Québec: des critiques du PQ muselés par les syndicats

Selon un article paru mardi dans le quotidien montréalais La Presse, les syndicats québécois ont exigé en avril dernier l'annulation d'une conférence de presse que voulait tenir un groupe communautaire pour condamner les coupes à l'aide sociale du gouvernement provincial péquiste de Pauline Marois en même temps que les coupes à l'assurance-emploi du gouvernement fédéral conservateur de Stephen Harper.

Ce geste souligne le rôle que joue la bureaucratie syndicale pour bloquer une lutte unifiée des travailleurs de tout le Canada, et montre les liens privilégiés qu’elle entretient avec le parti de la grande entreprise qu'est le Parti québécois (PQ).

L’article de La Presse fait référence à une manifestation organisée à Montréal le 27 avril par les syndicats québécois pour protester contre les nouvelles mesures restrictives des conservateurs dans le programme fédéral d'aide aux chômeurs. Il rapporte que deux jours avant cette manifestation, «les présidents de toutes les grandes centrales syndicales ont signé une lettre transmise à François Saillant, coordonnateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), pour le convaincre de renoncer à une conférence de presse qui devait, au moment de la manifestation, dénoncer à la fois les coupes dans l’aide sociale et la réforme fédérale de l’assurance-emploi.»

Signée par plusieurs centrales syndicales dont les trois plus importantes, la FTQ, la CSN et la CSQ, la lettre dit que cela «aura pour effet de faire dévier les enjeux de la bataille sur l’assurance-emploi et le message unitaire et fort que nous devons tous soutenir d’une même voix». Le FRAPRU, dont le coordonnateur François Saillant est un membre fondateur et dirigeant de longue date de Québec solidaire, s’est soumis à cet appel.

Le World Socialist Web Site a toujours soutenu que la bureaucratie syndicale agit consciemment pour diviser les travailleurs et empêcher une lutte commune contre lensemble du programme d’austérité implanté par lensemble de la bourgeoisie, qu’elle soit basée au Québec ou ailleurs au Canada. Cette position est pleinement confirmée par la récente lettre syndicale.

L’idée contenue dans la lettre, et constamment promue par les syndicats, est que le PQ serait un allié des travailleurs dans la lutte contre les mesures anti-ouvrières des conservateurs. Le gouvernement Harper, peut-on lire dans la lettre, «pourrait profiter de ce double message pour soutenir que les forces vives du Québec sont divisées».

La seule division maintenue depuis des décennies par la bureaucratie syndicale est celle entre les travailleurs du Québec et leurs frères de classe du reste du Canada, des États-Unis et d'outre-mer.

Le gouvernement du PQ s'inscrit dans la même optique de classe que le gouvernement Harper. Après avoir stabilisé la situation politique avec l’aide des syndicats suite à la grève étudiante massive de 2012, le PQ redouble aujourd'hui d'ardeur dans l'imposition de son propre programme d’austérité. Il multiplie ses propres mesures anti-ouvrières: maintien d’une taxe-santé régressive, hausses de frais dans l’éducation, coupes dans les centres de la petite enfance, suppression de milliers d’emplois à Hydro-Québec, coupes drastiques dans l’aide sociale, etc.

En fait, le PQ intensifie les mesures mises en place par les libéraux et joue très bien le rôle qu’il a historiquement joué: la défense exclusive des intérêts de la bourgeoisie québécoise par un assaut tous azimuts sur les emplois, les salaires et les services publics.

Face à cette véritable guerre de classe, la bureaucratie syndicale n’a que des dénonciations verbales à offrir. Dans des commentaires tenus suite à la publication de la lettre, Michel Arsenault, président de la FTQ, a dit qu’il trouvait les coupes dans l’aide sociale «inacceptables». C’est le plus loin que veut, et que peut, aller la FTQ.

Cette capitulation de la bureaucratie syndicale devant l'assaut patronal ne se limite pas aux coupes dans l’aide sociale. Les syndicats sabotent systématiquement les luttes ouvrières au nom de la paix sociale, l’exemple le plus récent étant leur détournement de la grève étudiante de 2012 derrière l’élection d’un gouvernement péquiste de droite. Lorsque le Parti québécois a organisé son sommet bidon sur l’éducation en début d'année, la bureaucratie syndicale a appuyé ce processus, qui ne servait qu’à légitimer une hausse permanente des frais de scolarité et à permettre au PQ de sauver la face, lui qui s'était présenté comme un «allié» des étudiants pendant la grève de 2012.

Lorsque les bureaucrates syndicaux parlent de «message unitaire» ou de «consensus national» pour s’opposer à Harper, ils visent à canaliser la colère des travailleurs derrière la grande entreprise québécoise, et non contre elle.

Dans une déclaration du Parti de l’égalité socialiste distribuée lors de la manifestation du 27 avril, nous écrivions: «Cette fiction nationaliste sert à diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada, et à les subordonner politiquement aux représentants capitalistes que sont les municipalités et les partis d’opposition tels que le Bloc québécois et le NPD. Elle facilite également les efforts du gouvernement péquiste de Pauline Marois visant à utiliser les coupes fédérales dans l’assurance-emploi comme un écran de fumée pour ses propres mesures anti-ouvrières.»

Alliés de longue date du Parti québécois, les syndicats du Québec cultivent depuis longtemps des liens privilégiés avec la grande entreprise du Québec, notamment depuis la mise en place du Fonds de solidarité de la FTQ, et de Fondaction de la CSN.

Ces deux Fonds ont été créés – le premier en 1983, le second en 1996 – pour transformer l'épargne-retraite des travailleurs en capital à risque pour les PME et les grandes sociétés du Québec. Leur création a été grandement facilitée par des concessions fiscales importantes de la part des gouvernements tant au fédéral qu'au provincial, dont les gouvernements péquistes de René Lévesque et Lucien Bouchard. Le Fonds de Solidarité de la FTQ a maintenant un actif de près de 9 milliards de dollars.

Les syndicats ont depuis longtemps abandonné la défense limitée des intérêts économiques immédiats de leurs membres dans le cadre du capitalisme. Ils ont été transformés en agences du patronat pour imposer des concessions majeures aux membres de la base. En devenant gestionnaires de capital à risque, avec des actions dans des centaines d'entreprises du Québec, les syndicats ont acquis un intérêt financier direct à diminuer les salaires et les avantages sociaux afin de faire augmenter les profits.

Lors du dernier budget fédéral, le gouvernement a annoncé la fin du crédit d’impôt fédéral de 15 pour cent accordé aux Fonds de solidarité et au Fondaction. La bureaucratie syndicale a immédiatement fait front commun avec la classe politique québécoise et les associations patronales pour demander que cette décision soit renversée. Le retrait de ce crédit d’impôt signifierait une rentrée d’argent moins importante pour les deux Fonds et une baisse des profits pour les entreprises et la bureaucratie syndicale.

Voir aussi :

Il faut des comités de lutte indépendants des syndicats pour mobiliser les travailleurs contre Harper et Marois

Québec : le Fonds de solidarité et le corporatisme syndical

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