Les négociations de Genève sur le programme nucléaire iranien sont prolongées

À la suite des deux jours de discussions initialement prévus, les négociations de Genève sur les programmes nucléaires iraniens ont été prolongées pour la fin de semaine. Les ministres des affaires étrangères du groupe P5+1 (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine et Allemagne) sont arrivés sur place pour tenter de finaliser un accord provisoire qui permettrait de détendre la confrontation prolongée avec Téhéran voulue par les États-Unis.

Le ministre américain des affaires étrangères John Kerry hier a déçu ceux qui s'attendaient à un accord. « Il y a d'importantes divergences à réduire… Je veux insister là-dessus : il n'y a pas d'accord à ce moment précis, » a-t-il dit à son arrivée à Genève. Kerry devait rencontrer la nuit dernière le ministre iranien des affaires étrangères, Javad Zarif, et la principale responsable des négociations du côté européen Catherine Ashton, ainsi que les ministres des affaires étrangères de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Allemagne.

Seules les grandes lignes d'un accord provisoire ont transparu dans les médias. Washington et ses alliés insistent pour que l'Iran cesse d'enrichir son uranium jusqu'au taux de 20 pour cent, rende l'essentiel de son stock de ce produit inutilisable pour des enrichissements supplémentaires, s'abstienne d'utiliser des centrifugeuses de type IR-2 qui sont plus efficaces, et ne mette pas en fonctionnement son réacteur à eau lourde situé à Arak. Téhéran a nié à plusieurs reprises les accusations occidentales qui prétendent qu'il veut construire une arme atomique, laquelle requiert de l'uranium enrichi à 90 pour cent.

En retour, les États-Unis offrent à l'Iran ce que le président Barack Obama a décrit comme « un relâchement très modeste » du régime de sanctions qui ont dévastées l'économie du pays. L'Iran recevrait un accès limité aux dizaines de milliards de dollars gelés dans les banques étrangères et aurait le droit de vendre des métaux précieux et des dérivés du pétrole. Les sanctions les plus sévères – contre les exportations de pétrole et les banques du pays – resteraient en place.

Dans son entretien accordé à NBC news, Obama a insisté sur l'idée que les États-Unis garderaient « l'architecture des sanctions en place » et « tirer[raient] la sonnette d'alarme » si l'Iran n'obtempérait pas aux demandes de son administration. Il a également insisté sur l'option militaire – c'est-à-dire une attaque militaire américaine sans provocation – qui reste possible si Téhéran ne gèle pas activités nucléaires.

Les responsables américains ont insisté sur l'idée que tout accord passé cette semaine ferait partie d'une négociation en plusieurs phases qui viserait à mettre en place des limitations permanentes au programme nucléaire iranien en échange de la levée complète des sanctions. En ce qui le concerne, Washington voit la question nucléaire comme une partie d'un plan bien plus large visant à éliminer l'obstacle que constitue le régime iranien à ses ambitions de domination du Moyen-Orient et de l'Asie centrale.

Cependant, la simple idée d'un accord provisoire à Genève est rejetée par les alliées des Américains au Moyen-Orient et au Congrès des États-Unis. Avant de se rendre à Genève hier, Kerry a rencontré le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour tenter de l’apaiser au sujet de cet accord. Netanyahu, a cependant dénoncé l'accord envisagé avec aigreur – que ce soit avant ou après cette rencontre.

Netanyahu a qualifié cet accord de « très mauvais marché » et a insisté pour que Kerry le reconsidère. L'Iran selon lui bénéficierait du « marché du siècle, » il a ajouté : « l'Iran n'est même pas obligé de démanteler une seule centrifugeuse. Mais la communauté internationale retire des sanctions contre l'Iran pour la première fois depuis des années. »

Ces remarques sont parfaitement hypocrites. Israël a non seulement son propre arsenal nucléaire, mais il mène depuis des dizaines d'années toute une série d'agressions sans y avoir été provoqué. Le gouvernement israélien insiste pour que l'Iran démantèle tous ses programmes d'énergie nucléaire, c'est-à-dire pour qu'il capitule complètement, avant que la moindre sanction ne soit levée.

Dans une déclaration particulièrement menaçante, Netanyahu a déclaré : « Israël n'est pas obligé par cet accord et Israël fera tout ce qu'il faut pour se défendre et défendre la sécurité de son peuple. » Comme les États-Unis, Israël a menacé à plusieurs reprises l'Iran d'une attaque militaire. Il y a tout juste une semaine, les chasseurs israéliens ont frappé des cibles n Syrie – une opération qui visait non seulement le régime syrien, mais aussi son allié l'Iran.

Si Israël ne risquera pas à lancer une attaque de grande envergure contre l'Iran sans un soutien des États-Unis, il est tout à fait capable de monter des provocations pour faire échouer cet accord. Avec le soutien tacite de Washington, les agences de renseignement israéliennes ont mené des années durant une campagne secrète d'assassinats et de sabotage contre les programmes nucléaires iraniens, y compris le meurtre de scientifiques iraniens de haut niveau.

En condamnant l'accord envisagé sur le nucléaire, Netanyahu a ajouté : « ce que je dis est partagé par beaucoup, beaucoup dans la région, qu'ils l'expriment publiquement ou non. » Bien qu’elle ait maintenu un silence officiel hier, l'Arabie saoudite est fortement opposée à tout rapprochement des États-Unis avec l'Iran, qui est son principal rival dans la région. Le régime saoudien est également irrité par la décision du gouvernement Obama en septembre de suspendre le lancement d'une guerre aérienne contre la Syrie. Le chef des renseignements saoudiens, le prince Bandar bin Sultan, aurait dit aux diplomates européens à la fin du mois que son gouvernement envisageait un « changement majeur » par rapport à son alliance de longue date avec les États-Unis.

Tout accord obtenu à Genève se verra opposé par le Congrès américain, où le gouvernement Obama a dû mettre tout son poids pour faire échouer les projets d'imposer des sanctions encore plus fortes à l'Iran juste avant le début des négociations. Une telle preuve de mauvaise foi aurait très probablement écarté toute chance d'obtenir un accord avant même le début des négociations. Jeudi, quand les négociations ont commencé, le président de la Commission bancaire du Sénat, Tim Johnson, a indiqué qu'il ferait pression pour de nouvelles sanctions dès que les négociations de Genève seront terminées.

Des sections importantes de la classe dirigeante iranienne soutiennent l'initiative diplomatique du nouveau président Hassan Rohani de tenter de parvenir à un accord avec Washington pour mettre fin à des décennies d'isolement économique et diplomatique, et d'ouvrir le pays aux investisseurs étrangers. Si Rohani a en ce moment le soutien du Guide suprême, l'Ayatollah Ali Khamenei, il pourrait le perdre si les États-Unis ne font aucune concession importante ou ne respectent pas leurs promesses – comme ce fut le cas par le passé.

Rohani a joué un rôle central dans les négociations nucléaires avec le groupe appelé UE3 – Grande-Bretagne, France et Allemagne – entre 2003 et 2005. En signe de bonne foi, l'Iran avait cessé ses opérations d'enrichissement de l'uranium et autorisé des inspections internationales à pénétrer sur ses sites nucléaires, dans l'espoir que les États-Unis et leurs alliés européens accordent des concessions en échange. Cet arrangement a échoué quand les États-Unis sont parvenus à empêcher toute proposition importante du côté occidental puis ont rapidement monté des menaces militaires contre l'Iran.

(Article original paru le 9 novembre 2013)

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