Lac-Mégantic : les autorités locales défendent l’industrie ferroviaire

Le déraillement et l’explosion d’un train à Lac-Mégantic, une ville située au sud-est de la province de Québec, constituent la pire catastrophe ferroviaire au Canada depuis plus d’un siècle. Au moins 50 personnes sont mortes et 186 personnes n’ont toujours pas regagné leur domicile. Des centaines de personnes ont perdu leur emploi avec la disparition de 80 commerces situés dans un centre-ville en grande partie rasé.

Cette catastrophe a jeté la lumière sur le fonctionnement de l’économie capitaliste : des pans entiers de l’économie, dans ce cas-ci l’industrie ferroviaire, sont gérés par une poignée d’entrepreneurs qui cherchent seulement à s’enrichir. Les conditions des travailleurs, leur sécurité et celle du public, sont relégués loin derrière afin de faire augmenter la marge de profit des entreprises. Seulement dans la région de Chaudière-Appalaches, située tout près de Lac-Mégantic, au moins une dizaine de déraillements de train a été enregistrée depuis 1999.

De plus, le développement d’une industrie ferroviaire dangereuse s’est réalisé en étroite collaboration avec les pouvoirs en place. Reflétant les liens étroits qui existent entre l’industrie et l’establishment politique, MMA (Montreal, Maine and Atlantic Railway Inc.), la compagnie propriétaire du train qui a déraillé, avait demandé et obtenu la présence d’un seul opérateur sur ses trains. La norme gouvernementale n’est que de deux opérateurs. (Voir aussi : Derrière le désastre de Lac-Mégantic: La déréglementation, le profit et l’industrie ferroviaire canadienne)

Quant aux autres secteurs de l’industrie, ils dépendent et collaborent avec de telles compagnies «à faible coût» pour le transport de leurs marchandises et pour faire eux aussi augmenter leurs profits et maintenir leur compétitivité. L’économie de Lac-Mégantic, dont la quasi-totalité des entreprises de son parc industriel utilisent le train, est un exemple frappant.

Quelques jours après la tragédie, le patron de Tafisa Canada, Louis Brassard, a déclaré : «On s’est installé à Lac-Mégantic à cause du train.» Chaque année, Tafisa Canada, un fabricant de mélamines et de particules, utilise environ 2500 wagons de MMA. Tafisa Canada emploie 350 personnes et constitue le plus gros employeur de la ville. Il est aussi le plus important producteur de panneaux de mélamines et de particules en Amérique du Nord.

Le chemin de fer étant maintenant hors d’usage, l’avenir de la compagnie est incertain. «On ne peut pas opérer à moyen et long terme sans chemin de fer», a déclaré Brassard. Pour l’instant, la compagnie utilise des camions pour remplacer le train. Montrant implicitement le rôle clé joué par des compagnies comme MMA, Brassard a dit que c’est «moins rentable» de procéder ainsi.

Lors de l’émission Classe économique de Radio-Canada, Maurice Bernier, préfet de la MRC du Granit a déclaré : «On n’a aucune sympathie pour la compagnie qui actuellement gère le ferroviaire, mais il faudra… il faudra y réfléchir.» L’animatrice de l’émission a tout de suite intervenu : «y réfléchir, mais on n’a pas le choix de faire avec.»

Tout au long de l’entrevue, Maurice Bernier ainsi que Michelle Tardif, directrice du Centre local de développement de la MRC du Granit, ont mis l’accent sur l’importance cruciale de l’industrie ferroviaire pour l’économie de la région, tout en disant que cette industrie avait «manqué de force» et avait été «délaissée». Le mot «sécurité» n’a pas été mentionné une seule fois pendant l’entrevue.

Maxime Bernier, député conservateur de Beauce, région voisine de Lac-Mégantic et faisant partie de Chaudière-Appalaches, a refusé de blâmer qui que ce soit : «J’étais évidemment au courant qu’un train circulait par le centre-ville de Lac-Mégantic. Mais en ce qui concerne l’entretien des voies ferrées et leur sécurité, je pense qu’il est trop tôt pour commenter.»

Le message des autorités est clair : si vous voulez garder vos emplois, vous devez accepter l’industrie ferroviaire telle qu’elle est, c’est-à-dire avec le profit comme principe moteur et sans regard pour la sécurité du public. Il est probable que MMA, qui continue à opérer ailleurs, reprenne ses activités dans la région sans amélioration significative au niveau de la sécurité.

Le secteur clé du tourisme, qui emploie mille personnes et regroupe 200 entreprises dans la région, ne semble pas avoir été touché par le désastre, à l’exception du centre-ville de Lac-Mégantic. Au moins à court terme et grâce à un élan de solidarité vis-à-vis les gens de Lac-Mégantic, l'activité touristique est en hausse. Bien que certaines personnes aient annulé leurs réservations suite au désastre, plusieurs se sont rendues sur les lieux pour aider les victimes. Une réceptionniste d’un hôtel à St-Georges-de-Beauce, une ville industrielle de 30 000 habitants située à 80 kilomètres au nord de Lac-Mégantic, a déclaré : «Je travaille ici depuis cinq ans et je n’ai jamais connu un aussi gros va-et-vient comme on voit actuellement.»

Au niveau environnemental, la catastrophe aura des impacts durables. Trois jours après l’accident, le ministre de l’Environnement du Québec, Yves-François Blanchet, parlait d’une «catastrophe environnementale d'une magnitude peut-être sans précédent», pour ensuite minimiser l’impact du déversement de pétrole brut dans la rivière Chaudière, en affirmant : «Il y aura toujours une trace de cet événement, mais la rivière ne sera pas irrémédiablement contaminée.»

Cette rivière prend sa source dans le Lac-Mégantic et coule sur 185 km pour se jeter dans le fleuve St-Laurent tout près de la Ville de Québec.

 

La Rivière Chaudière coule du Lac-Mégantic jusqu’à Québec

Plus de 100 000 litres d’hydrocarbures ont été déversés dans le Lac-Mégantic et la rivière Chaudière suite aux explosions. La fermeture du barrage de Lac-Mégantic, qui aurait pu freiner l’écoulement du pétrole dans la rivière, n’a été ordonnée que treize heures après le désastre, faisant baisser le débit de la rivière à 3,3 mètres cubes par seconde. Ce débit minimal ne peut durer que temporairement, vu qu’il contribue à faire augmenter le niveau d’eau du lac.

L’ampleur de la catastrophe a visiblement pris de cours les autorités. Christian Blanchet, qui travaille pour la Direction de l’environnement de l’Estrie a affirmé : «On était en mode gestion de crise, et on était d’abord préoccupé par le feu qui faisait rage et les vies à sauver.»

Blanchet continue : «Aussitôt qu’on a eu cette information [de déversement de pétrole], on a fait appel aux spécialistes et on a commandé le matériel nécessaire à la décontamination. Mais les équipements comme des pompes, des camions-citernes, des estacades, il n’y en avait pas à proximité. On a donc dû les faire venir de Québec, Montréal, Toronto.» L’inaction d’MMA, qui aurait dû aussitôt avertir les autorités d’un déversement de pétrole, a aussi retardé les opérations de fermeture du barrage et de récupération du pétrole brut dans l’eau.

Par conséquent, de longues nappes de pétrole étaient visibles à plusieurs endroits de la rivière Chaudière. Cela a poussé les autorités des villes riveraines, qui s’approvisionnent en eau potable à partir de cette rivière, à avoir recours à des mesures exceptionnelles.

Une estacade placée sur la rivière Chaudière à la hauteur de St-Georges-de-Beauce

Saint-Georges-de-Beauce a dû réactiver une ancienne conduite d’eau afin de s’approvisionner à partir du Lac Poulin. L’usine de traitement des eaux de Saint-Georges puise 12.000 mètres cubes d’eau par jour tandis que la conduite du Lac Poulin peut générer 8000 mètres cubes d’eau par jour. Sainte-Marie-de-Beauce, ville de 13.000 habitants, a fait venir des camions-citernes des villes et villages environnants tout en créant ou en réactivant des conduites d’eau. Beauceville, une ville de la taille de Lac-Mégantic, a interdit l’accès à la rivière.

Le Ministère de l’Environnement a avisé les agriculteurs de ne pas faire boire l’eau de la rivière Chaudière à leurs animaux. Des usines situées le long de la rivière ont aussi été contraintes de réduire leurs opérations.

La ville la plus touchée par le manque d’approvisionnement en eau potable est Lévis, qui regroupe 140.000 habitants et qui est située à l’extrême-nord de la rivière. Les autorités ont construit une conduite d’eau d’urgence afin de s’approvisionner à la rivière Beaurivage. Par contre, les réservoirs d’eau du secteur Charny à Lévis, où un avis d’ébullition de l’eau avait été émis la semaine dernière, ont baissé considérablement. Une nouvelle connexion avec l’usine de traitement des eaux du secteur Saint-Romuald est en train d’être construite.

Les réservoirs d’eau doivent être maintenus à un certain niveau advenant une canicule, un incendie ou un assèchement de la rivière Beaurivage. Bien que tous ces travaux d’urgence soient vitaux pour la santé des populations concernées, les autorités s’inquiètent déjà des coûts. Suite à l’allocation d’un fonds de 60 millions de dollars par le gouvernement du Québec pour le désastre, dont une partie ira aux municipalités riveraines de la Chaudière, Christian Brière, le directeur des communications de la Ville de Lévis, a déclaré : «On est fort heureux de cette nouvelle-là, même si on se garde une petite gêne en attendant les détails du programme.»

Même si elles n’ont fourni aucun détail sur le nombre de mètres cubes d’eau perdus par la fermeture de l’approvisionnement à la rivière Chaudière par rapport au nombre de mètres cubes récupérés par ses travaux d’urgence, les autorités de Lévis, appuyées par les médias, n’ont pas hésité à blâmer les habitudes de consommation de la population pour la baisse dramatique du réservoir de Charny.

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