Le chef du NPD canadien auditionné par l'élite américaine

Le chef du NPD Thomas Mulcair, accompagné de dirigeants du parti, se sont rendus à Washington, D.C. et New York plus tôt ce mois-ci pour assister à une série de discussions à huis clos avec des représentants de l’administration Obama, des politiciens du parti démocrate, des dirigeants d’entreprises et d’autres représentants du capital américain et international. Mulcair a profité de l’occasion pour rassurer l’élite dirigeante américaine que le Nouveau Parti démocrate (NPD) est voué à défendre les intérêts de la grande entreprise et qu’il est un allié fiable de l’impérialisme américain.

Les sociaux-démocrates canadiens, qui ont grimpé au statut d’opposition officielle aux dernières élections fédérales, ont expliqué leur succès politique comme étant le résultat de leur «tournant vers le centre». Ce tournant à droite, accéléré par le défunt Jack Layton, s'est accéléré sous son successeur, un ancien ministre du gouvernement libéral de Jean Charest.

«C’est la première fois que le NPD est dans une position pour former un gouvernement et nous prévoyons faire exactement cela en 2015», a dit Mulcair avant de partir. «Une partie de notre travail préparatoire est de se faire connaître des Américains et de leur faire savoir qui est le NPD, quelle est notre histoire et quelles sont nos positions».

Dans une déclaration envoyée aux membres du parti après le retour au Canada de la délégation néo-démocrate, Paul Dewar, le critique aux affaires étrangères du parti, a dit avec enthousiasme que «le but de ce voyage était d’introduire le NPD à des décideurs américains clés et je suis heureux de vous dire que nous avons trouvé un public très réceptif».

Dewar a affirmé que le NPD «bâtit un pays plus juste, plus vert et plus prospère pour tous, et amène cette vision sur la scène mondiale». En réalité, le NPD, comme le Parti travailliste britannique, le Parti socialiste en France, PASOK en Grèce et les partis sociaux-démocrates à travers le monde, est un parti d’austérité capitaliste et de guerre impérialiste. Cela a été clairement illustré par les gens que Mulcair a choisi de rencontrer et les déclarations qu’il a faites lors de son séjour de trois jours aux États-Unis.

Entres autres, le chef néo-démocrate a rencontré Nancy Pelosi, la chef de file démocrate à la Chambre des députés, l’ancien président national démocrate Howard Dean, le directeur du Bureau du budget du Congrs amricain et des représentants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Il s’est aussi adressé à des dirigeants du Conseil des affaires canado-américaines.

S’adressant directement à l’élite politique et patronale américaine, Mulcair a tenté de contrer la rhétorique du gouvernement conservateur du Canada, lequel a lancé une attaque cinglante de type républicain contre le NPD, l’accusant d’être un parti «radical dangereux» et «gauchiste».

Muclair a rassuré à maintes reprises ses interlocuteurs américains que le NPD est aussi dédié que les conservateurs ou les libéraux à éliminer le déficit fédéral. Le chef du NPD a promis que si son parti formait le prochain gouvernement canadien, il n'augmenterait pas les impôts sur le revenu des riches, même s’ils ont été drastiquement réduits par les gouvernements libéraux et conservateurs.

Mulcair a dit que pour éliminer le déficit, un gouvernement NPD annulerait certaines réductions d’impôt que les Conservateurs ont octroyé aux grandes entreprises, en haussant le taux de l’impôt sur les sociétés de son niveau actuel de 15 pour cent à celui de 2010, soit environ 18 pour cent. En 2000, le taux fédéral de l'impôt sur les sociétés était de 28 pour cent.

Muclair a refusé de commenter sur ce qui a été discuté lors des nombreuses réunions privées qu’il a tenues avec les dirigeants américains. Mais il est clair qu’une des questions centrales était la hausse de l'extraction de pétrole dans les sables bitumineux d’Alberta.

Les grands médias canadiens, faisant écho aux conservateurs de Harper, ont profité d’une déclaration de Pelosi faite suite à sa rencontre avec Mulcair pour accuser le dirigeant néo-démocrate de «rabaisser le Canada» devant des étrangers et d’interférer avec l’investissement massif entrepris pour transporter le bitume des sables bitumineux albertains vers les raffineries du sud des États-Unis. Questionnée à propos du projet d’oléoduc Keystone XL, Pelosi a dit que «les Canadiens n’en veulent pas dans leur pays».

Face à la furieuse réaction des médias des affaires et conservateurs suite aux propos de Pelosi, un collaborateur anonyme de Mulcair s’est empressé d’informer le Globe and Mail qu’il «s’agit des propos de Nancy Pelosi, pas ceux de Mulcair». Le dirigeant du NPD a en fait mentionné à plusieurs occasions qu’il croyait que la première priorité devrait être de construire un oléoduc ouest-est à l’intérieur du Canada afin de renforcer l’état-nation canadien et garantir qu'une part plus large des profits tirés des sables bitumineux demeure au Canada.

Plus tard, lors d’une entrevue avec l'agence de presse américaine Bloomberg, Mulcair a fait valoir que les compagnies pétrolières cherchant à investir au Canada seraient plus rentables sous un gouvernement néo-démocrate que sous les conservateurs, parce que les sociaux-démocrates seraient plus en mesure d’apaiser les inquiétudes publiques quant au développement effréné des sables bitumineux. Dans son budget de 2012, le gouvernement conservateur a imposé des coupes importantes au ministère de l’Environnement et réduit le processus d'évaluation environnementale afin d'encourager un développement rapide des sables bitumineux et d’autres projets d’extraction des ressources.

 

Selon Mulcair, un gouvernement néodémocrate «pourrait obtenir plus facilement l’appui de la population pour des projets d’infrastructures comme des oléoducs, car il ferait respecter un processus d’évaluation environnementale plus fiable… Il faut avoir l’appui de la population dans cette situation.»

S’adressant directement à la grande entreprise américaine par l’entremise de Bloomberg, Mulcair a tenté d’alimenter les craintes aux États-Unis sur la possibilité que des compagnies pétrolières d’État chinoises deviennent de grands consommateurs de pétrole canadien, ce qui ferait augmenter les prix, et investissent massivement dans les sables bitumineux, ce qui affecterait les échanges commerciaux et pourrait limiter l’accès des États-Unis au marché. Dans son discours anti-chinois et ses dénonciations du «communisme», Mulcair tentait de s’attirer les faveurs de l’impérialisme américain et de démontrer que le NPD appuyait le «pivot» vers l’Asie que veut opérer l’administration Obama. Washington tente en effet, en redéployant son armée et en encourageant les voisins de la Chine à mener des disputes territoriales, d’isoler Pékin et d’empêcher la montée de la Chine.

Mulcair a critiqué le gouvernement conservateur Harper pour avoir accueilli trop aisément les investissements chinois. Il a ainsi souligné que ce dernier avait approuvé le rachat de Nexen, une compagnie pétrolière de Calgary, par un groupe pétrolier chinois, la Chinese National Offshore Oil Corporation (CNOOC), au coût de 15,1 milliards de dollars et qu’il avait ratifié l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers entre le Canada et la Chine (APIE). En 2020, a dit Mulcair, «la Chine sera le deuxième plus important investisseur au Canada, surtout dans le marché du pétrole et du gaz».

«L’APIE et le rachat de Nexen par CNOOC réduisent dans les faits la capacité du gouvernement du Canada à établir sa propre politique sur les ressources naturelles et accroissent la mainmise d’une puissance étrangère sur nos ressources», a conclu Mulcair. Se disant préoccupé par la «sécurité énergétique», Mulcair a affirmé que le NPD serait un meilleur partenaire pour les géants pétroliers et l’impérialisme américains que le gouvernement Harper.

Dans un long discours au Woodrow Wilson Center for International Relations, Mulcair a célébré le partenariat stratégique qui existait depuis longtemps entre le Canada et les États-Unis et a répété que Washington et Ottawa représentaient les valeurs démocratiques et humanitaires – un mensonge qui est utilisé pour justifier des interventions impérialistes et la guerre.

«Nous avons tous deux une économie moderne et dynamique. Nous respectons les droits de l’homme, du travail et environnementaux… Au cours du siècle dernier, nos deux pays ont été un véritable modèle de partenariat et de progrès pour le monde. Nous avons bâti ce partenariat sur la force de ces valeurs. Au 21e siècle, alors que nous nous préparons à des défis toujours plus complexes, jurons une fois de plus de respecter ces valeurs et ceux qui les partagent», a ajouté Mulcair.

Même si, par le passé, le NPD s’est déjà affiché comme un opposant de l’OTAN et de NORAD, il est devenu durant les deux dernières décennies un fervent partisan des interventions canadiennes dans diverses guerres impérialistes, y compris en 1999 dans la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie et dans l’occupation de l’Afghanistan par les États-Unis et l’OTAN. Récemment, Dewar et Mulcair ont exhorté le gouvernement Harper à «en faire plus» pour appuyer l’invasion du Mali menée par la France.

Ces dernières années, le NPD s’est fait un devoir de forger des liens politiques et organisationnels plus étroits avec le Parti démocrate, le parti de gouvernance «de gauche» de Wall Street. En effet, pour renforcer cette relation, certains dirigeants du NPD ont envisagé de laisser tomber le mot «Nouveau» du nom du parti, ce qui ferait en sorte que les sociaux-démocrates du Canada seraient connus sous le nom de Parti démocratique.

Après avoir rencontré la chef de file des démocrates à la Chambre des représentants, Mulcair fut considérablement élogieux à son égard, tweetant que cela «avait été un honneur de rencontrer Nancy Pelosi – une dirigeante forte et la première femme à devenir présidente de la Chambre». Il a plus tard dit à des journalistes qu’il y avait «des liens étroits entre une démocrate d’expérience comme madame Pelosi et le Nouveau Parti démocratique».

Pendant qu’il était à Washington, le chef du NPD a fait un discours devant un important groupe de réflexion démocrate, le Center for American Progress. Quelqu’un qui était dans la salle et qui a voulu garder l’anonymat a affirmé : «Les gens l’ont pris très au sérieux. Même ceux aux États-Unis qui ne comprennent pas pourquoi la gauche au Canada, les libéraux et le NPD, ne peuvent se mettre d’accord, voulaient l’entendre.... Mulcair avait de la crédibilité et les gens ont été impressionnés.»

En fait, le NPD, même s’il n’a pas donné son accord à la fusion des deux partis qui était envisagée, a à maintes reprises donné son appui aux libéraux, historiquement le parti de gouvernement traditionnel de la bourgeoisie canadienne. En 2008, le NPD a accepté de faire partie d’une coalition qui aurait été dirigée par le Parti libéral sur la base d’un programme de «responsabilité fiscale», de 50 milliards $ de baisses d’impôt aux entreprises et de guerre en Afghanistan. En Ontario, la province la plus populeuse du Canada, le NPD maintient actuellement au pouvoir un gouvernement libéral minoritaire qui effectue des coupes de plusieurs milliards de dollars dans les programmes sociaux et qui a imposé par décret d’immenses reculs aux enseignants de la province.

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