L’Europe de l’est divisée face à une intervention en Syrie

Il y a dix ans, au moment de la guerre contre l’Irak, presque tous les pays de l’Europe de l’est avaient soutenu la « coalition des volontaires » menée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Les gouvernements bourgeois qui étaient arrivés au pouvoir après la chute de leurs prédécesseurs staliniens avaient considéré que la guerre en Irak était une occasion de se distancer de la Russie et de se rapprocher des Etats-Unis et d’exercer une pression sur l’Allemagne et la France. Ce faisant, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld avait inventé l’expression « vieille Europe » et « nouvelle Europe ». La « vieille Europe » – la France et l’Allemagne – avait refusé de participer à une intervention militaire. La « nouvelle Europe » de Rumsfeld – la Pologne, la République tchèque et les autres Etats d’Europe de l’est – avait soutenu l’intervention.

La plupart des gouvernements européens réagissent actuellement avec beaucoup plus de prudence aux plans de guerre contre la Syrie et refusent tout engagement militaire. La raison en est la massive hostilité à la guerre au sein de leur propre population d’un côté et le rapprochement économique et politique avec la Russie de l’autre. Ces deux raisons sont liées à la fois à une profonde crise économique en Europe méridionale et aux tensions existant au sein du siège de l’Union européenne à Bruxelles.

Selon le ministre polonais des Affaires étrangères, le secrétaire d’Etat John Kerry s’est servi d’un appel téléphonique pour demander à son homologue polonais Radoslaw Sikorsky de participer à une réaction internationale à l’emploi présumé d’armes chimiques par le régime syrien. Le premier ministre polonais, Donald Tusk a toutefois déclaré que la Pologne « n’avait pas l’intention de participer à une intervention en Syrie. » Son gouvernement n’était pas convaincu qu’une guerre « mettrait un terme aux crimes. »

Des représentants de la République tchèque ont aussi exprimé leur opposition à la participation à une guerre contre la Syrie. Le gouvernement transitoire de Jiri Rusnok a affirmé que toute intervention en Syrie manquait de tout fondement juridique et ne résoudrait pas le moindre problème. « Pour nous, la Syrie est un pays très sensible avec lequel nous entretenons depuis longtemps de bonnes relations, » a dit Rusnok. « Nous ne sommes pas satisfaits de ce conflit et nous ne croyons pas qu’une action solitaire puisse régler quoi que ce soit. Nous restons sceptiques. »

Le président Milos Zeman a tenu des propos identiques. « A mon avis, il y a en Syrie d’un côté un dictateur séculier et de l’autre des fanatiques religieux ayant al Qaïda à leur tête, » a dit le président. La République tchèque est l’un des quelques pays de l’OTAN qui ont ouvert une ambassade diplomatique en Syrie.

Les sociaux-démocrates du CSSD (Parti social-démocrate thèque) qui, d’après les sondages d’opinion actuels, nommeraient le prochain premier ministre, se sont prononcés contre une intervention militaire. Le dirigeant du parti, Bohuslav Sobotka, a affirmé qu’une éventuelle frappe aérienne pourrait exacerber les tensions dans la région et entraîner une intensification du conflit.

Les représentants du gouvernement américain poussent la Hongrie à soutenir une frappe militaire contre la Syrie. Le porte-parole du ministère hongrois des Affaires étrangères, Gabor Kaleta, a remarqué que le gouvernement avait déjà rompu les liens diplomatiques avec le régime Assad et ne le considérait plus comme le représentant légitime de la Syrie mais que Budapest ne participerait pas pour le moment à un soutien militaire direct.

Le gouvernement de la Lettonie s’est prononcé en faveur d’une frappe militaire contre la Syrie. Dans un entretien radiophonique, le ministre letton des Affaires étrangères, Edgar Rinkevics, a dit la semaine passée que la Lettonie appuierait une intervention militaire sans l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies. Il s’est ouvertement exprimé en faveur d’une rapide frappe militaire afin de faire parvenir un « message » au président Bachar al-Assad.

Les gouvernements de Varsovie, de Prague et de Budapest ne sont en principe pas contre une attaque militaire contre la Syrie. Ils avaient soutenu la guerre contre l’Irak et participent encore dans une certaine mesure à l’occupation en Afghanistan. Cependant, des changements de politique étrangère sont en train de se profiler dans les pays d’Europe orientale.

En 2011, la Pologne n’avait pas pris part à la guerre contre la Libye. Compte tenu des élections parlementaires prévues l’automne prochain, la Plateforme civique (PO) de Tusk, tout comme les autres partis, ont refusé d’y participer.

Selon une étude réalisée en 2011, 88 pour cent de la population polonaise est contre un envoi de troupes. De récents sondages montrent que le rejet des missions militaires à l’étranger a continué de croître après que 42 soldats polonais ont été tués en Irak et en Afghanistan.

Dans le République tchèque, en Hongrie, en Bulgarie et dans d’autres pays d’Europe de l’est la majorité de la population est opposée à une intervention militaire en Syrie.

Une autre raison de la réticence de certains gouvernements d’Europe de l’est est un rapprochement plus fort avec la Russie qui a jusque-là rejeté une frappe militaire contre la Syrie.

La Hongrie est actuellement en train de renforcer ses relations avec la Russie. Les conflits entre la Hongrie et le reste de l’Union européenne se sont multipliés surtout depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement droitier de Victor Orban, et son gouvernement est plus orienté vers Moscou. La Russie est à présent le plus grand partenaire commercial de la Hongrie, hors Union européenne. Quelque 10 millions d’euros sont actuellement prévus pour l’établissement de centres de commerce en Russie.

Le président tchèque Milos Zeman aspire aussi à une plus grande coopération économique avec la Russie. La victoire de Zeman aux élections présidentielles de cette année face à son adversaire droitier Karel Schwarzenberg a été un soulagement selon Fyodor Lukyanov, le président du Presidium du Conseil de politique extérieure et de défense russe.

« La gauche tchèque a été pour la plupart du temps ouverte à une coopération avec la Russie, » a dit Kai-Olaf Lang de l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (Stiftung Wissenschaft und Politik, SWP). « De plus, le cercle autour de Zeman jouit d’étroits liens économiques avec des entreprises russes. Face à la Russie, Zeman, en tant que président appliquera probablement plutôt une politique de changement à l’égard de la Russie, en faveur d’une coopération plus grande. »

Zeman entretient des contacts avec le géant pétrolier russe Lukoil. L’un de ses conseillers les plus proches, Miroslav Slouf membre influent d’un groupe de pression, a longtemps travaillé pour Lukoil. Le patron du bureau tchèque de Lukoil, Martin Nejedlý, avait soutenu la campagne présidentielle de Zeman.

(Article original paru le 6 septembre 2013)

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