Perspectives

Les médias américains, dix ans après la guerre en Irak

Au dixième anniversaire de l’invasion américaine en Irak, plusieurs attentats à la voiture piégée ont atteint hier des cibles chiites partout en Irak, tuant 65 personnes et en blessant au moins 200 autres. C'est un rappel sanglant des effets de l’occupation néocoloniale américaine de l’Irak, comprenant l’embrasement par Washington du conflit ethno-confessionnel et de l’escalade de la guerre en Syrie.

Les attentats d’hier ont eu lieu après une série d’attaques anti-chiites perpétrées par des partenaires d’al Qaïda en Irak, un groupe lié au Front al Nusra – actuellement la force motrice de l’opposition syrienne, soutenue par les Etats-Unis, et qui lutte pour le renversement du président Bachar al Assad.

Dans le contexte de ces atrocités continuelles, l’on ne peut qu'être écoeuré par les rétrospectives superficielles et trompeuses des médias américains sur la guerre en Irak. Ils présentent la guerre comme faisant définitivement partie du passé après les élections d’un gouvernement irakien et le retrait officiel d'Irak, en décembre 2011, des troupes américaines. Les mensonges et la criminalité avec lesquels l’impérialisme américain a poursuivi la guerre – qui a dévasté l’Irak et entraîné la mort d’environ 1,2 million d’Irakiens et de près de 4.500 soldats américains, tout en coûtant 2 milliers de milliards de dollars sont soit ignorés soit balayés d’un revers de la main comme étant des « ratés du renseignement. »

La population américaine a été poussée dans une guerre impopulaire, malgré des protestations de masse, une guerre fondée sur des mensonges et pour lesquels personne n’a eu de comptes à rendre. Les preuves avancées pour montrer que l’Irak possédait des armes de destruction massive (ADM) ont été fabriquées par des responsables américains, dont par le discours prononcé en 2003 par le secrétaire d’Etat, Colin Powell devant l’ONU. Le président américain George Bush et le vice-président, Dick Cheney, ont trompeusement affirmé que les Etats-Unis devaient attaquer l’Irak pour empêcher qu’il s’allie à al Qaïda – qui opère actuellement en Syrie comme force intermédiaire des Etats-Unis.

Compte tenu de l’ampleur des crimes et de la dévastation causée par la guerre en Irak, la réaction des médias américains ont un caractère orwellien. Dix ans après une massive campagne médiatique pour faire pression sur la population pour qu’elle soutienne la guerre d’agression, il n’existe aucun examen sérieux des événements qui ont contribué à cette catastrophe. L’histoire se réduit à des bulletins d’information de deux minutes et à de brefs articles.

Le New York Times a publié une liste de brefs commentaires d’universitaires et d’agents de l’Etat intitulé « Cela en valait-il la peine ? » Le professeur de l’université de Harvard et ancienne conseillère adjointe à la sécurité nationale, Meghan O’Sullivan, a avancé l’argument immonde suivant, « Croyez-le ou non, nous sommes plus en sécurité maintenant » après la guerre. En reprenant les mensonges sur les ADM, elle a affirmé que sans l’invasion de l’Irak, « Il est du moins concevable que Saddam [Hussein, l’ancien président de l’Irak] aurait aujourd'hui l’arme nucléaire. »

Le Washington Post a écrit que l’Irak « titube entre progrès et chaos, » en reconnaissant qu'une guerre sectaire est en cours mais en citant le commentaire du gouverneur de Najaf, Adnan Al-Zurfi disant, « La plupart des gens ont actuellement un bon boulot et de nombreuses opportunités. » Mis à part le fait que c’est un mensonge, et même si c'était vrai, cela ne justifierait pas une invasion américaine et l’occupation de l’Irak.

Les experts des médias, qui ont tout particulièrement promu la guerre – dont Thomas Friedman et Richard Cohen du New York Times et David Ignatius du Washington Post – n’ont pas abordé la question de l’anniversaire. Friedman n’a pas ressenti le besoin de fournir une quelconque explication pour sa tristement célèbre déclaration au sujet de l'Irak qu’« une guerre pour le pétrole ne lui posait aucun problème.»

Les chroniqueurs du Post ont été, quant à eux, trop occupés à réclamer une guerre avec la Syrie pour faire un bilan de leurs articles sur l'Irak. Saluant l’envoi de missiles antiaériens aux combattants de l’opposition syrienne, Ignatius a préconisé une occupation de la Syrie, menée par les Etats-Unis. Il écrit, « Soyons sincère : Assad une fois parti et la Syrie enfin en train de reconstruire son Etat, elle aura besoin d’une massive aide économique et militaire étrangère – incluant probablement des troupes de maintien de la paix de la Ligue arabe ou même d’un pays de l’OTAN comme la Turquie. »

En 2003, Cohen était ravi du fait que les mensonges de Colin Powell sur les ADM à l’ONU signifiaient « un homme raisonnable exposant des motifs raisonnables » – un jugement que, comme l’avait fait remarquer le WSWS, Cohen avait prononcé tandis qu'il écrivait frénétiquement sur son ordinateur « avant même que Powell ait fini de parler » afin de finir son article dans les délais imposés par son journal. Cette fois encore il a hâte de dissiper les préoccupations concernant un « retour de flamme » ou des conséquences imprévues résultant d’un armement d’al Qaïda en Syrie.

Les Etats-Unis devraient simplement aller attaquer Assad, écrit Cohen. « Le retour de flamme est maintenant une réalité. Il n’y a pas de moyen sûr de l’éviter, seulement de le contenir. Cela ne peut se faire qu’en armant rapidement les modérés et en faisant pression pour une fin aussi rapide que possible de la guerre. »

Les remarques belliqueuses de Cohen reflètent l’émergence d’un groupe d’enthousiastes pro-guerre au sein de la presse anciennement politiquement libérale et favorable au Parti démocrate.

La promotion d’une guerre agressive par les médias et qui forme maintenant la base incontestée de la politique américaine au Moyen-Orient, s'expose à la même condamnation que celle émise contre les cadres de haut niveau de la machine de propagande nazie. La résolution 110 des Nations unies, votée après les procès de Nuremberg, a censuré « toute forme de propagande, dans tous les pays, qui tente de provoquer ou d’encourager toute menace contre la paix, toute violation de la paix ou tout acte d’agression. »

Malgré les coûts humains et financiers incalculables de la guerre, certains ont bien profité de l’Opération Liberté en Irak.

La guerre a mis en faillite les Etats-Unis et dévasté l’Irak dont les champs pétrolifères sont actuellement pillés par des firmes occidentales, parmi lesquelles on compte Exxon Mobil, PB, Chevron, Shell et l’entreprise de Cheney, Halliburton. L’Irak est même confronté à une pénurie d’énergie et de nombreux civils irakiens manquent toujours d’électricité et d’eau courante, étant donné que 80 pour cent du pétrole irakien est exporté par des firmes étrangères. Elles travaillent en étroite collaboration avec l’énorme ambassade américaine, qui est dissimulée à Bagdad dans la zone verte encore fortifiée, pour surveiller le premier ministre irakien Nouri al-Maliki.

Les projets de guerre américains en Iran et en Syrie découlent inévitablement du crime initial commis en Irak. Craignant que sa mise en place en Irak d’un régime chiite n’ait infléchi l’équilibre du pouvoir régional trop en faveur de l’Iran, les Etats-Unis ont laissé les monarchies du golfe persique armer les forces droitières sunnites, dirigées par Al-Nusra, contre la Syrie, un allié clé de l’Iran. Comme le bombardement d’hier l’a montré, l’Irak se retrouve une fois de plus au milieu de ces projets de guerre.

Dix ans après le début de la guerre en Irak, les guerres de l’impérialisme américain se poursuivent au Moyen-Orient, de nouvelles guerres sont planifiées et les criminels politiques qui en sont responsables, ainsi que leurs propagandistes des médias, restent impunis.

(Article original paru le 20 mars 2013)

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