Le président égyptien Morsi jure de rester au pouvoir en dépit des protestations de masse

Défiant les millions de manifestants qui réclament son départ, le président égyptien Mohamed Morsi, qui est soutenu par les Etats-Unis, a prononcé mardi soir un discours déclarant qu’il resterait en place comme président de l’Egypte. Il a, à plusieurs reprises, attribué la responsabilité de la crise politique en Egypte « aux vestiges de l’ancien régime. »

« Ce sont les vestiges de l’ancien régime qui sont en train de combattre notre démocratie, » a-t-il déclaré en faisant référence aux partisans de l’ancien dictateur, le président Hosni Moubarak qui avait été chassé en février 2011 après 18 jours de luttes de masse de la classe ouvrière. Morsi a déclaré, « S’ils reviennent vers le peuple, ils seront rejetés. Ils sont habitués à la corruption, au trucage des élections, à sucer jusqu'à la dernière goutte le sang du peuple. »

La réaction des millions de manifestants qui se sont rassemblés sur la place Tahrir, devant le palais présidentiel du Caire et dans les rues et les places partout en Egypte, rappelle les scènes qui avaient eu lieu après le discours provocateur prononcé le 10 février 2011 par Moubarak, lorsqu’il avait promis, la nuit précédant son éviction, de rester au pouvoir.

Les manifestants en colère criaient « Irhal, Irhal » (« Dégage, dégage ») et scandaient le principal slogan de la révolution égyptienne : « Le peuple veut la chute du régime. »

Depuis le 30 juin, jour du premier anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Morsi, des millions de manifestants se rassemblent dans les rues et les places à travers toute l’Egypte. La BBC a décrit « le nombre des manifestants anti-Frères musulmans » comme étant « le nombre le plus important de toute l’histoire de l’humanité pour un événement politique. » (Une vidéo montrant les protestations autour de la place Tahrir au Caire peut être consultée ici (here)). 

Ceci prépare le terrain pour des conflits explosifs aujourd’hui en Egypte eu égard aux protestations de masse continues et à l’expiration de l’ultimatum de 48 heures lancé lundi par l’armée. L’armée a demandé une « réconciliation » entre Morsi et les partis d’opposition bourgeois, faute de quoi elle prévoit, dans le cadre d’une « feuille de route », la suspension de la constitution et la dissolution du parlement dominé par les islamistes. Ceci correspond effectivement à une menace de mettre en place une dictature militaire dans le but de contenir, et, le cas échéant, d’écraser les protestations de la classe ouvrière.

La description par Morsi de son gouvernement comme étant un bastion de la démocratie et le fait qu'il identifie les masses de travailleurs et de jeunes qui manifestent contre lui à des vestiges du régime Moubarak, sont des mensonges absurdes. En réalité, des millions de gens réclament son éviction précisément parce qu’il est associé à la politique anti-ouvrière et pro-impérialiste de son prédécesseur, Moubarak. Mais la classe ouvrière est aussi confrontée à une lutte contre la menace d’une dictature militaire imposée à l’Egypte avec l’appui de l’impérialisme américain et des partis d’opposition bourgeois égyptiens.

Le discours provocateur de Morsi s’inscrit dans un contexte de discussions en coulisses au sein de l’armée égyptienne et à Washington sur la question de savoir s’il faut continuer à soutenir Morsi, de voir jusqu’à quel point impliquer l’opposition bourgeoise dans le gouvernement et de la manière de gérer le nouveau soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière.

Lundi, le président américain Barack Obama a téléphoné à Morsi depuis la Tanzanie, l’ultime étape de sa tournée africaine. Obama aurait dit que Washington est attaché « au processus démocratique en Egypte et ne soutient absolument aucun parti ou groupe. » Obama a ajouté qu’il avait « encouragé le président Morsi à prendre des mesures pour montrer qu’il est à l’écoute de leurs préoccupations et a souligné que la crise actuelle ne peut être résolue que par un processus politique. »

Le général Martin Dempsey, président du Conseil des chefs d’état-major interarmés américain, mènerait actuellement d’intenses pourparlers avec son homologue égyptien, le général Sedki Sobhi.

Morsi quant à lui tente de négocier un accord avec les forces de sécurité et l’opposition, au moment où son gouvernement se désagrège. Dans son discours, il a cherché à tendre une main vers les partis politiques d’opposition et déclaré sa loyauté envers l’armée et les forces de police égyptiennes. Il a promis de « garder une ouverture au dialogue, » en déclarant : « Nous voulons une armée forte. N’injuriez jamais l’armée égyptienne. Préservez l’armée avec moi parce qu’elle est notre soutien… Je dis à tous les Egyptiens, pas de violence les uns envers les autres, ni à l’encontre de l’armée ou de la police. »

Avant l’allocution de Morsi, six ministres de son gouvernement et un certain nombre de conseillers présidentiels avaient présenté leur démission. Alors que le régime de Morsi se désintègre, les Frères musulmans cherchent désespérément à mobiliser leur base islamiste pour défendre Morsi. Au moins 16 personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessés, lors de violents heurts entre des manifestants rivaux.

Les nouvelles luttes de masse en Egypte sont en train d’envoyer des ondes de choc parmi l'ensemble de l’élite dirigeante égyptienne et ses alliés à Washington ainsi que dans les capitales européennes. Depuis l’éviction de Moubarak, les puissances impérialistes comptent fortement sur Morsi et les Frères musulmans pour défendre leurs intérêts stratégiques et économiques en Egypte et à travers la région. Morsi a à maintes reprises réprimé des protestations et des grèves en Egypte. Sur les questions de politique étrangère il a soutenu, à l’automne dernier, la campagne de bombardement d’Israël contre Gaza et a récemment déclaré son soutien pour la guerre par procuration menée par les Etats-Unis en Syrie.

S’exprimant sur Ahram Online, un diplomate européen au Caire a résumé ainsi la confusion et le choc que les protestations de masse contre le gouvernement Morsi sont en train de provoquer dans les capitales occidentales : « C’est tellement plus important que nous ne l'avons anticipé. Je veux dire encore plus important que nous l’anticipions hier, au moment où il devenait évident que les manifestations seraient plus importantes que nous ne l’avions anticipé. »

Mardi, une source militaire a dit que l’armée égyptienne se prépare à se déployer dans les rues du Caire et dans d’autres villes si cela s'avère nécessaire,. Al Jazeera Egypte a rapporté que des soldats défilaient et s’entraînaient dans les rues de Suez, ville située à l’entrée Sud du canal de Suez. L’armée est déjà en train de protéger des endroits stratégiques, tels les bâtiments gouvernementaux, le palais présidentiel et le canal de Suez.

Les préparatifs pour un coup d’Etat militaire sont facilités et soutenus par les positions réactionnaires adoptées par les partis d’opposition libéraux et de pseudo-gauche qui cherchent à créer un climat d’euphorie à l’idée de voir l’armée renverser Morsi.

La plateforme « Tamarod » (« rébellion ») ou « Front du 30 juin », qui est soutenue par le Front du salut national de Mohamed ElBaradei, le Parti islamiste de l’Egypte forte, le Mouvement de la jeunesse du 6 avril, les Socialistes révolutionnaires qui portent bien mal leur nom ainsi que les vestiges du régime Moubarak, a déclaré dans un communiqué que « le rôle historique de l’armée est de se ranger du côté de la population. »

Le programme du « Front du 30 juin » ne diffère guère de la « feuille de route » avancée par l’armée. Il réclame la dissolution du Conseil de la Shura [Chambre haute du parlement], la nomination d’un premier ministre indépendant, la délégation de tous les pouvoirs présidentiels au président de la Haute cour constitutionnelle de l’Egypte et la nomination d’un gouvernement de technocrates.

Un avertissement net doit être adressé à la classe ouvrière. Un tel gouvernement dictatorial non élu se positionnerait finalement contre les travailleurs et les jeunes d’Egypte. La bourgeoisie égyptienne recherche désespérément un mécanisme lui permettant de délégitimer les protestations et de donner à l’armée le temps de préparer une répression violente. Telle serait précisément la tâche d'un gouvernement de réconciliation nationale, comme l’envisagent actuellement les islamistes, l’armée ainsi que l’opposition.

La tâche urgente à laquelle la classe ouvrière égyptienne est confrontée est de se mobiliser en une lutte révolutionnaire à la fois contre l’actuel régime islamiste et la menace d’une dictature militaire soutenue par l’impérialisme américain et les partis d’opposition.

Voir aussi:

La révolution égyptienne et la crise de la direction révolutionnaire

[3 juillet 2013]

(Article original paru le 3 juillet 2013)

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