Allemagne: un mini-congrès du SPD approuve des négociations pour une grande coalition avec les conservateurs.

Dimanche 20 octobre, un congrès réunissant les figures influentes du Parti social-démocrate allemand (SPD) a accepté d’entamer des négociations en vue d’une coalition avec les partis conservateurs de l’Union, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et l’Union chrétienne-sociale (CSU). Entre deux congrès, ce congrès représente le plus haut organe de décision du SPD. 196 délégués ont voté en faveur de négociations en vue d'une coalition, 31 ont voté contre et 2 se sont abstenus. La majorité préconisant le projet a été plus importante qu’initialement prévue. Les négociations avec le CDU et le CSU devraient démarrer mercredi.

Au cours des dernières semaines, un certain nombre de figures du SPD avaient mis en garde contre une participation à une coalition avec les conservateurs dans des conditions où il serait traité au gouvernement comme un partenaire subalterne. Ces voix sont toutefois restées en grande partie silencieuses lors du congrès de dimanche. Un petit groupe de protestataires s’était posté devant le siège du SPD à Berlin et avait distribué des tracts appelant à une coalition différente, avec les Verts et le parti La Gauche (Die Linke). Dans la salle de conférence, cependant, il y eut une unité quasi totale pour la conclusion d’un accord avec les partis de l’Union.

La ministre-présidente du Land de Rhénanie-du-Nord/Westphalie, Hannelore Kraft, qui, après les récentes élections, s’était exprimée plusieurs fois contre une grande coalition, a joué le rôle principal dans le recherche d’un consensus. Dans le discours qu’elle a prononcé dimanche, Kraft a activement soutenu des négociations en vue d’une coalition et affirmé que la responsabilité politique incombait désormais au SPD de garantir que les partis de l’Union ne bénéficient pas d'un monopole de la décision politique. Les sociaux-démocrates devaient au moins s’efforcer d’améliorer la situation des travailleurs à bas revenu et de ceux ayant des emplois précaires, a-t-elle déclaré, sous les applaudissements des délégués.

En fait, une telle rhétorique n’est que de la poudre aux yeux visant à camoufler le véritable caractère d’une grande coalition. Le catalogue des revendications sociales adopté par le congrès pour servir de base à des négociations pour une coalition sert aussi à passer sous silence le réel programme de coupes sociales et de réduction des salaires qui sera celui du prochain gouvernement. 

La direction du SPD avait distribué aux délégués une liste de dix revendications « essentielles » pour la formation d’une coalition avec les partis de l’Union. Ce document stipulait qu’« au cœur des dix objectifs se trouvait la politique du marché du travail et l’imposition d’un salaire minimum légal de 8,50 euros de l’heure. »

Les revendications incluent encore « de meilleures mesures contre la pauvreté des personnes âgées », une « transition plus flexible vers la retraite » et une augmentation des cotisations des employeurs à l’assurance dépendance. Sous le point « Egalité des sexes » le SPD réclame des « règles contraignantes pour que plus de femmes accèdent à des postes de direction ». Le document appelle aussi à investir dans les infrastructures et dans l’éducation, à introduire un impôt sur les transactions financières et une « stratégie de croissance pour l’Europe. »

Le SPD, en tant que parti responsable de l’Agenda 2010, est à l’origine des attaques les plus brutales menées contre l’Etat social depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. Durant la campagne électorale, il avait cherché à dissimuler son programme antisocial à l’aide d’une phraséologie réformiste, réclamant une augmentation des impôts et l’abolition de la subvention à la garde d’enfants (« Betreuungsgeld ») mise en place par le CDU.

Le SPD a maintenant abandonné ces revendications afin de signaler une volonté sans réserve de coopération avec les partis de l’Union. En échange, une partie du CDU et du CSU est disposée à soutenir la revendication social-démocrate en faveur d’un salaire minimum.

Dans un entretien accordé à Spiegel Online, la ministre-présidente du Land de Thuringe, Christine Lieberknecht, a déclaré : « Tout comme le SPD, je veux un salaire minimum pour l’ensemble de l’Allemagne. » L’unique objection qu’elle a formulée est que le salaire minimum ne soit pas fixé par le parlement mais par une commission indépendante.

L’exigence d’un salaire minimum joue un rôle clé à plusieurs égards dans la préparation du programme réactionnaire d’un gouvernement de grande coalition. D’abord, le niveau de vie des salariés à faible revenu ne serait pas amélioré par l’introduction d’un salaire minimum bas. Au lieu de cela, la mesure servirait à délester les caisses sociales qui subventionnent les bas salaires existants. Les spécialistes escomptent des économies de l’ordre de 4 milliards d’euros par an. Le salaire minimum constituerait aussi un indice de référence qui ferait baisser les salaires en général. Ensuite, c’est une mesure qui jouit d’un appui ferme des syndicats, de Die Linke et des organisations de la pseudo-gauche et contribue à les intégrer dans une grande coalition destinée à attaquer l’Etat social.

Les Verts soutiennent aussi une alliance multipartite dirigée contre la vaste majorité de la population. Ils ont également organisé une conférence la semaine passée lors de laquelle ils ont réorganisé leur direction dans le but de préparer le parti en vue de futures coalitions avec le CDU. Des discussions exploratoires de neuf heures des Verts avec le CDU, la semaine passée, ont été présentées comme un grand succès en dépit du fait que les partis de l’Union aient rejeté leurs propositions. Cem Özdemir, le seul Vert influent à avoir été réélu, a déclaré qu’une large et incroyable unanimité avait prévalu de part et d’autre durant ces discussions.

En fait, les questions qui n’ont pas été soulevées publiquement lors des négociations en vue d'une prochaine coalition revêtent une importance bien plus grande que les dix revendications « essentielles » du SPD.

Parmi ces questions il y a celle des droits démocratiques. Cette question n’a pas été soulevée lors de la réunion du SPD malgré les divulgations faites par Edward Snowden quant à l'espionnage en grand de millions de citoyens par la NSA, l’agence de sécurité nationale américaine, et les services de renseignement allemands (BND). L’implication évidente de ces derniers dans les activités criminelles et les meurtres perpétrés par le gang néo-nazi NSU (Groupe clandestin national-socialiste) n’a pas non plus été abordée. Compte tenu du programme d’attaques sociales massives, le CDU, tout comme le SPD, sont d'accord pour que les structures autoritaires actuelles du pouvoir soient maintenues et élargies. 

Le sort des réfugiés n’a pas non plus été inclus dans les desiderata du SPD bien que certains politiciens SPD eussent, hypocritement, déploré la mort il y a deux semaines de 360 réfugiés à Lampedusa.

Un autre sujet passé sous silence a été la future politique étrangère de l’Allemagne et ce, bien qu’il s’agisse peut-être là du domaine où auront lieu les changements les plus importants. Pour le SPD comme pour les partis de l’Union l’Allemagne doit à l’avenir jouer un rôle bien plus agressif en Europe et dans le monde, mais ils préfèrent ne pas traiter de cette question en public.

Les médias et les groupes de réflexion semi-officiels allemands réclament depuis longtemps une relance de la politique d’hégémonie allemande. La semaine passée, l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (Stiftung Wissenschaft und Politik, SWP) a publié une étude détaillée sur le thème « Nouveau pouvoir, nouvelle responsabilité ». Cette étude, qui a été rédigé en coopération avec le Fonds Marshall allemand des Etats-Unis (GMF, Washington), exige que l’Allemagne assume plus de responsabilités en Europe et internationalement.

Dans un compte rendu de cette étude publié sur le portail d’information Globales Europa le journaliste Hermann Bohle, âgé de 85 ans, écrit : « La volonté allemande d'assumer la responsabilité ne peut se voir réalisée que sur le plan européen. Bismarck s’était déjà plaint (le 1er mars 1870 devant le Reichstag [parlement] allemand du Nord) de ce que la peur d’assumer des responsabilités était 'une maladie de notre temps’. Peu de choses ont changé jusqu'à 2013 en Allemagne, mais il faudra bien que cela change. »

La référence faite au 1er mars est significative. A peine quatre mois plus tard, Bismarck, comme on le sait, assumait la « responsabilité » en provoquant la guerre franco-allemande qui devait inaugurer le rôle de grande puissance joué par l’Allemagne.

Au vu d'un « déclin américain » qui prend des formes de plus en plus dramatiques avec l’accroissement de la crise américaine de la dette et du budget, Bohle écrit que les Etats-Unis ne sont que partiellement en mesure « de garantir l’ordre international en tant que puissance hégémonique mondiale. » Par conséquent, la prochaine coalition à Berlin doit assumer une plus grande responsabilité pour ce qui est de la politique mondiale.

En optant en faveur d’une grande coalition, le SPD poursuit agressivement la tradition de la politique hégémonique allemande dans laquelle ce parti a joué un rôle central et désastreux, votant il y a cent ans pour les crédits de guerre et lançant ainsi la première Guerre mondiale.

Ce n’est pas par hasard que les médias réactionnaires ont salué la décision du SPD. Lundi, le journal Die Welt commentait : « Ces sociaux-démocrates peuvent être fiers d’eux-mêmes. ». Le SPD « qui avait débuté comme protecteur du petit peuple et comme défenseur de ceux qui désirent s’instruire et progresser, est présent lorsque le pays a besoin de lui. » Une fois de plus, il plaçait la nation au-dessus du parti. « L’Allemagne doit beaucoup aux 150 ans de social-démocratie. »

(Article original paru le 23 octobre 2013)

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