Québec: Manifestation de masse contre l'assaut sur les pensions des travailleurs municipaux

Plus de 50.000 travailleurs municipaux et ceux qui les appuient ont manifesté samedi au centre-ville de Montréal pour s'opposer au projet du gouvernement libéral provincial qui vise à réduire leurs pensions et leurs salaires par décret législatif.

Plus de 50.000 travailleurs ont manifesté contre le projet de loi 3 du gouvernement libéral qui vise à réduire les pensions et les salaires.

Le projet de loi 3 des libéraux est la première étape d'un assaut frontal contre tous les services publics ainsi que les salaires, les emplois et les droits des travailleurs qui offrent ces services. Le premier ministre du Québec Philippe Couillard et le ministre des Finances Carlos Leitao déclarent que les services publics, y compris la santé et l'éducation, ont besoin d'être «réformés» en profondeur, et que d'autres programmes doivent être carrément abolis si le Québec ne veut pas vivre une crise financière «semblable à celle de la Grèce».

Couillard a aussi juré à maintes reprises que son gouvernement n'allait pas apporter de changements importants au projet de loi 3. Ce dernier ferait augmenter radicalement la contribution des travailleurs à leur pension (en pratique, cela revient à une baisse de salaire) et exigerait la restructuration de tous les plans de retraite municipaux aux dépens des retraités, par le gel des hausses liées au coût de la vie, l'augmentation de l'âge de la retraite et des coupes directes dans les pensions.

Une partie de la manifestation de masse de samedi contre les coupes dans les retraites

Des travailleurs municipaux de partout au Québec, y compris des employés du transport public, les cols bleus et les cols blancs ainsi que les pompiers étaient présents en très grand nombre samedi. Il y avait aussi d'importantes délégations de travailleurs du secteur public de la province et du fédéral (dont les conventions collectives arrivent à échéance l'an prochain et qui se feront alors imposer d'importants reculs) et quelques groupes du secteur privé, dont des travailleurs de la société d'aéronautique Bombardier.

Même si les jeunes travailleurs étaient nombreux, relativement peu d'étudiants ont participé à la manifestation de samedi.

En 2012, une grève de six mois contre le gouvernement libéral de Jean Charest et sa hausse prévue des droits de scolarité universitaires avait secoué le Québec. Le gouvernement, avec l'appui des grands médias, avait traité les étudiants d'«égoïstes» et d'«enfants gâtés». Aujourd'hui, il répète les mêmes calomnies contre les travailleurs municipaux. Cela comprend la défense cynique de l'«égalité intergénérationnelle»: c'est-à-dire réduire les pensions des travailleurs municipaux pour les ramener au niveau des maigres ou inexistantes pensions de la plupart de ceux qui entrent maintenant sur le marché du travail.

Organisée par la Coalition syndicale pour la libre négociation, la manifestation était l'expression de la croissance de l'opposition de la classe ouvrière envers le gouvernement libéral qui a repris le pouvoir en avril après 18 mois dans l'opposition. De nombreux travailleurs ont dit qu'ils étaient prêts à faire grève, même si cela signifie de défier des lois répressives qui rendent la grève illégale si les conventions collectives sont toujours en vigueur. Beaucoup étaient aussi bien conscients que l'attaque sur leurs pensions fait partie d'un assaut bien plus grand contre les services publics.

Mais les syndicats n'ont aucunement l'intention de mener une véritable lutte pour défendre les salaires et les pensions des travailleurs municipaux.

Dès le départ, leur réaction à l'assaut de l'élite dirigeante contre les pensions des travailleurs municipaux – une campagne qui avait été lancée par le gouvernement, appuyé par les syndicats, du Parti Québécois (PQ) – a été de soutenir qu'ils étaient prêts à faire des concessions, y compris l'augmentation de l'âge de la retraite, une contribution plus élevée de la part des travailleurs et des plans de restructuration encore plus sévères des régimes de retraite qui souffrent d'un déficit actuariel.

Sur la pancarte: une photo du maire de Montréal Denis Coderre, un farouche partisan du projet de loi 3

Cette position est exprimée par le nom que les syndicats municipaux ont donné à leur coalition: Coalition syndicale pour la libre négociation. Au rassemblement tenu devant le bureau du premier ministre du Québec à la fin de la manifestation de samedi, le président du Syndicat canadien de la fonction publique, Paul Moist, a encouragé la foule à répéter: «Négocier, ne pas légiférer».

Marc Ranger, qui a donné l'allocution principale, a souligné que les syndicats souhaitaient établir un «dialogue» avec le gouvernement libéral. «Notre slogan c'est la négociation, pas la confrontation.»

Ranger a admis que les syndicats étaient depuis quelques jours en négociations avec le gouvernement pour amender le projet de loi 3 (un projet de loi dont la raison d'être est de s'attaquer aux pensions des travailleurs). Ranger a affirmé que les négociateurs du gouvernement avaient proposé des pistes intéressantes pour s'entendre avec les syndicats, mais qu'elles avaient été «retirées de la table» à l'insistance de Couillard.

Ranger a prétendu que si le gouvernement n'écoutait pas les demandes des syndicats dans les semaines à venir, la prochaine étape serait d'organiser un grand dérangement.

«Nos politiciens sont au pouvoir, mais nous aussi avons un pouvoir, celui de foutre le bordel», a déclaré Ranger.

Lorsque des journalistes l'ont questionné à ce sujet, Ranger a tout de suite tenté de se distancier de cette remarque, soutenant que les syndicats n'allaient organiser de «désobéissance civile» qu'en dernier recours.

«Le gouvernement déposera son projet de loi en novembre, puis il nous restera deux choses: soit la contestation juridique ou la désobéissance civile. Nous, on préconise les contestations juridiques.»

Le président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) Jacques Létourneau a déclaré que les libéraux semblaient avoir oublié les manifestations de masse qui avaient éclaté en 2003, après que les libéraux de Charest eurent présenté des projets de loi pour hausser les tarifs des garderies et faciliter la sous-traitance, et en 2012, durant la grève étudiante. Il a juré que les syndicats «vont faire reculer ce gouvernement» si Charest ne recouvre pas la mémoire bientôt.

Les travailleurs doivent voir dans cette déclaration un avertissement que les syndicats complotent une fois de plus pour étouffer l'opposition de masse au programme d'austérité de l'élite dirigeante. En 2003, les syndicats avaient appelé à une trêve de Noël, torpillant ainsi le mouvement d'opposition au gouvernement Charest. Ce gouvernement avait peu de temps après réussi à faire imposer ses mesures de droite. En 2012, les syndicats ont systématiquement isolé la grève étudiante qui était la cible d'une répression d'État de plus en plus sévère et ont détourné le mouvement de masse anti-gouvernement qui avait résulté de cette répression derrière l'élection d'un gouvernement du PQ qui a maintenu et développé la campagne d'austérité de Charest.

Des partisans du Parti de l'égalité socialiste sont intervenus à la manifestation de samedi pour distribuer des centaines d'exemplaires d'une déclaration exhortant les travailleurs municipaux et ceux qui les appuient à faire de leur lutte le coup d'envoi d'une offensive des travailleurs de tout le Canada contre le programme d'austérité de l'élite dirigeante. On peut y lire: «Ceci demandera non seulement des actions militantes – occupations, grèves, grève générale – mais surtout une mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière pour imposer sa propre solution à la crise capitaliste. Les ressources abondantes qui existent doivent servir à satisfaire les besoins sociaux, et non enrichir les banques et grandes sociétés.»

Des reporters du WSWS se sont entretenus avec plusieurs participants à la manifestation. 

Sylvain, un travailleur de la ville de Montréal, a dit au WSWS: «Le gouvernement Couillard se sert de nous pour baisser les conditions de vie au lieu de dire que tout le monde devrait avoir des pensions.»

Il a traité de menteurs le gouvernement et les médias qui affirment que les travailleurs de la ville de Montréal ont des pensions et des conditions de travail «trop généreuses». La majorité de de la main-d'oeuvre, a-t-il dit, est formée d'employés «non permanents». Si le projet de loi 3 devenait réalité, il perdrait environ 2000 dollars sur sa paie nette et sa pension serait considérablement diminuée.

Myriam, sa collègue de travail, a déclaré: «ça fait 10 ans que je suis à la Ville de Montréal et je suis toujours auxiliaire. Je gagne 15 $ l’heure et, comme nous n’avons pas de convention collective depuis 3 ou 4 ans, il n’y a aucune indexation de mon salaire.» Myriam a noté que le gouvernement provincial avait «donné congé» de cotisations de huit ans aux villes du Québec pendant que les caisses de retraite généraient des surplus. «Maintenant qu'il y a des déficits, ils veulent mettre la dette sur notre dos.»

Stéfane Deny, un pompier, a dit au WSWS que le projet de loi 3 «est une baisse de salaire déguisée. C’est une perte de 150 dollars par semaine environ, soit 600 par mois.»

Il accuse le gouvernement d'utiliser «la tactique du diviser pour mieux régner. C’est un nivellement vers le bas. Ce sont plutôt les gens qui n’ont pas de fonds de pension et d’avantages qu’on doit tirer vers le haut.»

Le projet de loi 3, ajoute Stéfane «n'est que le début. Ils veulent étendre ça plus tard. Les prochains seront les employés provinciaux.»

«La seule façon de combattre ces mesures-là, c’est de s’unir. Je soutenais les étudiants assurément. Les étudiants sont nos enfants, les adultes de demain.»

Les étudiantes Clarence, Pascale et Mylène ont expliqué au WSWS pourquoi elles participaient à la manifestation de samedi.

«Nous sommes en solidarité avec nos camarades employés municipaux. On trouve ça vraiment inacceptable le projet de loi 3. Ça s’inscrit dans une logique d’austérité et nous sommes contre l’austérité.

Pascale a dit que le projet de loi 3 «est lié au mouvement étudiant qu’on a fait en 2012. Le gouvernement veut couper dans n’importe quels programmes sociaux, que ce soit en éducation ou maintenant dans les retraites. C'est inacceptable, que ça nous touche nous directement ou n’importe quel autre citoyen.

Mylène a noté que la principale raison pourquoi les régimes de retraite étaient déficitaires était la crise financière de 2008: «On sait que les gouvernements soutiennent les banques et lorsqu’elles font faillite, ils leur donnent beaucoup d’argent et ils sauvent les banques, mais quand c’est le temps d’aider les travailleurs, le gouvernement ne fait rien, c’est juste les banques.»

Loading