La crise diplomatique à propos de l’espionnage de la NSA en Europe s’accroît

Dans le contexte d’une crise diplomatique croissante à propos de l’espionnage électronique de masse de l’agence de sécurité nationale (NSA), les responsables européens s’en sont pris aux activités d’espionnage américaines pratiquées en Europe, dont la mise sur écoute de la chancelière allemande, Angela Merkel. Ils ont rejeté les affirmations du chef de la NSA, le général Keith Alexander, selon lesquelles la NSA s’était entièrement appuyée sur les agences de renseignement européennes pour mener ses activités d’espionnage. 

Elmar Brok, un eurodéputé allemand et un membre du parti droitier Union chrétienne-démocrate (CDU), qui avait été envoyé par Berlin à Washington pour des discussions portant sur l’espionnage de la NSA, a dit, « Il y a une coopération entre les Américains et les Européens en matière de terrorisme et de cybercriminalité. La question n’es pas ce qui se fait en coopération, » a dit Brok. Il a précisé qu’Alexander avait « dit à l’époque qu’il agissait unilatéralement en tant que NSA… en Europe, » en ajoutant que c’était là quelque chose qu’il « ne pouvait pas accepter. »

Brock a ajouté que malgré son témoignage fait mardi au Congrès, Alexander « a clairement indiqué que la NSA espionnait en Allemagne, y compris Merkel, mais aussi les citoyens, sans en aviser les autorités allemandes. » 

Les responsables européens insistent pour limiter l’espionnage par la NSA des gouvernements et des hauts responsables européens tout en camouflant l’espionnage pratiqué par les agents de renseignement américain et européen contre la population en Europe et dans le monde. 

Il existe un grand nombre de nouvelles révélations sur les activités d’espionnage américaines contre ses prétendus « alliés » en Europe. Le quotidien grec Ta Nea a cité des documents publiés par l’ancien employé de la NSA Edward Snowden et qui identifient l’ambassade américaine à Athènes comme un centre d’activités d’espionnage électronique. Cet espionnage est effectué par le centre d’écoute Special Collection Service (SCS) géré conjointement par la CIA et la NSA.

Le journaliste d’investigation britannique, Duncan Campbell, qui avait identifié, pour le compte du magazine allemand Der Spiegel, l’ambassade américaine à Berlin comme centre d’espionnage, a affiché sur son site Internet un article identifiant plusieurs installations diplomatiques américaines de centres d’espionnage ciblant l’Europe. Les documents divulgués par Snowden montrent que la NSA réalise des opérations d’espionnage qui ciblent au moins 35 chefs d’Etat, à partir d’installations se trouvant en Allemagne, en France, en Italie et en Espagne.

L’article de Campbell comporte des photos qui suggèrent que le consulat américain à Genève et les ambassades américaines à Stockholm, Varsovie, Bruxelles et dans la capitale chypriote Nicosie abritent tous des équipements de surveillance électronique identiques à ceux qui se trouvent à l’ambassade américaine à Berlin.

D’autres gouvernements européens ont aussi dénoncé les affirmations d’Alexander selon lesquelles l’espionnage de la NSA était effectué par des agences européennes. La porte-parole du gouvernement français, Najat Vallaud-Belkacem, a qualifié les « dénégations » d’Alexander de la responsabilité américaine pour l’espionnage électronique de la NSA de « peu vraisemblables ». Ces opérations incluent la collecte de plus de70 millions de communications téléphoniques ou de messages SMS en France et de 60 millions en Espagne, réalisées par la NSA en l’espace d’un mois au début de l’année.

Elle a insisté pour dire qu’il fallait « faire la lumière sur les pratiques [des services secrets américains], » en réclamant un « code de bonne conduite » sur l’espionnage et a ajouté, « nous ne pouvons pas laisser le doute s’installer entre partenaires. »

Un diplomate du Quai d’Orsay à Paris a rejeté sous l’anonymat les démentis d’Alexander en les jugeant « extravagants ». Il a poursuivi en disant. « Ne renversons pas les choses. Que M. Alexander expose sur la place publique l’explication de données qui ne nous ont pas été transmises est un procédé pour le moins curieux. »

S’exprimant hier devant le parlement espagnol, le premier ministre, Mariano Rajoy, a dit : « Le gouvernement espagnol prend très au sérieux les comptes rendus des médias concernant la question de l’espionnage. »

Lundi, le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel García-Margallo, a prévenu que si Madrid découvrait que les Etats-Unis avaient effectué des activités d’espionnage en mettant sous écoute des téléphones privés – comme le montrent des documents divulgués par Snowden – cela porterait atteinte aux relations entre les Etats-Unis et l’Espagne. Il a dit que « cela pourrait provoquer une rupture du climat de confiance qui a traditionnellement existé entre nos deux pays. »

Le Parquet espagnol a décidé d’ouvrir une enquête préliminaire officielle sur les activités de la NSA et de la CIA en Espagne.

Les responsables européens s’efforcent aussi de dissimuler leurs rapports avec les activités d’espionnage américaines qui, comme le montrent les divulgations de Snowden, révèlent qu’il existe aux Etats-Unis et en Europe une infrastructure de surveillance, qui a tout sauf en nom de celle d’un Etat policier. Les capacités de surveillance électronique dont disposent les Etats-Unis et leurs alliés et qui visent des centaines de millions de personnes internationalement, dépassent de loin en Europe celles des Etats policiers du siècle dernier.

Plusieurs opérations d’espionnage électronique de masse en Europe, dont celles conduites par le service de renseignement électronique du gouvernement britannique, le Government Communications Headquarters (GCHQ), et la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en France, ont déjà été révélées.

En Espagne, le ministre des Affaires étrangères, Margallo, a refusé de donner des précisions sur les opérations menées par la principale agence de renseignement espagnole, le Centre d’intelligence national (CNI) et son éventuelle coopération avec la NSA. « Je n’ai aucune trace des actions de notre service de renseignement, le CNI, ni à l’intérieur ni à l’extérieur de nos frontières, et qui, par définition, sont classées, » a-t-il dit. 

Les documents divulgués par Snowden montrent que la DGSE française a conclu un accord de coopération avec la NSA pour coordonner leurs activités d’espionnage électronique, connu sous le nom de code « Lustre », selon une source des services secrets français qui avait parlé au journal Le Monde. Ces accords ont été signés fin 2011.

En contrepartie des copies de l’ensemble du trafic Internet passant par la France et données à Washington – celle-là est un important point de transit pour les activités Internet provenant de régions sensibles comme l’Afghanistan et l’Afrique – la DGSE a reçu des données du trafic Internet de la NSA passant par des points de connexion contrôlés par les Etats-Unis.

« C’est un troc qui s’est institué entre la direction de la NSA et celle de la DGSE. On donne des blocs entiers sur ces zones et ils nous donnent, en contrepartie, des parties du monde où nous sommes absents, mais la négociation ne s’est pas effectuée en une fois, le périmètre du partage s’élargit au fil des discussions qui se prolongent encore aujourd’hui, » ont dit les responsables de la DGSE.

Ils ont toutefois ajouté qu’alors que « ces échanges de données » existaient entre les services secrets français et américains, ils démentaient « catégoriquement » que Paris avait transféré 70 millions de communications interceptées à Washington.

(Article original paru le 31 octobre 2013)

Voir aussi :

De nouvelles preuves que la NSA espionne la France et le Mexique

[30 octobre 2013]

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