La visite d’Etat de Hollande à Washington: la France adhère à la guerre néocoloniale mondiale

Hier a marqué la fin d’une visite d’Etat de trois jours du président français François Hollande à Washington, DC. Cette visite était censée représenter l’enterrement définitif des conflits diplomatiques qui avaient éclaté il y a plus d’une décennie entre les Etats-Unis et la France lorsque le président de droite, Jacques Chirac, s’était opposé en 2003 à l’invasion de l’Irak par le gouvernement Bush.

Dans une tribune commune publiée lundi, en début de visite, par le Washington Post et Le Monde, Obama et Hollande ont clairement mis en évidence une nouvelle alliance franco-américaine.

Ils écrivent: « Il y a dix ans à peine, peu nombreux étaient ceux qui pensaient que nos deux pays allaient travailler ensemble aussi étroitement dans tant de domaines. Mais notre alliance s’est transformée au cours des dernières années. Depuis le retour de la France dans la structure de commandement de l’OTAN, il y a quatre ans, nous avons développé notre coopération à tous les niveaux dans le cadre de notre engagement à renforcer constamment le partenariat entre l’OTAN et l’Union européenne. Nous sommes deux nations souveraines et indépendantes qui prenons nos décisions en nous fondant sur nos intérêts nationaux respectifs. Mais c'est précisément parce que nos intérêts et nos valeurs sont si proches que nous avons été en mesure de faire franchir un nouveau cap à notre alliance. »

Par cette déclaration, le Parti socialiste (PS) de Hollande adhère en tant que partenaire minoritaire au programme américain de domination mondiale, lancé sous Bush et qui s 'est poursuivi sous Obama après qu'il eut succédé à Bush en janvier 2009. Au mépris à la fois de l'opinion publique et des traditions de sa propre diplomatie impérialiste d'après la Deuxième Guerre mondiale, Paris est en train de renoncer à toute prétention de vouloir poursuivre une politique étrangère indépendante de Washington.

La Stratégie nationale de sécurité des Etats-Unis de 2002 qui visait à justifier l’agression américaine contre l’Irak, prônait une politique « fondée sur une approche très américaine de l’action internationale, synthèse de nos valeurs et des intérêts de notre pays. »

Actuellement, Obama et Hollande citent des « intérêts et des valeurs » partagés pour s’engager non pas dans la conquête d’un pays mais dans un nouveau partage néocolonial de la planète entière par l’impérialisme. Washington est en train d’aider Paris dans ses guerres au Mali et en République centrafricaine tandis que Paris promet de renforcer le soutien au « pivot vers l’Asie » d’Obama et qui vise la Chine. Tous deux appuient la campagne menée par l’Allemagne pour isoler et découper la Russie, à commencer par les actuelles protestations de rue de l’extrême-droite réclamant un changement de régime en Ukraine.

Au mois de septembre, la France était la seule puissance européenne prête à participer à une guerre agressive que les Etats-Unis ont presque lancée contre la Syrie, et qui aurait pu entraîner un conflit avec les alliés de la Syrie, l'Iran et la Russie. Hollande avait fait pression pour la guerre après que le parlement britannique avait voté contre et en dépit d'une massive opposition populaire en France. Ceci avait valu à Hollande d'être comparé à l'ancien premier ministre britannique, Tony Blair, qui avait été ridiculisé et traité de << caniche >> de Bush pour son soutien servile à la guerre en Irak.

Lors de leur conférence de presse conjointe, mardi à Washington, Obama a félicité Hollande en disant : « Du Mali et de la République centrafricaine en passant par la Syrie et l’Iran, vous avez fait preuve de courage et de détermination et je veux vous remercier pour votre leadership et votre partenariat avec les Etats-Unis. » Il a aussi annoncé une aide accrue à l’opposition islamiste liée à al Qaïda en Syrie.

Obama a aussi fait l'éloge de Hollande, qui vient tout juste d’annoncer un allègement fiscal de 30 milliards d’euros pour les patrons, impliquant des coupes dans les dépenses sociales, pour le lancement de nouveaux pourparlers en vue d’un nouvel accord de libre-échange. Il a dit qu’ils avaient convenu de poursuivre un partenariat transatlantique TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), en ajoutant vouloir remercier le président Hollande pour son engagement sur ces négociations.

Hollande s’est solidarisé avec le programme de guerre et d’austérité défini par Obama, dont il a salué l’élection comme la preuve que l’Amérique progressait une fois de plus. Il a ajouté que l’Amérique était capable de rendre quelque chose possible, de faire progresser les choses.

La déclaration par Hollande que ce programme conjoint d’austérité et de guerre représente un « progrès » est un mensonge absurde. Paris a réagi à la crise de sa propre position dans le monde – sa perte de compétitivité au profit de l’Allemagne, la diminution de son influence économique dans ses anciennes colonies et l’effondrement de son économie minée par de dures coupes sociale – par un retour en arrière, en empruntant la voie d’une politique mondiale du pillage. La crise de l’ordre impérialiste mondial a irrévocablement ébranlé l’équilibre de classe qui existait en France durant la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale.

Le commentaire conjoint de Hollande et d’Obama souligne l’importance considérable de la décision prise en 2009 par le prédécesseur de Hollande, le président de droite, Nicolas Sarkozy, de réintégrer la France dans l’OTAN après 43 ans d’absence du commandement militaire de l’OTAN. Cette décision d'intégration de la politique étrangère française et américaine, entretenue par Hollande et silencieusement soutenue par ses alliés, le Parti communiste français (PCF) et le Nouveau parti anticapitaliste de pseudo-gauche (NPA), a des conséquences politiques d’une portée considérable.

L’écart traditionnel qui existe entre la politique étrangère américaine et française, tel que l’avait formulée le général de Gaulle, est né de la crise révolutionnaire de la France d’après-guerre. De Gaulle et le PCF, avaient tous deux cherché à réprimer le sentiment anticapitaliste au sein de la classe ouvrière et qui avait éclaté après l’effondrement en France du régime de collaboration avec les nazis. De Gaulle, qui dirigeait la majorité des forces droitières dans la Résistance et le reste de l’armée coloniale française, comptait sur le soutien du PCF pour fonder un nouveau régime capitaliste et garder la mainmise sur les colonies françaises.

Cette stratégie et de Gaulle personnellement furent toutefois confrontés à une opposition émanant de puissantes forces à Washington. L’impérialisme américain s’opposait au PCF et avait ses propres vues sur les colonies de la France. De Gaulle craignait que si Washington le mettait à l’écart en gardant un responsable de Vichy à la tête de l’Etat, la colère populaire pourrait s’avérer impossible à contrôler.

La contrepartie extérieure à son exercice d’équilibre entre des éléments droitiers et le PCF fut la poursuite, au sein de l’OTAN, d’une politique étrangère indépendante, dont des ouvertures restreintes vers Moscou et des efforts pour empêcher que les conflits entre Washington et Moscou ne s’exacerbent trop. En 1945, de Gaulle préconisa « une politique française d’équilibre entre deux très grandes puissances, politique que je crois absolument nécessaire pour l’intérêt du pays et même pour celui de la paix. »

De Gaulle était un impérialiste impitoyable, et certaines de ses idées préfiguraient la résurgence mondiale de l'impérialisme aujourd'hui. Méditant la défaite de son gouvernement lors de la guerre d'Algérie et sa décision de permettre un référendum en 1962 qui mènerait à l'indépendance de l'Algérie, il écrit dans ses Mémoires : << Tout nous commande de reparaître au Caire, à Damas, à Amman, à Bagdad, à Khartoum, comme nous sommes restés à Beyrouth. >>

Les concessions qu’il fit à la classe ouvrière et les conflits entre les intérêts français et américains l’obligèrent toutefois à poursuivre une politique indépendante de Washington, notamment dans le contexte de tensions franco-américaines grandissantes dans les années 1960. De hauts responsables français ainsi que des publications ont accusé la CIA d’avoir encouragé le putsch avorté de 1961 contre de Gaulle, qui visait l’indépendance algérienne et qui était conduit par l’ancien responsable de l’OTAN, le général Maurice Challe, dans le but de maintenir l’Algérie française et d’empêcher qu’elle ne tombe sous influence soviétique.

Ceci, ainsi que l’opposition américaine au programme nucléaire français, amena de Gaulle à retirer en 1966 la France des commandements intégrés de l’OTAN et à restreindre les opérations de renseignement en France.

Cette politique s'est pourtant effondrée une fois pour toute après l'éclatement de l'Union soviétique et avec la crise grandissante du capitalisme européen. Les concessions sociales faites à la classe ouvrière qui avaient formé la base de la collaboration du PCF avec de Gaulle ainsi que les limitations militaires imposées à l'impérialisme européen du fait de l'existence de l'URSS disparaissent. Un nouveau conflit révolutionnaire émerge entre la classe ouvrière et une classe dirigeante déterminée à préserver sa richesse au moyen d'une régression sociale sur le plan intérieur et de guerres prédatrices à l'extérieur.

Le virage à droite brutal des partis bourgeois de « gauche » en faveur d’une politique de guerre d'agression irresponsable est un signe sans équivoque de la crise révolutionnaire qui est en train d’émerger et du fossé qui est en train de se creuser entre la classe ouvrière et tous les représentants de la classe capitaliste.

Le PCF et le NPA ont utilisé leur soutien à l’opposition syrienne, soutien qui a été cyniquement justifié par des motifs « de droits humanitaires », pour se ranger derrière la politique irresponsable du Parti socialiste au péril d’une guerre avec la Syrie, l’Iran et même avec la Russie et la Chine. Ils ont préféré ignorer la divulgation des opérations d’espionnage de masse perpétrées tant par les services de renseignement américains que français, et que l’ancien agent de la NSA, le lanceur d’alerte Edward Snowden, a révélées. Ils sont complices de tous les crimes qui sont en train d’être planifiés à Washington, Paris et par tous les autres alliés impérialistes des Etats-Unis.

(Article original paru le 13 février 2014)

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