Le New York Times propose la clémence pour Snowden: une tentative de limiter les dégâts

La déclaration publiée le 1er janvier par le comité de rédaction du New York Times, qui appelle à une peine réduite pour Edward Snowden, sera accueillie par plusieurs comme une reconnaissance tardive des gestes héroïques de l’homme qui a démasqué les opérations totalitaires de l’Agence de sécurité nationale (NSA). Mais, inévitablement, l’éditorial montre la contribution du Times dans la diffamation et la persécution de Snowden après ses révélations initiales des opérations d’espionnage secrètes du gouvernement.

Dans un éditorial intitulé «Edward Snowden, dénonciateur», le Times demande que l’administration Obama fasse un accord avec Edward Snowden en échangeant la clémence contre son retour aux États-Unis.

«Lorsque quelqu’un révèle que des responsables du gouvernement ont régulièrement et délibérément contrevenu à la loi, cette personne ne doit pas être menacée de prison à vie aux mains de ce même gouvernement», peut-on lire dans l’éditorial, qui ajoute que «le président Obama doit dire à ses conseillers de commencer à chercher une façon de mettre fin à la diffamation contre Snowden et de lui donner un incitatif pour revenir au pays.»

À première vue, l’éditorial paraît indiquer une importante volte-face dans la position du Times. Le Times a joué un rôle central dans la promotion d’un climat qui a forcé Snowden à fuir les États-Unis plus tôt cette année. C’est, en partie, en raison de la fidélité d’organisations comme le Times envers les administrations Bush et Obama que la responsabilité de démasquer la criminalité aux plus hauts échelons du gouvernement américain revient à des dénonciateurs comme Edward Snowden, Julian Assange et Bradley Manning.

Loin de défendre Snowden, le Times a rempli ses pages d’accusations catégoriques contre le jeune dénonciateur. En juin dernier, lorsque Snowden a rendu publiques ses premières révélations, le Times a répondu avec une hostilité sans équivoque. Le chroniqueur du Times, David Brooks, a écrit que Snowden avait «trahi la constitution» et que «les pères fondateurs n’ont pas créé les États-Unis pour qu’un solitaire de 29 ans prenne des décisions unilatérales sur ce qui doit être divulgué.»

En août, le chroniqueur en chef des affaires étrangères, Thomas Friedman, écrivait ceci: «[Snowden] a lancé ses données et a fui dans des pays qui sont hostiles tant à nous qu’aux principes qu’il défend. Pour faire une seconde impression [pour prouver qu’il n’est «pas un traître» pour reprendre les mots de Friedman], Snowden devrait retourner au pays, se défendre et faire face à ses accusateurs», malgré le fait que Snowden ferait probablement face à une «longue peine de prison».

Lors d’une apparition télévisée en juillet, le chroniqueur financier du Times et le lèche-bottes de Wall Street, Ross Sorkin, a dit: «On a manqué notre coup et on a même laissé [Snowden] se rendre en Russie… Je l’arrêterais et tant qu’à y être j’arrêterais presque aussi Glenn Greenwald.»

Bill Keller, l’ancien éditeur exécutif du Times qui continue de superviser l’alignement du journal avec les intérêts de sécurité nationale du pays, a défendu de manière menaçante qu’une attaque terroriste réussie nécessiterait que le gouvernement américain «ajuste la sécurité nationale et aille encore plus loin que les excès de la guerre contre le terrorisme qui ont suivi la dernière grande attaque». Ainsi, conclut-il, les civils libertaires feraient mieux de donner une grande marge de manœuvre à la NSA.

L’hostilité du Times vis-à-vis d’Edward Snowden suit le modèle établi par le journal dans son attitude face à Julian Assange, qui a divulgué, entre autres, des preuves de crimes de guerre américains dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan. En janvier 2011, Keller a décrit Assange comme un «ancien pirate informatique excentrique d’origine australienne et sans résidence fixe», qui est «évasif, manipulateur et volatile» et qui a jeté les médias dans «un état d’anarchie de l'information».

Sept mois après que Snowden se soit identifié en tant que dénonciateur de la NSA, pourquoi le Times change-t-il de ton?

Premièrement, l’étendue et la nature saisissante du contenu des révélations de Snowden ont été dévoilées au grand jour, montrant l’échafaudage d’un État policier aux États-Unis. L’éditorial du Times, indiquant que «des responsables du gouvernement ont régulièrement et délibérément contrevenu à la loi», énumère quelques-unes des plus stupéfiantes violations constitutionnelles commises par la NSA.

La liste non exhaustive comprend des actes criminels d’une gravité époustouflante: la «collecte en masse de données téléphoniques et internet», le décodage de systèmes encryptés, l’infiltration de liens de communication «permettant [à la NSA] d’espionner des centaines de millions de comptes d’usagers» et la pratique officielle de l’agence consistant à «fournir régulièrement de l’information erronée sur ses pratiques de surveillance» au tribunal de surveillance des affaires étrangères ou FISA (Foreign Intelligence Surveillance Court).

L’éditorial aurait pu ajouter que le gouvernement américain suit les mouvements physiques de centaines de millions de personnes à travers le monde; retire et emmagasine du contenu provenant de conversations téléphoniques, de messageries textes et de courriels et civils innocents; espionne les chefs de gouvernements à travers le monde, incluant des alliés formels; et fait de l’espionnage économique au profit des entreprises américaines. L’étendue des opérations montre clairement que le but de la surveillance n’est pas – comme le prétend l’administration Obama – de mener la «lutte contre le terrorisme» mais fait plutôt partie d'efforts pour suivre à la trace des Américains innocents en violation complète du quatrième amendement de la Constitution américaine.

Deuxièmement, tout l’establishment politique est maintenant très conscient du vaste gouffre entre l’opinion publique officielle – dont dont le Times fait partie – et les sentiments des masses. Au grand dam de l’administration Obama, du Times et de tous les médias de la grande entreprise, les efforts pour retourner la population contre Snowden ont été rejetées par le public.

Le fait que le supposé changement de ton du Times représente un effort pour limiter l’hostilité publique à l’establishment politique est mis en relief par le fait que les propositions positives du journal sont très ambigües et ambivalentes en termes du sort réservé à Snowden lorsqu’il reviendrait aux États-Unis. David Firestone, un membre du comité éditorial, a rappelé à ses lecteurs vendredi que le comité éditorial «n’a pas dit que [Snowden] devrait obtenir un pardon ou une médaille présidentielle».

Le Times ne réclame pas non plus des changements majeurs aux programmes de surveillance. L’éditorial du Times se plaint des «excès» de la surveillance de la population mondiale, mais il accepte entièrement la justification du gouvernement pour la construction d’un appareil totalitaire.

«Une bonne partie des programmes de collecte de masse que M. Snowden a dévoilés fonctionnerait tout aussi bien s’ils étaient de moins grande envergure et étroitement contrôlés comme l’a recommandé le comité présidentiel», soutient l’éditorial.

Même si l’éditorial fait référence au fait que le directeur du renseignement national, James Clapper, est coupable de parjure, le Times indique simplement qu’ «il n’y a pas eu de discussion sur la punition liée à ce mensonge».

Les révélations faites publiquement par Snowden ont mené à une prise de conscience dans la population américaine que les normes démocratiques sont dans un état avancé de déclin. Snowden a dévoilé au grand jour un degré de criminalité gouvernementale sans précédent dans l’histoire des États-Unis.

Les nombreuses révélations ont discrédité les agences de l’appareil de sécurité nationale et ont montré comment les trois branches du gouvernement américain – le législatif, l’exécutif et le judiciaire – sont complices dans l’approbation et la justification de l’espionnage par le gouvernement sur des centaines de millions d’Américains, de leaders mondiaux et d’individus partout dans le monde.

Il a montré que l'idéologie de la «guerre contre le terrorisme» était un mensonge et a mis en doute les motifs derrière le dangereux tournant antidémocratique qui a sali tous les aspects de la vie politique, sociale et culturelle dans les dernières années. Il a aussi démasqué les mensonges qui se cachaient derrière les justifications fournies par l’équipe du Times et d’autres médias concernant sa propre persécution.

De plus, certains responsables du gouvernement sentent que l’information que Snowden n’a pas encore divulguée est tellement préjudiciable qu’il serait bon de le ramener aux États-Unis et de le «museler» d’une façon ou d’une autre. L’administration Obama, le Times et tout l’establishment politique sont inquiets, avec raison, de ce qui est encore à venir.

La question de base posée par les révélations et la réponse nerveuse du Times demeure: quelle couche de la société va défendre les droits démocratiques de base inscrits dans la Constitution américaine?

Le sort d’Edward Snowden dépend entièrement du développement d’un mouvement de la classe ouvrière aux États-Unis et internationalement pour défendre les droits démocratiques.

En opposition aux efforts de tout l’establishment politique pour défendre et développer l’appareil de sécurité nationale, la classe ouvrière doit mettre de l’avant son propre programme et sa propre stratégie pour démanteler l’appareil de répression du gouvernement américain et mettre un terme aux attaques contre les droits démocratiques. Un mouvement politique de masse de la classe ouvrière doit être construit afin de défendre les droits sociaux sur la base d’une lutte pour une véritable égalité et pour le socialisme.

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