Perspectives

L'Etat américain annonce qu'il assassinera un citoyen américain

L'Associated Press (AP) a publié lundi un reportage extraordinaire qui s'appuie sur des fuites volontaires d'informations de la part de haut responsables du gouvernement américain annonçant que l'équipe d'Obama « se débat sur la question de tuer [un citoyen américain dont le nom est gardé secret] par une frappe de drone et comment le faire légalement en respectant sa nouvelle politique plus stricte sur la désignation des cibles. » L'individu visé est présenté comme un terroriste résidant « dans un pays qui refuse les actions militaires américaines sur son sol et qui s'est révélé incapable de le poursuivre. » Les médias ont ensuite publié divers reportages indiquant que cet individu serait au Pakistan.

La révélation de lundi selon laquelle la Maison Blanche se prépare une fois de plus à commettre le meurtre illégal d'un citoyen américain donne un sens tout à fait nouveau et sinistre au slogan de campagne du président Obama, « Yes we can / oui on peut le faire. »

En effet, si le gouvernement peut ordonner l'assassinat par l'Etat d'un citoyen américain au nom de la sécurité nationale, qu'est-ce qui lui reste interdit ? Les camps de concentration (une solution récemment défendue par le juge à la Cour suprême Antonin Scalia), la torture, les enlèvements, la loi martiale, la suspension de la constitution, toutes ces méthodes de dictature policière deviennent également justifiables et possibles.

L'objectif apparent de la fuite calculée du gouvernement Obama est d'émousser l'opposition populaire à un meurtre d'Etat illégal en créant une fausse aura de « respect des procédures, » de « transparence » et de délibérations méticuleuses autour d'une opération criminelle qui est surtout secrète, conspiratrice, et qui méprise les principes constitutionnels fondamentaux.

Le reportage de l'AP met l'accent sur les soi-disant « grands obstacles » à franchir au cours de ces procédures secrètes avant qu'un mandat de tuer soit signé. La population mondiale a reçu l'assurance qu'il s'agit d'une décision « difficile », ce qui implique qu'à huis clos il y aurait bien des mains qui se tordent et de fronts qui se plissent avant la prise de décision. L'insistance sur ce point est dans la droite ligne d'un discours [article en anglais] du ministre de la Justice du gouvernement Obama, Eric Holder, et d'un ''livre blanc'' [article en anglais] de 2013 qui cherchait à donner une justification légale au programme d'assassinats.

La fuite vers l'AP et l'écho que les médias se sont empressés de donner aux prétentions des hauts responsables qui « se débattraient » avec les problèmes légaux posés par les meurtres d'Etat ont un autre objectif, encore plus pernicieux. Cela vise à créer l'illusion d'une sorte de débat national sur ce programme d'assassinats, où le public se trouver enrôlé de force, contre sa volonté et sans aucun pouvoir de décision. L'effet souhaité est d'impliquer moralement le peuple américain dans son ensemble dans les crimes de l'Etat américain.

Le meurtre d'un citoyen américain par le gouvernement, sans mise en accusation ni procès, est, en premier lieu, une violation flagrante de la Déclaration des droits fondamentaux (Bill of Rights), des lois votées au parlement américain, et de nombreux traités internationaux.

La clause de Respect des procédures (Due Process) du Cinquième amendement, qui fait partie du Bill of Rights (1791) interdit expressément les meurtres extra-judiciaires, elle dispose que « nul ne pourra, dans une affaire criminelle, être obligé de témoigner contre lui-même, ni être privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière. » Il ne peut y avoir aucun doute sur la volonté des auteurs. Thomas Jefferson avait écrit à James Madison en 1789 : « L'assassinat, le poison, le parjure […] tout cela était légitime au Moyen Age, période qui se situe entre les civilisations anciennes et modernes, mais a volé en éclat et est tenu en juste horreur au dix-huitième siècle. »

Dans une tentative de contourner le langage explicite du Cinquième amendement, le gouvernement Obama a tenté de redéfinir le « respect des procédures » pour qu'il renvoie à la « procédure » suivie par l'armée et les responsables des services de renseignements, avec le président, où ils se rencontrent en secret, choisissent leurs victimes et ordonnent les meurtres. Cette procédure secrète a été exposée dans le reportage de l'AP hier sur cette assassinat envisagé. Ce reportage insistait sur l'idée que les responsables du Pentagone auraient été « initialement divisés » avant de parvenir à un consensus en faveur du meurtre.

Cette redéfinition grotesque du « Due Process » est contraire à près d'un millénaire de jurisprudence qui remonte à la Magna Carta de 1215. D'après celle-ci, ce terme désigne les protections fondamentales comme la présomption d'innocence, la publicité des procès, le droit à un avocat, le droit à un jury, le droit d'être confronté à ses accusateurs, etc.

Dans la novlangue juridique du gouvernement Obama, les droits individuels d'une personne doivent être « mis en balance » avec les intérêts de l'Etat. D'après cette formule, les droits démocratiques individuels existent, mais peuvent être ignorés à tout moment si cela arrange l'Etat. Cette formule n'a aucun fondement dans le Bill of Rights, qui est rédigé en des termes absolus, sans exceptions. Cette formule de « mise en balance » n'est rien de plus qu'une recette pour la dictature, et elle pourrait s'insérer sans problème dans la jurisprudence de n'importe quel Etat policier dans l'histoire.

Si le meurtre annoncé lundi est mené à terme, il constituera le cinquième assassinat d'un citoyen américain depuis le lancement du programme d'« assassinats ciblés », qui a également coûté la vie à des milliers de victimes innocentes d'autres nationalités. Selon le droit international, tous ces meurtres sont des crimes de guerre. Du point de vue du droit interne, tous les militaires, agents du renseignement et responsables civils, jusqu'à Obama inclus, qui ont participé ou ne se sont pas opposés au meurtre d'un citoyen américain sans accusation ni procès, sont coupables de meurtre. Tous les individus de ce type méritent d'être démis de leurs fonctions, arrêtés, mis en examen et poursuivis en justice.

Pendant que les libéraux et les chantres d'Obama parmi la pseudo-gauche insistent religieusement sur les sentiments humains qui habiteraient le « for intérieur » invisible du président, le véritable Obama apparaît de plus en plus comme un agent impitoyable et dénué de scrupules de l'appareil militaire et des services de renseignement. Dans un récent livre de Mark Halperin et John Heilemann, intitulé, Double Down : Game Change 2012, Obama est cité pour s'être vanté devant ses assistants d'être « vraiment bon à tuer des gens. »

Les activités du gouvernement Obama font passer les méfaits de tous les précédents gouvernements américains, pris ensemble, pour des peccadilles par comparaison. L'acte d'accusation d'Obama seul compterait déjà des milliers de pages : crimes de guerre, corruption, torture, parjure, vol, négligence, coups et blessures, enlèvement, conspiration, meurtre, et la construction d'un appareil d'espionnage illégal massif sans précédent dans l'histoire.

L'absence de toute opposition substantielle au sein de l'élite politique face à l'annonce qu'un citoyen américain sera assassiné sans procès démontre que la démocratie américaine est en phase terminale.

La clé pour comprendre cet effondrement stupéfiant de la démocratie américaine est l'inégalité sociale. La démocratie est en contradiction avec un monde où le 1 pour cent le plus riche contrôle la moitié de la richesse du monde, c'est-à-dire avec le capitalisme. La clique ultra-riche qui dirige les États-Unis engloutit tout l'argent qu'elle peut mais a conscience de son impopularité grandissante. Donc, en même temps qu'elle cherche partout à balayer les acquis sociaux et démocratiques de la population, elle œuvre plutôt à accoutumer la population à l'autoritarisme.

La lutte pour défendre et étendre les droits démocratiques fondamentaux, tels ceux qui sont inclus dans le Bill of Rights et pour traîner les criminels comme Obama devant les tribunaux, ne peut avancer que par une mobilisation indépendante de la classe ouvrière dans une lutte politique contre le système capitaliste.

(Article original paru le 12 février 2014)

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