La liberté d'expression et le débat sur la loi australienne contre la discrimination raciale

La proposition du gouvernement australien d'amender la Loi sur la discrimination raciale, en modifiant ses clauses sur la diffamation raciale, a provoqué un débat public qui soulève des questions politiques critiques pour la classe ouvrière.

Quand il était dans l'opposition, le Premier ministre Tony Abbott avait juré de changer cette loi après la condamnation qui avait fait grand bruit en 2011 d'Andrew Bolt, un chroniqueur de la presse de Murdoch bien connu pour faire une propagande de droite.

Bolt a été jugé et condamné pour diffamation raciale en raison de deux articles écrits en 2009 – l'un intitulé « c'est tellement tendance d'être noir » – qui accusait 15 aborigènes célèbres « à la peau claire » de se présenter en tant qu'aborigènes pour faire avancer leur carrière. Il a été reconnu coupable d'avoir enfreint la clause sur la diffamation raciale que le gouvernement travailliste Keating avait introduit dans la loi en 1994.

Dans son jugement, la Cour fédérale avait décidé que Bolt avait enfreint les buts de cette loi parce qu'il avait dénigré – sur un « ton moqueur » et avec « des sous-entendus gratuits » - « la légitimité de l'identification raciale d'un groupe de gens » ce qui « risque de détruire la tolérance raciale. »

Contre tous ceux qui applaudissaient ce jugement comme un grand coup porté au racisme et aux racistes, le World Socialist Web Site et le Socialist Equality Party ont insisté sur le fait que la condamnation de Bolt pour le fait d'avoir exprimé une opinion – aussi réactionnaire soit-elle – constituait une attaque directe contre la liberté d'expression et créait un précédent dangereux, en particulier contre ceux qui s'opposent aux politiques identitaires d'un point de vue socialiste. Le SEP a prévenu que tout groupe constitué sur la base de la nationalité, de la race ou d'une identité pourrait se servir du précédent de l'affaire Bolt pour faire taire les idées et les opinions qu'il trouverait offensantes.

En d'autres termes, la défense du droit démocratique fondamental à la liberté d'expression ne peut pas s'exercer d’une manière sélective qui dépendrait de si l'on est d'accord ou pas avec les idées propagées. Un tel opportunisme renforce inévitablement la réaction politique.

Maintenant au gouvernement, la coalition propose d'amender cette loi. Elle veut relever les critères pour une condamnation, en restreignant la définition de la diffamation raciale et en élargissant les possibilités d’exonération. Avant de préparer cette loi, la coalition a invité le public à faire des propositions sur l’amendement qu'elle propose. La grande majorité de ces propositions se sont opposées à ces changements au prétexte qu'ils ouvriront la voie à des discours haineux et à des attaques contre les minorités.

La section 18C de la loi interdit actuellement tout acte en public qui « risque raisonnablement, dans toutes les circonstances, d'offenser, insulter, humilier ou intimider une autre personne ou un groupe de gens » en raison de leur race, couleur, ou origines ethniques ou nationales. Les amendements proposés retireraient les termes « offenser, » « insulter » et humilier » et définiraient plus étroitement « intimider » pour qu'il ne signifie que « causer une crainte de subir des dommages physiques » à des personnes ou des biens. Ils ajoutent également le terme « diffamer », mais le limitent au sens de « l'incitation à la haine. »

Cette version amendée relève également ce qui est exigé pour constituer une infraction à cette loi. Tout jugement devra s'appuyer sur « les standards d'un membre ordinaire et raisonnable de la communauté australienne, non sur les standards d'un groupe particulier au sein de la communauté australienne. »

Présentement, la section 18D crée des exonérations, au nom du débat public et de la libre expression, pour « tout ce qui est dit ou fait raisonnablement et de bonne foi. » Les amendements du gouvernement permettent des exonérations plus larges en retirant l’exigence que ces discussions et communications soient raisonnables et faites de bonne foi. Ces changements excluraient probablement les condamnations comme celle qui a frappé Bolt – ce qui est le principal objectif du gouvernement.

L'affirmation du ministre de la justice Georges Brandis et d'autres porte-parole du gouvernement selon laquelle ils ont été motivés par le souci de défendre « la liberté d'expression » est un mensonge.

Il est largement admis que leur seule véritable motivation est de donner un feu vert aux radotages incendiaires de plusieurs soutiens du gouvernement Abott dans les médias – Andrew Bolt dans l'état du Victoria, et le « shock jock » de la radio de Nouvelles-Galles du Sud, Alan Jones, en particulier – qui cherchent en permanence à renforcer les préjugés contre les minorités ethniques. Jones est bien connu pour son rôle dans la création du climat de haine qui a entraîné les émeutes de Cronulla contre des jeunes libanais en 2005, une provocation parmi tant d'autres.

Mais cela ne signifie pas que ceux qui sont hostiles aux objectifs du gouvernement devraient soutenir la campagne organisée par le Parti travailliste, les Verts, les organisations ethniques et juridiques, ainsi que divers groupes de la pseudo-gauche, qui demandent la rétention de cette loi.

Le premier objectif de leur campagne est de répandre l'illusion que l'Etat capitaliste – ses tribunaux, ses lois et son appareil répressif – serait le gardien des droits démocratiques.

Une politique socialiste qui s'appuie sur des principes insiste sur le fait que la défense des droits démocratiques, y compris la lutte contre toutes les formes de racisme, est inséparable de la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme. Elle ne peut jamais être abandonnée à l'état capitaliste, qui est le corps même responsable de la promotion des politiques raciales en premier lieu. Toute tentative de subordonner la classe ouvrière à l'Etat vise à l'affaiblir politiquement en sapant le développement de la conscience de classe.

Les leçons tirées de l'expérience politique soulignent que ce n'est pas là une question de conjecture, mais du bilan historique.

En Allemagne, durant les derniers jours de la République de Weimar dans les années 1930, le Parti social-démocrate allemand, qui jouissait du soutien d’une grande partie de la classe ouvrière, ont insisté sur l'idée que la menace nazie grandissante devait être contrée par les appels à l'Etat, ses lois, la police et la justice.

Le prix terrible payé pour ce programme par la classe ouvrière allemande et internationale fut la mise au pouvoir des nazis en janvier 1933 par ce même Etat « démocratique » auquel la direction du SPD avait fait appel.

En s'appuyant sur les leçons de cette expérience amère, Léon Trotsky a ensuite expliqué qu'il était nécessaire de s'opposer à toutes les mesures qui renforçaient l'Etat capitaliste « même ces mesures qui pour le moment entraînent un désagrément temporaire pour les fascistes. »

La promotion de l'Etat « démocratique » par la République de Weimar s'est terminée par une tragédie. De même, les affirmations des travaillistes, des Verts et de diverses organisations indigènes ou à base ethnique selon lesquelles la législation en vigueur défendra les aborigènes et les autres communautés sont une cruelle tromperie.

L'Etat capitaliste australien, fondé sur l'extermination de la population indigène et la promotion d'une Australie blanche, n'est pas un rempart contre le racisme, la diffamation et les discours haineux. Cela a en fait été, tout au long de son histoire, la principale source de l'oppression raciale et de la violence, comme en témoignent la pauvreté affligeante qui continue à sévir dans de vastes portions de la population aborigène et le traitement brutal des réfugiés.

En défense de ses droits démocratiques, la classe ouvrière doit mener une lutte contre toutes les formes de xénophobie, de nationalisme, de racisme et de communautarisme. Mais elle doit le faire de manière indépendante et en opposition à l'Etat capitaliste.

C'est sur cette base que le SEP s'oppose à la fois aux changements proposés par le gouvernement Abott dans la Loi sur la discrimination raciale et à la campagne travaillistes-verts pour le maintien de la loi existante.

(Article original paru le 10 juin 2014)

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