Perspectives

Cinq ans après l’effondrement de Lehman Brothers

L’écroulement il y a cinq ans, le 15 septembre 2008, de la banque d’investissement Lehman Brothers a été plus que le début d’une crise financière mondiale. Il a mis en branle une série de processus qui ont fait remonter en surface les relations économiques et politiques essentielles du capitalisme mondial.

Le caractère historique de la crise financière s’exprime par le fait qu’au lieu d'éliminer le danger d’un nouvel effondrement, les mesures mêmes mises en place par les gouvernements et les autorités financières, et qui sont basées sur la mise à la disposition du capital spéculatif d’argent à très bon marché, ne font que créer les conditions d’une nouvelle catastrophe.

Suite aux événements de 2008, quelque 8,8 millions d’emplois ont été éradiqués aux Etats-Unis et 19,6 billions de dollars de richesses des ménages ont été perdus. L’intensité de la crise peut être mesurée à l’ampleur des dispositions de secours fournies au système bancaire par la Réserve fédérale américaine. Au total, quelque 17,7 billions ont été rendus disponibles, desquels environ 11, 5 billions de dollars ont été octroyés aux huit principaux emprunteurs, parmi lesquels Citigroup, Morgan Stanley et Merril Lynch. Ce n'était pas là une crise de liquidité mais de solvabilité.

Après avoir renfloué les principales banques et institutions financières, la Fed s’est embarquée dans un programme d’« assouplissement quantitatif » (« quantitative easing ») injectant, au cours de son actuelle campagne de création monétaire, dans les marchés financiers 85 milliards de dollars par mois afin de financer le même genre de spéculation que celle qui avait conduit à la crise de 2008. Selon le Wall Street Journal, la dette obligataire totale des entreprises a grossi de près de 6 billions de dollars, une hausse de 57 pour cent par rapport à 2007. Les obligations à haut risque, qui représentaient 17 pour cent des obligations d’entreprise vendues aux Etats-Unis avant le krach, se montent à présent à 25 pour cent.

Le marché boursier a atteint un nouveau record tandis que l’économie américaine est en train de croître d’à peine plus de 2 pour cent, chiffre bien inférieur au niveau requis pour répondre aux exigences de croissance de la main d’œuvre et qui garantit la continuation du chômage de masse.

En Grande-Bretagne et dans la zone euro, le produit intérieur brut n’a pas retrouvé le niveau atteint en 2007.

Anéantie l’idée tant défendue que les « marchés émergents » seraient capables de se découpler des économies avancées et de fournir une nouvelle base à la croissance économique mondiale. En fait, ces économies pourraient bien donner l'impulsion à un nouvel effondrement financier. L’argent bon marché qui leur a été injecté et qui a fait gonfler une série de bulles spéculatives, a été retiré au fur et à mesure que la Fed a commencé à réduire son programme d’achat d’actifs.

Lorsque la crise a éclaté, il y eut diverses affirmations selon lesquelles ceci allait obligatoirement entraîner une réforme du système bancaire et un fractionnement des géants financiers qui le dominaient. Cinq ans après, bien au contraire, le système financier et bancaire américain est plus concentré encore qu’avant la crise. Il en va de même pour l’Europe continentale, la Grande-Bretagne, l’Australie et d'autres économies.

Malgré le caractère criminel des pratiques financières qui ont contribué au krach, pas un seul parmi le personnel dirigeant n’a été poursuivi en justice, et encore moins mis en prison. Comme l’a expliqué le procureur général Eric Holder, le gouvernement Obama refuse d’engager des poursuites contre les grandes banques et leurs hauts responsables par crainte de déclencher une crise aux conséquences mondiales.

L’essence de la « reprise » américaine est la redistribution de la richesse vers le haut de l’échelle des revenus. Entre 2009 et 2012, durant la soi-disant « reprise », le revenu total américain a augmenté de 6 pour cent, dont 95 pour cent sont allés au un pour cent le plus riche. Le revenu réel de la majorité de la population a chuté.

La part des salaires dans le revenu national est passée de 62 pour cent avant l’éclatement de la crise financière à environ 59 pour cent actuellement. Le produit intérieur brut américain s’élevant à 15 billions de dollars, cela signifie que quelque 450 milliards de dollars ont été soutirés à la classe ouvrière pour financer un enrichissement supplémentaire de l’aristocratie financière.

Des décennies durant, toutes sortes de réformistes se sont moqués de l’analyse faite par Karl Marx de la logique de l’économie capitaliste comme consistant dans l’accumulation de richesse à un pôle et de pauvreté et de déchéance à l'autre. Une telle caractérisation ne pouvait s’appliquer qu’au dix-neuvième siècle, ou encore aux années 1930, prétendaient-ils.

Mais, après le krach de 2008, et dans le contexte d’un accroissement de l’inégalité sociale, l’une des exigences clé des élites financières et patronales dans tous les principaux pays capitalistes avancés est de réduire davantage, voire même de détruire totalement, tous les acquis sociaux obtenus par la classe ouvrière au cours du siècle précédent. Une contre-révolution sociale est engagée.

La criminalité, le parasitisme et le pillage dans le secteur financier ont trouvé leurs pendants dans la politique étrangère américaine et celle d’autres grandes puissances impérialistes. La guerre sert maintenant ouvertement de moyen pour garantir des objectifs politiques et économiques stratégiques – la question même qui avait constitué la base juridique des chefs d’accusation élevés contre les nazis aux procès de Nuremberg.

La guerre et la contre-révolution sociale ne peuvent être imposées pacifiquement ou par des moyens démocratiques. Ce sont là les forces motrices pour l’établissement d’appareils d’Etat policier dans tous les pays capitalistes avancés et agencés autour de vastes réseaux d’espionnage. Les classes dirigeantes sont motivées par la crainte qu’une nouvelle éruption du système financier mondial ne provoque des soulèvements sociaux qui prendront des dimensions révolutionnaires.

Ces cinq dernières années ont connu l’éclatement de luttes de masse dont le point culminant a été la révolution égyptienne. Mais ces luttes mêmes ont montré la crise de direction et de perspective de la classe ouvrière.

La classe dominante n’a aucune confiance dans la « reprise » de l’ordre économique et social qu’elle dirige. C’est pourquoi elle renforce son attaque contre les conditions sociales de la classe ouvrière et planifie des formes autoritaires de gouvernement.

La classe ouvrière doit se préparer de façon tout aussi consciente en tirant les leçons de ces cinq dernières années. Le système capitaliste a échoué. Il n’offre aucun avenir à la classe ouvrière ni à l’humanité en général autre qu’un retour à la guerre, à la dictature et au chômage de masse. La construction d’une nouvelle direction révolutionnaire et la lutte pour le programme du socialisme international est pour l’heure la plus pressante des questions.

(Article original paru le 14 septembre 2013)

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