Les travailleurs du transport scolaire de New York forment un comité de la base

Le mardi 19 février, juste avant leur retour au travail, plus de 50 chauffeurs d’autobus scolaires et accompagnateurs se sont rencontrés afin de discuter de la trahison de leur grève, qui a duré plus de quatre semaines, et de former un comité de la base pour défendre leurs intérêts.

Deux chauffeurs de bus scolaires d’expérience et le journaliste du World Socialist Web Site Jerry White ont parlé lors de cette réunion. Pendant de longues discussions, les travailleurs ont exprimé leur colère face à la conduite de la grève ainsi que leur détermination à continuer leur lutte.

Les travailleurs se sont rencontrés à Queens quatre jours après que la section locale 1181 de l’Amalgamated Transit Union a mis fin à la grève lors d’une téléconférence, sans même organiser de réunion, et sans permettre bien sûr aux travailleurs de voter sur cette décision.

Près de 9000 travailleurs d’autobus scolaires sont sortis en grève le 16 janvier contre la décision du maire de la ville de New York, Michael Bloomberg, de permettre les appels d’offres pour le transport des écoliers. Bloomberg a soutenu que les nouveaux contrats ne devaient pas tenir compte des clauses de protection de l’emploi (en anglais EPP, Employment Protection Provisions) qui, pendant 33 ans, avaient garanti les emplois et l’ancienneté des travailleurs, peu importe quelles compagnies obtenaient les contrats du département de l’Éducation.

La grève fut organisée par le syndicat comme un moyen de faire pression sur Bloomberg afin qu’il retarde l’appel d’offres tout en négociant des coupes dans les coûts avec l’ATU. Le maire milliardaire est allé de l’avant avec ses appels d’offres et le syndicat a aussitôt cherché à mettre fin à la grève. Le président de l’ATU International, Larry Hanley, a cherché une couverture politique en sollicitant des promesses vides de la part de cinq candidats démocrates à la mairie, des promesses selon lesquelles ils « réexamineraient » les contrats des travailleurs des autobus scolaires s’ils étaient élus.

Maintenant, près de 3000 travailleurs pourraient perdre leur emploi à la fin de l’année scolaire, tandis que les compagnies d’autobus qui ont encore des contrats demandent des baisses de salaires de 20 % à leurs employés. Au même moment où les trajets d’autobus reprenaient le 20 février, des centaines de travailleurs recevaient des avis de congédiements et étaient remplacés de manière permanente par des briseurs de grève.

En ouvrant la réunion mardi après-midi, une chauffeuse d’autobus avec plusieurs années d’expérience a affirmé que ce n’était « pas une réunion du syndicat », mais une réunion « des membres, pour les membres ». Elle a soutenu que les travailleurs avaient « entièrement le droit d’avoir des réunions séparées du syndicat pour discuter d’enjeux, pour défendre nos intérêts et pour rester informés ».

Elle a fait l’éloge du courage des travailleurs et de leur solidarité pendant plus de quatre semaines sur les piquets de grève par une température glaciale, calomniés par Bloomberg et les médias qui les accusaient « d’abandonner les enfants ». Les médias et l’establishment politique n’ont pas fait mention de la situation des travailleurs des autobus scolaires, qui ne recevaient aucun salaire, aucune prime et aucune information de la part du syndicat. Elle a soutenu que la réunion était une opportunité pour discuter des questions qui n’avaient pas été abordées lors de la téléconférence du syndicat.

Elle a ajouté que la seule exception aux propos diffamatoires des médias ou au silence qu’ils maintenaient sur la situation a été le World Socialist Web Site, une remarque qui a provoqué des commentaires d’approbation dans l’audience. Elle a indiqué que les responsables syndicaux avaient appelé leurs membres pour leur dire qu’ils n’avaient pas le droit de participer à la réunion et que le WSWS était un « journal communiste ».

« Ils sont socialistes », a-t-elle dit. « Ils appuient les gens de la classe ouvrière. Les seuls qui les traitent de communistes sont les grandes entreprises et les riches. Ils étaient là chaque jour avec nous. »

Le deuxième interlocuteur, un chauffeur ayant participé à la grève de 1979 contre l’administration démocrate du maire Ed Koch, a dit que le syndicat avait mis fin à la grève sur la seule promesse faite par les politiciens démocrates pour gagner les votes des travailleurs et des parents. Il a mis en garde que ces politiciens n’allaient rien faire une fois élus et que ceux qui auraient perdu leurs emplois seraient placés sur des listes d’embauche qui les ramènerait, au mieux, à une paie de nouvel employé à 14,50 dollars l’heure.

Il a ajouté que le président de la section locale 1181, Michael Cordiello, se préparait à négocier avec les différentes sociétés séparément sans aucun contrat-cadre ou de date d’expiration commune, donc « garantissant que vous n’irez pas en grève, ou que si vous y allez, vous serez seul dans la rue ».

Il a dit que le syndicat se préparait à accepter des conditions similaires à celles qui prévalent parmi les travailleurs qu’il représente à Long Island, où les chauffeurs d’autobus travaillent à temps partiel à des salaires de misère.

Il a dit que les travailleurs devaient « se réveiller avant qu’il ne soit trop tard », car « ils sont en train de nous trahir ».

Le locuteur a ensuite invité Jerry White du World Socialist Web Site à parler, notant que le WSWS avait publié 40 articles sur la grève expliquant les questions politiques dans la lutte et fournissant le seul média à travers lequel « les membres peuvent s’exprimer sans biais ».

White a dit aux chauffeurs d’autobus que dès le début de leur lutte, le World Socialist Web Site a reconnu son immense importance pour l’ensemble de la classe ouvrière. Celle-ci, qui oppose des travailleurs gagnant 34 000 $ par année à un maire possédant plus de 25 milliards de dollars, incarne l’inégalité sociale qui imprègne la vie à New York et à travers le pays.

« Partout le refrain est le même : il n’y a pas d’argent, pendant que les profits des sociétés et de la Bourse montent en flèche et que ces sociétés trônent sur une fortune de 1,7 billion de dollars », a-t-il dit. « Donc lorsque vous avez entamé votre lutte – dans la ville la plus peuplée du pays et le centre financier du capitalisme américain – des millions de travailleurs à travers la ville, le pays et le monde étaient inspirés de voir la classe ouvrière américaine résister aux élites patronale et financière. »

Dès le début de la grève, a-t-il ajouté, il a été clair que « l’ATU et les autres syndicats de la ville n’avaient aucune intention de mener le type de lutte nécessaire pour vaincre Bloomberg et les intérêts des entreprises derrière lui. À la place, ils ont offert de mettre un terme à la grève et de négocier des concessions, même après que le National Labor Relations Board (NLRB) a jugé qu’elle était légale. »

White a mis en garde les travailleurs contre les syndicats qui prétendaient que les démocrates viendraient à leur rescousse. « Lorsqu’ils se retrouveront au pouvoir, ils attaqueront les travailleurs du transport scolaire et d’autres travailleurs de la ville aussi farouchement que Bloomberg », a-t-il dit, notant que le gouverneur démocrate de l’État de New York, Andrew Cuomo avait opposé son veto à une loi qui aurait garanti l’EPP aux travailleurs dans les futurs contrats avec la ville.

« Ce ne sont pas les amis des travailleurs – ils sont leurs pires ennemis », a dit White. « Mais ils sont les amis de Hanley, Cordiello et cie. Contrairement aux républicains, qui cherchent à se débarrasser des syndicats, les démocrates sont plus rusés et sophistiqués. Ils savent qu’ils peuvent atteindre les mêmes objectifs en travaillant avec les syndicats plutôt que sans eux. »

Le syndicat défendait des intérêts antagonistes à ceux des travailleurs ordinaires, a expliqué White, et étaient prêts à faire d’importantes concessions afin de pouvoir « continuer à recueillir les cotisations des prochains contingents de chauffeurs, même si ces derniers travaillent pour des salaires de misère sans la moindre sécurité d’emploi ».

Il a expliqué que cette situation ne se limitait pas qu’à la section locale 1181, mais qu’elle touchait les plus grands syndicats, comme la United Federation of Teachers, l’AFSCME et la TWU, qui avaient empêché que la grève des chauffeurs de bus scolaires ne se développe en un mouvement plus vaste de la classe ouvrière, ce qui aurait nui à leurs relations avec l’établissement politique et patronal de la ville. White a fait remarquer que le président du syndicat des enseignants avait fait partie de la commission Cuomo pour la privatisation de l’éducation publique et que cette dernière avait exigé la réduction des coûts du transport scolaire.

« Les travailleurs ont besoin d’une organisation qui va les unir et qui va lutter », a déclaré White. « Mais ils ont besoin d’une organisation contrôlée démocratiquement par les membres et qui défend leurs intérêts, pas les intérêts des dirigeants syndicaux ou ceux des patrons et des politiciens qu’ils servent. Vous réalisez une étape importante en organisant cette réunion. Les décisions que vous allez prendre vont être suivies attentivement par les travailleurs qui cherchent une solution dans cette ville, à travers le pays et internationalement. »

Répliquant à l’intimidation et à la chasse aux sorcières anticommuniste des syndicats, White a déclaré : « Nous sommes fiers d’être socialistes, car cela signifie lutter pour l’égalité sociale et placer les droits sociaux des travailleurs devant les profits des milliardaires… Nous disons que la classe ouvrière doit devenir maîtresse de la situation, créer un gouvernement des travailleurs véritablement démocratique et mettre un terme à la domination des banques et des Bloomberg de ce monde. »

Plusieurs travailleurs ont participé à la discussion qui a suivi la réunion. Certains se demandaient ce qui allait advenir d’eux si les contrats avec leurs entreprises actuelles n’étaient pas renouvelés et d’autres voulaient savoir comment empêcher le syndicat « de nous trahir à l’avenir ».

« Nous savons tous que notre propre syndicat nous a abandonnés », a dit un chauffeur d’autobus. Il a ensuite déclaré qu’il fallait s’unir : « Ça n’a pas d’importance si vous êtes Haïtien, Italien, ou Américain. Il n’y a pas de groupe ethnique à la table des riches, ce sont tous des riches. »

Une travailleuse du dépôt d’autobus de Ralph Avenue à Brooklyn a déclaré que « nous savons bien que le syndicat a violé nos intérêts. Ils nous ont violés parce que nous n’étions pas assez renseignés… Nous n’avons pas eu une seule rencontre avec le syndicat. »

Cette travailleuse a décrit comment, durant la grève, le syndicat avait dit aux grévistes de Ralph Avenue de se rendre à l’hôtel de ville pour manifester. À leur arrivée, ils ont vu qu’il n’y avait pas de manifestation. Ils ont appris plus tard que leurs représentants syndicaux les avaient éloignés des piquets de grève parce que l’entreprise leur avait dit qu’elle allait recevoir des briseurs de grève en entrevue cette journée-là et qu’il ne fallait pas « déranger les nouveaux postulants ».

« Ils leur ont dit de se débarrasser de nous, et ils l’ont fait », a-t-elle déclaré.

Une travailleuse de la compagnie de transport Hoyt a dit que ses collègues avaient été laissés seuls sur les piquets de grève. « Quand j’étais devant le dépôt, quand je pleurais, quand je criais, personne ne pouvait me voir. » Elle a demandé à ceux qui étaient à la réunion de « rester solidaires… d’être forts ensemble ». Elle a dit ne pas savoir ce qui allait arriver après juin. « L’entreprise n’est plus là. Je ne sais même pas si on va nous rappeler. »

Un autre travailleur a critiqué le syndicat pour avoir refusé d’organiser la principale manifestation durant une journée de semaine, lorsqu’elle eût pu avoir un impact sur la circulation, favoriser un bien plus grand niveau de participation et connaître une popularité bien plus importante. Le syndicat, a-t-il dit, « ne voulait rien faire qui aurait pu déranger les millionnaires et milliardaires de Wall Street ».

À la fin de la discussion, un vote a été pris pour la création d’un comité dont le rôle serait de maintenir la communication entre les travailleurs des différents dépôts et assurer l’unification des travailleurs dans la prochaine lutte contre les licenciements et les baisses de salaire.

(Article original paru le 23 février 2013)

 

 

 

 

 

 

 

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