Risque d'effondrement du crédit en Chine

Au début, ce n’était que des inquiétudes énoncées tout doucement. Mais dernièrement, les mises en garde sur l'état des finances de la Chine et les implications pour l'économie mondiale se sont faites de plus en plus insistantes.

Plusieurs facteurs se combinent pour en arriver là: le ralentissement de l'économie chinoise, et les problèmes que cela pose aux industries manufacturières de base, notamment la sidérurgie ; la perspective de l’effondrement du boum immobilier; et la possibilité que les arrangements financiers dans lesquels sont impliquées les banques et les institutions financières internationales puissent bientôt se trouver fragilisés en raison de la chute de la valeur de la monnaie chinoise.

Après la crise financière de 2008 et son effet sur l'économie chinoise, quand plus de 23 millions d'emplois ont été perdus en seulement quelques mois, le gouvernement a instauré un programme de stimulation massif, comprenant 500 milliards de dollars de dépenses, le plus important au monde.

La caractéristique la plus importante de ce programme était une directive aux banques publiques leur demandant d'ouvrir le robinet du crédit aux entreprises, aux institutions financières et aux autorités locales pour financer l'investissement en capacité industriel, le développement immobilier et les projets d'infrastructures.

Au cours des cinq dernières années seulement, la Chine a connu une expansion du crédit sans précédent dans l'histoire économique estimée à 15.000 milliards de dollars. C'est ce que vaut l'ensemble du système bancaire américain.

Le crédit a cru deux fois rapidement le produit intérieur brut (PIB). Mais au cours du dernier trimestre de 2013, le crédit, ou le «financement par la société» comme le décrivent les autorités chinoises, a atteint 200 pour cent du PIB, contre 125 avant l'éclatement de la crise financière mondiale.

Maintenant, le ralentissement de l'économie chinoise — l'objectif de croissance de cette année est «d'environ 7,5 pour cent» comparé aux précédents taux de 10 pour cent — frappe toutes les sections de l'industrie manufacturière, et notamment la sidérurgie.

Au cours des deux premiers mois de l'année, les membres de l'Association chinoise du fer et de l'acier ont perdu un total de 490 millions de dollars. En conséquence, le premier trimestre devrait être «la pire performance trimestrielle du nouveau siècle», d'après le vice-directeur de l'association, Liu Zhenjiang.

L'année dernière, l’industrie sidérurgique dans son ensemble a à peine réussi à rester bénéficiaire, enregistrant un taux de profit de seulement 0,48 pour cent. Cette industrie est devenue de plus en plus dépendante du crédit. Les sept plus importantes usines ont une dette totale de 226 milliards de dollars, un montant plus élevé que la capitalisation boursière du géant minier mondial BHP Billiton.

Macquarie Commodities Research a indiqué que, d'après une étude de l'industrie réalisée à la mi-mars, les petites et moyennes usines souffraient toutes d'une réduction des commandes comparée à la même période de l'année dernière et que les profits ont atteint des minima historiques.

Le mois de mars voit en général une montée des commandes après les vacances du Nouvel An chinois, mais cette année, il y a eu une aggravation de la situation.

Au Financial Times, l'analyste Colin Hamilton de Macquarie Capital (Europe), a déclaré que les défauts de paiement dans l'industrie sidérurgique étaient nettement probables, parce que le gouvernement chinois indique qu'il est prêt à voir certaines compagnies faire faillite, en raison d'une surcapacité dans ce secteur.

Les milieux financiers sont encore plus inquiets de la montée des risques d'effondrement de la bulle immobilière chinoise, suite à une croissance qui a multiplié par dix la valeur des propriétés sur les dix dernières années.

Alors que ce boum sur les propriétés a toujours cours à Beijing et Shanghai, c'est une autre histoire dans les villes plus petites, qui représentaient les deux tiers des propriétés en construction l'année dernière.

De grands blocs d'appartements sont maintenant vides ou leur construction n'est pas terminée. D'après l'économiste en chef du géant financier japonais Nomura, le marché du logement est le «risque principal» de l'économie chinoise pour cette année.

Un effondrement du marché immobilier aura des conséquences internationales immédiates parce que les investisseurs étrangers sont devenus une source encore plus importante de crédit. Depuis 2010, ils ont prêté aux développeurs immobiliers au moins 48 milliards de dollars en bons américains libellés en dollars. D'après le Crédit suisse, les dettes envers des étrangers représentent plus de la moitié de la dette totale restant à payer des six principaux développeurs.

Les problèmes des grands développeurs causés par le déclin des prix de l'immobilier sont aggravés par la chute de la valeur du yuan. Chaque fois que la monnaie baisse, la charge de la dette des prêts libellés en dollars augmente.

La troisième source majeure d'instabilité financière tient aux activités des gouvernements locaux. À part les mesures de stimulus du gouvernement central suite à la crise de 2008, ils ont massivement augmenté le développement immobilier et des infrastructures.

Si les autorités locales sont responsables de 80 pour cent du total des dépenses publiques, elles ne reçoivent que 40 pour cent des revenus des impôts. D'autres sources de financement ont dû être trouvées. Les autorités locales ne sont pas légalement autorisées à emprunter, elles créent donc des «véhicules de financement des gouvernements locaux» qui, eux, peuvent emprunter.

Il y aurait 10.000 VFGL. Ils ont des liens étroits avec les principales banques ainsi qu'avec les «banques de l'ombre», qui trouvent de l'argent non par les dépôts, mais en faisant des emprunts à court terme.

Le gouvernement chinois a tenté au cours des dernières années de restreindre le développement des crédits, qu'il considère comme insoutenable à long terme. Mais les autorités locales sont sous le contrôle des chefs régionaux du Parti communiste chinois (PCC), qui ont empoché une richesse considérable avec le développement immobilier et des infrastructures.

Cela signifie que les tentatives des autorités centrales de réduire le développement du crédit ont eu un effet pervers. Confrontés aux restrictions officielles, les chefs locaux du PCC, déterminés à conserver ou étendre leur richesse, ont eu de plus en plus recours au «système bancaire de l'ombre», augmentant ainsi les risques financiers.

D'après l'analyste financier Satyajit Das, écrivant dans l'Independent jeudi : «beaucoup de VFGL n'ont pas de liquidités suffisantes rembourser leurs dettes, car elles dépendent des ventes de terrains et des prix élevés des propriétés pour pouvoir remplir leurs obligations. Probablement plus de 50 pour cent des VFGL ont un niveau d'endettement insoutenable.»

Certains commentateurs ont écarté la perspective d'une crise majeure en raison des importantes réserves monétaires de la Chine et du contrôle public de l'économie. Plusieurs des principales banques mondiales ont cependant signalé l'impact qu’aurait une décision de la Réserve fédérale américaine de relever ses taux d'intérêt.

L'an dernier, lorsque la Fed a commencé à signaler son intention de réduire ou «amenuiser» son programme d'achat d'avoirs, les marchés émergents ont connu un reflux majeur de capitaux. L'essentiel de cet «argent chaud» était allé en Chine, car l'on croyait que, contrairement aux marchés émergents où la valeur des monnaies avait baissé, la valeur du yuan continuerait à monter.

Pour le moment cependant, la monnaie a baissé de plus de 2,5 pour cent, en partie en conséquence des tentatives des autorités financières chinoises pour maîtriser la spéculation, entraînant des pertes de près de 5,5 milliards de dollars pour les compagnies impliquées dans les opérations spéculatives sur les écarts de rendement, dans lesquelles des dollars sont empruntés pour acheter des avoirs chinois. Si cela est une somme relativement faible, ce pourrait être un signe annonçant ce qui est à venir.

Des inquiétudes sont maintenant soulevées sur une seconde phase de réactions aux «resserrements» de la Fed qui risquerait d'avoir un effet sur la Chine. Un récent rapport de Citigroup notait : «il y a un scénario dangereux dans lequel une augmentation des taux à court terme américains couplée à un RMB (yuan) plus volatile pourrait résulter en une fuite de capitaux assez importante de la Chine.»

Nomura a publié une note la semaine dernière disant que les opérations sur les écarts de rendement «inversent la tendance» dans un contexte où les investisseurs chinois, les banques commerciales et les exportateurs ont tous été impliqués dans le jeu des emprunts de dollars.

L'analyste de Nomura pour la Chine, Wendy Liu, a dit que les investisseurs mettaient trop d'espoirs dans la perspective d'un nouveau programme de stimulation et d'infrastructures, et qu'ils ne tiennent pas compte des risques sur la monnaie. La chute du yuan pourrait être une mise en garde sur le fait que «la bulle du crédit chinoise risque d'exploser de manière imminente», a-t-elle dit.

D'après le Crédit suisse, l'ampleur des opérations spéculatives sur les écarts de rendement a atteint 200 milliards de dollars, et implique des manœuvres complexes passant par Hong Kong, et «divers indicateurs» pointent vers des «tensions» dans le système, ce qui augmente «le risque d'une erreur».

La dette chinoise croissante souligne le fait qu'aucune des contradictions qui ont entraîné la crise de 2008 n’a été résolue. Elles ont simplement pris de nouvelles formes.

L'expansion massive de la dette chinoise au cours des cinq dernières années était le résultat direct de la crise financière déclenchée par le quasi-effondrement du système financier américain. Le stimulus économique qui a suivi a joué un rôle clef pour maintenir l'économie mondiale.

Il a été estimé que les marchés émergents étaient responsables des trois quarts de la croissance mondiale au cours des cinq années passées, la plus grande partie revenant à la Chine. Mais cette croissance chinoise a été le résultat d'une bulle du crédit qui menace maintenant d'éclater, avec des conséquences potentiellement désastreuses pour le système financier mondial dans son ensemble.

(Article original paru le 4 avril 2014)

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