Le ministre allemand de la défense vante les mérites de la participation allemande à la guerre en Afghanistan

« Kunduz, c'est l'endroit où l'armée allemande (Bundeswehr) a combattu pour la première fois et a dû apprendre comment se battre, » a déclaré le ministre de la défense Thomas de Maizière dimanche dernier durant le transfert du camp allemand de Kunduz aux forces de sécurité afghanes.

Sa remarque résume l'importance pour l'élite dirigeante allemande de la mission de la Bundeswehr dans cette province du Nord de l'Afghanistan pendant dix ans. L'armée allemande et plus encore le public allemand – qui conserve une profonde aversion pour le militarisme issue des horreurs de deux guerres mondiales – doivent se réhabituer à ce que des soldats tuent et se fassent tuer dans l'intérêt de l'impérialisme allemand.

De Maizière a dit de Kunduz que c'était « un tournant – non seulement pour l'armée, mais aussi pour la société allemande… Kunduz a marqué l'armée allemande comme aucun autre lieu. Un lieu qui a été construit et pour lequel on s'est battu, où des larmes ont été versées et de la consolation donnée, où les soldats ont tué et senti la bataille. »

Le Général Jörg Vollmer, qui commandait les troupes allemandes au Nord de l'Afghanistan depuis le début de l'année, a déclaré au Tagesschau qu'après onze ans, une armée différente rentrait en Allemagne. « Ce fut la première fois que des soldats avaient à tuer, mais aussi la première fois qu'ils ont vus des camarades tomber et des blessés. »

Un autre officier, qui a été déployé deux fois à Kunduz, s'est vanté que les opérations de combat à Kunduz ont débarrassé les forces armées de leur réputation d'être une « armée de poltrons… l'image de gros allemands mangeant des gâteaux et qui jouent au football l'après-midi a disparu après le premier mort au combat, » a-t-il déclaré au Tagesschau. « À Kunduz, dans pratiquement chaque patrouille, j'ai été en situation de me demander : est-ce que tu dois tirer sur cet homme à moto là-bas juste parce qu'il est assis tout seul sur sa machine et qu'il pourrait être un assassin ? »

La mission de la Bundeswehr à Kunduz a commencé à l'automne 2003, sous le gouvernement de coalition sociaux-démocrates (SPD) et Verts, et avait pour tâche de prendre en charge le Provincial Reconstruction Team (PRT) des États-Unis. Le chancelier Gerhard Schröder (SPD) avait déclaré à l'époque que l'armée « assurerait la sécurité des efforts de reconstruction dans la province de Kunduz au Nord de l'Afghanistan » avec une force de 250 soldats. Il affirma que l'intervention aurait un caractère civil. Les soldats allemands protégeraient des ouvriers du bâtiment, répareraient des routes, des écoles et des hôpitaux, et entraîneraient les officiers de police.

Mais les forces allemandes se sont rapidement retrouvées impliquées dans des batailles acharnées. Par moments, plus de 1400 soldats étaient stationnés dans le camp. Sur les 54 soldats allemands qui ont perdu la vie en Afghanistan, 20 sont morts dans la région de Kunduz.

La Bundeswehr a agi encore plus brutalement contre la population civile. Cela a atteint son maximum de sang versé le 4 septembre 2009, quand le colonel Georg Klein a ordonné le bombardement d'un camion-citerne volé contenant du carburant, qui a tué 140 civils. Alors que Klein avait clairement violé les règles d'engagement des combats, il a été par la suite promu au grade de brigadier général. Toutes les procédures disciplinaires et pénales contre lui ont été interrompues. (Lire en anglais : A Murderous Decision).

La Bundeswehr transfère maintenant le camp de Kunduz, avec ses équipements évalués à 25 millions d'euros, à l'armée afghane et à la police. À la fin du mois, les 900 soldats de la Bundeswehr y restant encore devront avoir quitté Kunduz.

Cela ne signifie cependant pas que la mission allemande en Afghanistan soit terminée. Le quartier général allemand à Mazar-e-Sharif, à 200 km de là, ainsi que des bureaux dans la capitale, Kaboul, resteront. La Bundeswehr conserve une zone fermée comme base à Kunduz, elle contiendra 300 soldats qui apporteront un soutien aux forces de sécurité afghanes.

L'OTAN est en train de négocier avec le gouvernement afghan une mission qui prendrait le relais de la mission actuelle, nommée « Resolute Support », elle devrait impliquer jusqu'à 800 soldats allemands.

Le transfert du camp allemand de Kunduz a été présenté comme un grand succès. Le ministre de la défense de Maizière et le ministre des affaires étrangères Guido Westerwelle ont tous deux participé à une cérémonie grotesque, au cours de laquelle ils ont confié deux énormes clefs en bois, peintes aux couleurs du drapeau allemand, aux ministres afghans de l'intérieur et de la défense.

Il y a des doutes sérieux, cependant, sur la capacité du gouvernement afghan à contrôler la région après le retrait des troupes allemandes. En raison d'un manque complet de confiance dans leurs « alliés » afghans, les Allemands ont demandé aux soldats et policiers afghans de décharger leurs armes avant de participer à la cérémonie de transfert.

Peu avant ce transfert, des combats ont eu lieu entre les Talibans et la police et plusieurs politiciens importants ont été tués par des combattants talibans dans la région ces dernières semaines.

L'occupation de l'Afghanistan par l'alliance militaire dirigée par les États-Unis fut au départ justifiée au nom des attentats terroristes du 11 septembre 2001, et de ce que les talibans afghans abritaient Al Qaïda. En fait, la conquête du pays a été préparée bien avant et a servi les intérêts géopolitiques américains. L'Afghanistan occupe une région clef qui sert de passage entre les régions du Golfe persique et l'Asie centrale, ainsi qu'entre le Sous-continent indien et l'Iran.

L'Allemagne a participé à la guerre pour garantir ses propres intérêts en Asie centrale, l'ex-ministre de la défense Peter Struck (SPD) l'a implicitement admis quand il a déclaré que l'Allemagne « sera défendue dans l'Hindu Kush. » Les objectifs impérialistes de l'intervention ont également déterminé la forme de la guerre. En dépit de la propagande sur l'aide à la reconstruction, la Bundeswehr est intervenue comme une armée d'occupation, et s'est rapidement retrouvée en conflit avec la population locale, qu'elle a réprimée encore plus brutalement.

Si la population allemande accueille favorablement le retrait partiel d'Afghanistan, les cercles dirigeants eux, considèrent cela comme un modèle important pour les interventions militaires futures. Un commentaire paru dans le Süddeutsche Zeitung critique ainsi le gouvernement allemand pour n'avoir pas réussi à développer une politique militaire suffisamment agressive.

« Merkel et Westerwelle s'en sont tirés à bon compte et n'ont tiré les leçons du cas difficile de l'Afghanistan que pour ne pas intervenir ailleurs, » écrit Nico Fried dans ce journal le 6 octobre. « On convertit la Bundeswehr en une armée d'intervention, mais entre-temps, le critère, les objectifs et les buts de ce genre d'intervention sont un trou noir de la politique étrangère. »

Le rédacteur de Berlin du Süddeutsche a ensuite exprimé son espoir qu'un futur ministre social-démocrate ou Vert « forcera la chancelière à discuter du rôle de l'Allemagne. » Il semble probable que cet espoir pourra être réalisé. Le SPD et les Verts, qui ont ouvert la voie aux interventions militaires de l'Allemagne en Yougoslavie et en Afghanistan, sont parmi les partisans les plus agressifs d'une politique étrangère militariste pour l'Allemagne.

L'apparition de De Maizière à Kunduz et les commentaires de Fried montrent clairement que la classe dirigeante espère que le prochain gouvernement fédéral reprendra la tradition de la politique étrangère impérialiste allemande. Dans son propre discours commémorant la réunification allemande, le président Joachim Gauck a également demandé que l'Allemagne joue une fois de plus un rôle « en Europe et dans le monde » qui convienne à sa taille et à son influence.

(Article original paru le 10 octobre 2013)

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