La junte égyptienne lance sa répression la plus mortelle depuis des mois

À l'approche du troisième anniversaire de la révolution égyptienne le 25 janvier et d'un référendum sur la constitution égyptienne pour la mi-janvier, la junte militaire égyptienne intensifie sa répression contre toute opposition à son pouvoir.

Vendredi, des forces de sécurité se sont déchaînées contre des manifestations appelées par l'Alliance anti-coup dirigée par les Frères musulmans (FM), tuant au moins 14 manifestants et en blessant 62. D'après le ministère de la Santé, cinq personnes ont été tuées au Caire, deux à Ismailia sur le canal de Suez, une à Alexandrie ; les autres décès ont eu lieu à Gizeh, Fayoum et Minya en Haute Égypte.

Les forces de sécurité auraient tiré à balles réelles contre les manifestants. Le représentant local du ministère de la Santé de la province de Fayoum, Medhat Shuki, a déclaré à Reuters que trois manifestants, dont un étudiant, sont morts suite à des blessures par balles à la poitrine et à la tête. Un autre étudiant de l'université a été abattu lors de heurts dans la ville de Minya, dans le Sud du pays.

Les heurts les plus durs ont eu lieu au Caire et à Gizeh qui en est proche, sur la rive ouest du Nil. Dans le quartier de Nasr City, des policiers anti-émeutes lourdement armés ont tiré des gaz lacrymogènes contre des manifestants qui se défendaient avec des feux d'artifice et des pierres. Dans les quartiers de Maadi, Al Haram, et Alf Maskan, des batailles entre les forces de sécurité et les manifestants ont continué jusque tard dans la nuit.

Au cours de cette répression, des centaines de membres des FM ont été arrêtés La police a déclaré qu'elle en détenait plus de 258, et le ministère de l'Intérieur a publié un communiqué indiquant que 122 personnes ont été arrêtées pour possession d'armes.

La répression de vendredi a été la plus meurtrière depuis le 6 octobre, où les forces de sécurité avaient tué plus de 50 manifestants anti-régime pour le 40e anniversaire du début de la guerre d'octobre 1973. Cela intervient après que la junte a publié une loi contre les manifestations à la fin novembre et rédigé une nouvelle constitution qui consacre en droit le pouvoir militaire de fait qu'elle avait établie. Le 25 décembre, le gouvernement provisoire soutenu par l'armée a déclaré que les FM sont une « organisation terroriste. »

Depuis le coup militaire du 3 juillet qui a fait tomber le président des FM, Mohamed Morsi, la junte s'est servi du prétexte d'une prétendue « lutte contre le terrorisme » pour écraser ses rivaux islamistes et restaurer l'appareil militaire et policier qui existait avant l'effondrement du dictateur de longue date, Hosni Moubarak.

La junte est déterminée à présent à éliminer les FM et à détruire tous ses bastions d'influence dans la société égyptienne. Un comité chargé de confisquer la propriété du groupe a gelé les biens de plus de 700 membres dirigeants des FM, dont son guide suprême Mohamed Badie, ses collaborateurs Kheirat al-Shater, Rashad Bayoumi, Mahmoud Ezzat et Gomaa Amin ainsi que plusieurs membres de son bureau d'orientation.

Le comité a également placé 87 écoles affiliées aux FM sous l'autorité du ministère de l'Education et du ministère de l'Awqaf (des affaires religieuses) qui ont pris en charge plusieurs mosquées qui étaient auparavant contrôlées par l'organisation islamiste.

Durant ces derniers jours, les juges ont également établi les dates du procès pour les dirigeants des FM en prison. Mercredi, un procès contre Morsi lui-même devrait reprendre et un deuxième devrait s'ouvrir le 28 janvier. Lui et d'autres membres des FM sont accusés d'incitation à la violence contre les manifestants anti-gouvernement en décembre 2012, de s'être échappés de prison durant le soulèvement de 2011, et d'avoir mené une « conspiration terroriste » contre l'Égypte. Ces accusations impliquent la possibilité d'une condamnation à mort.

La junte militaire qui fait maintenant passer Morsi et d'autres dirigeants des FM en procès pour incitation à la violence contre des manifestants s'est elle-même adonnée à des massacres qui ont tué au moins 1500 opposants du coup et en ont blessé des milliers de plus. Le dirigeant du coup, le général Abdel Fattah al-Sisi en tant que ministre de la Défense et le ministre de l'Intérieur Mohamed Ibrahim ont tous deux servi sous Morsi et étaient donc impliqués directement dans la répression des manifestants durant la présidence de Morsi.

Le régime militaire cherche à créer une atmosphère de terreur pour décourager une nouvelle irruption de la classe ouvrière, la principale force sociale derrière la révolution. Le Centre égyptien pour les droits sociaux et économiques (ECESR) a récemment publié des statistiques montrant que les travailleurs ont organisé 2486 manifestations en 2013. Si 2243 ont eu lieu sous Morsi et les FM, 243 ont eu lieu sous la junte militaire.

Après le coup d'Etat, les manifestations ont décliné mais ces derniers mois ont vu plusieurs manifestations ouvrières importantes, notamment la grève des travailleurs du textile de Mahalla en Octobre, la grève des mineurs d'or de Sukhari le mois dernier, dispersée par la police le 15 décembre, et le sit-in toujours en cours de 5000 sidérurgistes de la Compagnie égyptienne du fer et de l'acier à Helwan qui demandent des salaires plus élevés et des primes de production. Mercredi dernier, les docteurs égyptiens ont également déclaré une grève partielle, pour un salaire minimum plus élevé et une augmentation du budget national de la santé de 3,5 à 15 pour cent du budget total de l'Etat.

D'après l'ECESR, en novembre, mois où la loi anti-manifestations a été votée, on a vu le nombre le plus élevé de manifestations des travailleurs depuis le coup d'Etat.

Dans le contexte de cette opposition ouvrière croissante, la junte développe également sa répression contre les groupes politiques et les activistes qui avaient initialement soutenu le coup du 3 juillet comme le Mouvement des jeunes du 6 avril et le groupe des Socialistes révolutionnaires (RS) de la pseudo-gauche.

Dimanche, le Tribunal pénal de Gizeh a rendu un verdict d'un an de prison avec sursis contre l'activiste Alaa Abdel-Fattah et sa soeur Mona Seif accusés d'avoir attaqué le quartier général de la campagne présidentielle du Général Ahmed Shafiq, candidat à la présidence et dernier premier ministre de Moubarak. Fattah a été arrêté le 28 novembre pour infraction à la nouvelle loi sur les manifestations.

Jeudi dernier, le tribunal correctionnel de Raml a condamné neuf activistes d'Alexandrie à deux ans de prison et une amende de 50 000 livres égyptiennes (5200 euros). Ces activistes, dont Mahienour E-Massry des SR, ont été condamnés suivant l'article 19 de cette loi, qui établit des sanctions draconiennes allant jusqu'à 10 ans de prison et des amendes de 500 000 livres égyptiennes (52 600 euros).

La semaine précédente, un tribunal a condamné les fondateurs du Mouvement des jeunes du 6 avril, Ahmed Maher, Mohamed Adel et Ahmed Douma, à trois ans de prison pour avoir violé la loi et parce qu'ils auraient attaqué des policiers.

Le Mouvement du 6 avril et les SR sont actuellement alignés sur les islamistes du Parti de l’Égypte forte fondé par un ex-dirigeant des FM, Abdel Moneim Aboul Fotouh, au sein du Front du chemin révolutionnaire (FCR). Le FCR craint que la répression de la junte ne déclenche une nouvelle explosion dans la classe ouvrière. Après avoir initialement soutenu le coup, ils oeuvrent maintenant à réconcilier les factions de l'élite dirigeante égyptienne, ils visent à créer un meilleur mécanisme pour contrôler la classe ouvrière.

Le caractère contre-révolutionnaire du riche milieu des classes moyennes en Égypte est plus clairement exprimé par la nouvelle coalition fondée par les « Forces pour la démocratie et la justice sociale. » Cette coalition rassemble divers nasséristes, des staliniens, et des groupes de la pseudo-gauche avec lesquels les activistes et les partis du FCR se sont alliés par le passé : le mouvement Tamarod, le Parti communiste égyptien, le Parti socialiste égyptien, le Mouvement Kifaya, le Parti de l'alliance socialiste, et le Parti Tagammu.

Cette coalition mal-nommée applaudit cyniquement la répression de la junte comme faisant partie d'une lutte pour « la démocratie, la justice sociale et l'indépendance nationale ». Lors de sa conférence de fondation, jeudi dernier, elle a appelé toutes les forces politiques à voter pour la constitution réactionnaire de la junte et à mobiliser « des millions d'Egyptiens » pour qu'ils « s'occupent du terrorisme des Frères musulmans. »

(Article original paru le 6 janvier 2014)

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