etats-Unis suite à la révélation de l’ampleur des opérations d’espionnage de la NSA, révélée par Snowden. Les données publiées par Snowden ont clairement montré qu'en Europe l’Allemagne est de toute évidence le pays qui est le plus soumis à la surveillance américaine.

Faisant l'éloge des critiques « caustiques » faites par Merkel à l’égard des pratiques des services secrets américains, le Taz (quotidien berlinois) avait salué il y a une semaine ce qu’il avait appelé un « signal d'alarme transatlantique ».

En fait, l’interview de Merkel dans l’hebdomadaire Die Zeit montre clairement qu’elle ne lèvera pas le petit doigt pour contester les activités illégales des agences de renseignement américaines ou allemandes.

A un moment donné lors de l’entretien, les journalistes de Die Zeit ont fait la remarque qu’un auteur allemand bien connu, Uwe Tellkamp, avait fait une comparaison directe entre les activités de la NSA et le service de renseignement intérieur (surnommé Stasi) de l’ancienne République démocratique allemande stalinienne (RDA). Dans sa propre interview avec Die Zeit, Tellkamp, avait déclaré : « Ce que la Stasi réalisait en déployant des efforts considérables, se fait maintenant en à peine une quinzaine de clics de souris. »

Merkel a vigoureusement réfuté une telle comparaison en déclarant : « Pour moi, il n’y a pas de comparaison possible » entre la Stasi et « le travail des agences de renseignement dans un Etat démocratique. » « Une telle comparaison, » a-t-elle poursuivi, « conduit à minimiser ce que le service de renseignement a pu faire aux gens en RDA ». Elle a conclu par une justification globale du travail de tous les services secrets occidentaux: « Sans le travail des agence de renseignement, un pays serait trop vulnérable. »

Merkel est parfaitement consciente des implications d’une comparaison entre les agences de renseignement occidentales et la tristement célèbre police secrète stalinienne, Stasi.

La dénonciation des activités de la Stasi et de la construction du Mur de Berlin par les bureaucrates staliniens de la RDA était au coeur de la campagne idéologique visant à justifier la restauration du capitalisme en Allemagne de l’Est et qui entraîna dans son sillage une profonde contre-révolution sociale et la destruction de centaines de milliers d’emplois. De telles dénonciations des crimes de la Stasi furent la marque de fabrique de la carrière politique tant de Merkel que de l’actuel président allemand, Joachim Gauck.

Après la réunification de l’Allemagne en 1990, Angela Merkel, fille d’un pasteur d’Allemagne de l’Est et ancienne secrétaire en charge de l’agitation et de la propagande à la FDJ (organisation des jeunesses communistes en Allemagne de l’Est loyale au régime SED, Parti socialiste unifié d’Allemagne), a très rapidement gravi les échelons au sein de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) grâce à ses tirades contre le totalitarisme de l’Allemagne de l’Est et ses éloges sans fin des valeurs démocratiques de l’Ouest et son prétendu respect des libertés individuelles.

Le pasteur d’Allemagne de l’Est, Gauck, fut nommé commissaire fédéral pour les archives de la Stasi et il dirigea pendant dix ans cette autorité qui porta son nom. La mission de la commission Gauck était de ratisser les archives et d’étaler au grand jour chaque crime commis par la Stasi à l’encontre des citoyens de l’Allemagne de l’Est dans le but d’alimenter la propagande anticommuniste, en particulier le mythe selon lequel le système stalinien en RDA avait un lien avec le socialisme.

A présent, ces fidèles défenseurs de l'économie de marché et des valeurs démocratiques sont soudain atteints de mutisme lorsqu’ils sont confrontés aux activités criminelles des services secrets américains et occidentaux qui, à bien des égards, font ressembler les activités de la Stasi à du travail d’amateur.

Lors de l’interview de Die Zeit, à la question de savoir si elle était d’accord avec le traitement infligé au président bolivien, Evo Morales, dont la vie avait été mise en péril dernièrement lorsque les pays européens avaient refusé que son avion survole leur territoire, Merkel a déclaré ne pas connaître le contexte de l’affaire et a refusé tout commentaire.

A la question de savoir pourquoi le gouvernement allemand a refusé d’octroyer l’asile politique à Snowden, Merkel a répété les arguments de ses ministères qui ont rejeté toute demande d’asile pour des motifs de forme.

Lorsqu’on lui a rappelé que les précédents gouvernements allemands avaient été tout à fait prêts à passer outre de telles formalités et avaient, dans le passé, accordé l’asile politique à des dissidents soviétiques tels Alexander Solzhenitsyn et Lev Kopelev, Merkel a répondu à la manière typique d’un imbécile stalinien d’Allemagne de l’Est qu’elle ne pouvait que répéter les justifications de forme déjà avancées par ses ministres.

Jeudi, le haut responsable chargé de la sécurité et ministre de l’Intérieur Hans-Peter Friedrich, s'est rendu à Washington pour rencontrer le procureur général des Etats-Unis, Eric Holder, et d’autres responsables. Friedrich est déjà connu pour déplorer le prétendu « anti-américanisme » qui apparaît dans les critiques des activités d’espionnage de la NSA. En se fondant sur l’interview de Merkel dans Die Zeit, l’on peut supposer que le principal sujet des discussions avec ses collègues américains sera de trouver le moyen d'isoler et faire taire le lanceur d’alerte, Edward Snowden.

Un examen, même bref, des activités des agences de renseignement américaines et ouest-allemandes montre clairement qu’une comparaison avec la Stasi d’Allemagne de l’Est est pleinement justifiée. En effet, les pratiques criminelles des services secrets occidentaux modernes dépassent à bien des égards ceux de leurs parents pauvres d’Allemagne de l’Est.

Cette remarque avait été faite par le lanceur d’alerte vétéran, Daniel Ellsberg. Dans un commentaire publié par The Guardian, Ellsberg écrit que Snowden a révélé comment « La NSA, le FBI et la CIA ont, avec la nouvelle technologie numérique, des pouvoirs de surveillance sur nos propres citoyens dont la Stasi, police secrète de l’ancienne ‘République démocratique’ de l’Allemagne de l’Est, pouvait à peine rêver de posséder. Snowden révèle que cette communauté du renseignement, comme on l'appelle, et devenue les Etats Stasi d’Amérique. »

La NSA n’est qu’une des 16 agences de renseignement officiellement reconnues aux Etats-Unis. En plus de leurs activités d’espionnage de l’ensemble de la population américaine et de centaines de millions de citoyens dans le monde, ces agences sont chargées de fournir des informations pour les programmes américains officiellement approuvés d’assassinat par drone, pour les détentions et la torture illégales, des années durant, de personnes soi-disant soupçonnées de terrorisme ainsi que pour l’établissement d’un réseau de camps en Europe et au-delà pour « délocaliser » la torture d’ennemis des Etats-Unis.

En Allemagne, des preuves apparaissent presque quotidiennement indiquant la participation étroite des agences fédérales et étatiques dans la série de meurtres racistes commis par une organisation néo-nazie au cours d’une décennie. Au Luxembourg, le premier ministre vient tout juste de démissionner en raison de sa propre implication dans le camouflage d’une campagne d’attentats à la bombe par les services secrets, remontant aux années 1980.

Des sections du monde des affaires allemand ont sans aucun doute des appréhensions quant à l’ampleur de l’utilisation qui est fait du programme de la NSA pour promouvoir les intérêts commerciaux américains à leurs dépens, mais l’interview de Merkel dans Die Zeit met en évidence qu’au niveau politique il y a une véritable osmose entre Washington et Berlin. L’Allemagne est déterminée à développer le même type de méthodes d’Etat policier pour réprimer sa population que celles qui ont été élaborées par les Etats-Unis.

(Article original paru le 13 juillet 2013)

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