Obama ordonne l'envoi de près de 300 soldats américains en Irak

En vertu de la loi sur les pouvoirs de guerre (War Powers Act), le président Barack Obama a informé le Congrès américain qu’il ordonnait qu’au moins 275 soldats et marines américains soient déployés en Irak au moment où le pays plonge dans une véritable guerre civile.

Les troupes ont apparemment été envoyées pour protéger l’énorme ambassade américaine de Bagdad et venir en aide en cas d’évacuation d’urgence des milliers de fonctionnaires américains qui y sont stationnés. Le gouvernement a d’ores et déjà ordonné une évacuation partielle en dépêchant des responsables à d’autres endroits de l’Irak et de la région.

Un contingent considérable de marines existe déjà à l’ambassade, sans mentionner un grand nombre de sous-traitants militaires lourdement armés qui font qu’il est fort probable que les soldats soient déployés à d’autres fins : Comme par exemple l’organisation d’une défense de la capitale irakienne dans une situation où les forces de sécurité du gouvernement irakien se sont à plusieurs reprises effondrées face à une attaque des combattants islamistes du groupe Etat islamique en Irak et en Syrie (EIIL) ainsi que d’autres insurgés sunnites.

Washington insiste pour dire que les forces envoyées ne sont pas des troupes de combat mais reconnaît tout de même qu’elles sont « équipées pour le combat. »

Entre-temps, la Maison Blanche a organisé aujourd’hui une réunion avec de hauts responsables démocrates et républicains de la Chambre des représentants et du Sénat en vue de consultations sur l’Irak. La réunion privée entre Obama et le président de la Chambre des représentants, John Boehner (Républicain d’Ohio), la dirigeante de la minorité démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (Californie), le dirigeant démocrate de la majorité au Sénat, Harry Reid (Nevada) et le dirigeant de la majorité républicaine, Mitch McConnel (Kentucky) a lieu probablement en préparation d’une intervention américaine plus agressive.

Bien que l'on exclue absolument la présence de « bottes [américaines] au sol, » les discussions se multiplient sur l’envoi d’unités de forces spéciales en Irak, qui elles aussi seraient équipées pour le combat sans pour autant être des « troupes de combat », selon la définition de Washington.

« La Maison Blanche envisage actuellement l’envoi d’un petit nombre de soldats des forces spéciales américaines en Irak apparemment pour aider le gouvernement de Bagdad à ralentir l’insurrection sunnite effrénée dans le pays, » a rapporté Associated Press en citant des responsables américains anonymes au courant de la discussion. L’un des responsables a dit que la proposition impliquerait jusqu’à une centaine de soldats des forces spéciales.

Le gouvernement Obama s’est à maintes fois vanté de ce que le retrait final des troupes américaines d’Irak en décembre 2011 était le plus grand succès de sa politique étrangère. Ce retrait s’était effectué selon un calendrier fixé par le précédent gouvernement de George W. Bush et n'avait été finalisé qu’en raison de l’échec de Washington à obtenir un accord sur le statut des forces garantissant l’immunité des troupes américaines contre des poursuites pour crimes de guerre. A présent, deux ans et demi plus tard, une guerre civile qui découle entièrement de la destruction par l’impérialisme américain de la société irakienne et de ses interventions ailleurs au Moyen-Orient l’incite à renvoyer des soldats et à envisager de nouvelles violences contre ce pays dévasté.

La Maison Blanche et le Pentagone envisagent aussi de lancer des frappes de missiles par drones et d’autres frappes aériennes contre les insurgés. Le gouvernement Obama a déjà ordonné que le porte-avions George H.W. Bush et cinq autres navires de guerre soient déployés dans le golfe Persique pour une possible attaque de l’Irak.

Une indication de la manière de penser des cercles proches du gouvernement a été révélée mardi dans un article du Centre américain du Progrès, un groupe de réflexion de Washington. Ce groupe est dirigé par Neera Tanden qui fut la directrice de la politique nationale de la campagne d’Obama. Il comprend un certain nombre d’autres démocrates influents dont l’ancien chef de cabinet de la Maison Blanche de Clinton, John Podesta, ainsi que l’ex-ministre de l'Economie et des Finances, Larry Summers.

« En Irak, les Etats-Unis devraient se préparer à un usage limité de la puissance aérienne américaine, et si possible alliée, sur des cibles de l’EIIL afin de déstabiliser davantage le pays et de protéger les intérêts américains, » dit le rapport.

Il exhorte également à « des efforts plus robustes pour entraîner et équiper » les soi-disant insurgés islamistes sunnites « modérés » en Syrie, associés à des « frappes aériennes limitées » dans ce pays aussi.

Depuis la chute, la semaine dernière, de Mossoul, deuxième ville d’Irak, la situation n’a cessé de se dégrader pour le régime du premier ministre Nouri al-Maliki qui est appuyé par les Etats-Unis. De lourds combats ont été signalés mardi pour prendre le contrôle de la ville de Baquba, située à moins de 60 kilomètre au Nord de la capitale, Bagdad. Les insurgés ont aussi envahi Tal Afar, ville stratégique au Nord-Ouest de l’Irak, près de la frontière syrienne où l’EIIL est l’une des principales forces de combat dans la guerre soutenue par les Etats-Unis en faveur d’un changement de régime contre le président Bachar al-Assad.

Les combats à Baquba ont fourni une nouvelle indication de la menace grandissante d’une guerre civile à caractère sectaire et qui est en train d’éclater de manière encore plus explosive que celle qui avait été déclenchée par l’occupation américaine en 2006.

Des miliciens chiites qui défendent la prison de la ville contre des forces sunnites auraient perpétré l'exécution de masse de quelque 42 prisonniers qui seraient censés être des sunnites, arrêtés car suspectés de soutenir l’insurrection. Ce massacre fait suite à un certain nombre de reportages antérieurs concernant l’exécution par l’EIIL d’un grand nombre de soldats et de policiers capturés, notamment dans la ville de Tigrit.

Il y a également eu des reportages émanant de Bagdad de ce qui semblerait être des meurtres sectaires de sunnites, commis en représailles par des tireurs chiites. Les corps d’un guide religieux influent et de deux de ses assistants ont été trouvés mardi à la morgue de Bagdad, quatre jours après qu’ils eurent été enlevés par des miliciens, selon des reportages. Quatre autres corps, présumés être ceux de sunnites ont été trouvés mardi criblés de balles et certains reportages disent que des sunnites vivant à Bagdad ont une lettre X griffonnée sur leur maison, les avertissant qu’ils doivent quitter la ville ou sinon mourir.

Selon le Washington Post, le gouvernement Obama est en train de faire pression sur le premier ministre Maliki pour qu’il abandonne la politique sectaire chiite qu’il a poursuivie ces huit dernières années et qu'il adopte un « programme de partage de pouvoir plus ouvert » qui attirerait des éléments sunnites et kurdes.

Dans ce qui semble être une réponse à cette pression exercée par Washington, Maliki est apparu mardi aux côtés d’un politicien sunnite, Oussama al-Nujaifi qui était le porte-parole du parlement irakien avant qu’il ne soit dissout dernièrement, et de l’ancien premier ministre, Ibrahim al-Jafaari, dans un appel en faveur de l'unité nationale et pour la « défense de l’Etat et la protection de sa souveraineté et de sa dignité. » Des observateurs irakiens ont rappelé qu’une déclaration similaire avait été publiée durant le bain de sang sectaire de 2006, sans avoir eu d'effet perceptible.

Derrière toute cette hystérie qui entoure la mise en place par EIIL d’une base terroriste en Irak, la réalité est que le relativement petit nombre d’islamistes radicaux n'ont été en mesure de passer le soi-disant triangle sunnite au Nord-Ouest de l’Irak que parce qu’ils ont été rejoints par une insurrection populaire sunnite menée dans bien des cas par d’anciens officiers de l’armée irakienne qui avait été démantelée par Washington après le renversement du régime baassiste de Saddam Hussein. L’insurrection est attisée par un ressentiment amer au sujet de l’exclusion systématique de la population sunnite d’Irak du pouvoir politique et par le recours aux forces de sécurité pour réprimer violemment des protestations pacifiques.

C'est la politique poursuivie par Maliki depuis son installation au poste de premier ministre sous l’occupation américaine en 2006 et sa réélection en 2010, en grande partie grâce à la pression faite par le gouvernement Obama afin de refuser le poste au Mouvement national irakien qui est essentiellement laïque et qui avait obtenu le plus de suffrages.

A présent, il y a lieu de croire que le gouvernement Obama serait en train de manœuvrer pour écarter Maliki et mettre en place un nouveau dirigeant fantoche américain. Lundi, lorsqu'on lui a demandé si le secrétaire d’Etat américain John Kerry pensait que Maliki ne devrait pas être le premier ministre du pays, une porte-parole du Département d’Etat a dit, « Il laisse cela à la discrétion du peuple irakien, et donc nous verrons ce qui se passera. »

L’impérialisme américain a été le principal instigateur du sectarisme dans la région, à commencer par la stratégie du diviser pour mieux régner dans la guerre et l’occupation de l'Irak et jusqu’à engendrer une guerre civile sectaire pour renverser Assad en Syrie. Le soutien cynique de l'impérialisme américain aux insurgés islamistes sunnites en Syrie, tout en appuyant un régime sectaire chiite de l’autre côté de la frontière en Irak afin de réprimer précisément ces mêmes forces, a précipité l’ensemble du Moyen-Orient dans ce qui est, selon un groupe des Nations unies traitant de la Syrie, « le début d’une guerre régionale. »

Cette évaluation a été corroborée lundi par la dénonciation cinglante par Maliki de l’Arabie saoudite et d’autres alliés américains parmi les monarchies du golfe Persique pour avoir financé et soutenu l’EIIL.

D’autre part, l’ancien ambassadeur qatari auprès des Etats-Unis, cheikh Nasser bin Hamad al-Khalifa, un membre en vue de la famille régnante au Qatar, qui est la base du commandement central des Etats-Unis, a prévenu sur son compte Twitter que « Toute intervention en Irak de la part de l’Occident pour soutenir le criminel Maliki en Irak sera considérée par l’ensemble des Arabes sunnites et des musulmans comme étant une guerre menée contre eux. »

Khalifa a poursuivi en disant, « Il serait sage pour l’Occident de se distancer de l’Irak en n’intervenant pas, à moins de contribuer à évincer Maliki du pouvoir et de laisser l’Iran hors d’Irak. »

(Article original paru le 18 juin 2014)

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