La campagne électorale est en cours en Afrique du Sud

Le journal sud-africain Business Day a rapporté le 4 janvier que la Commission électorale indépendante avait entamé le processus permettant aux Sud-Africains qui vivent et travaillent à l’étranger de s’inscrire pour pouvoir voter à partir de l’étranger, conformément aux dispositions de l’amendement de la loi électorale de 2013, lors des élections de 2014.

Les émigrés d’Afrique du Sud, pour la plupart de riches blancs, forment un important appui pour l’opposition, l’Alliance démocratique (Demoratiese Alliansie, DA). Entre-temps, le DA s’efforce de renforcer sa position dans la province du Cap-Occidental où il constitue le parti au pouvoir. Il cherche dans la province du Gauteng à arracher la majorité au gouvernement sortant du Congrès national africain (ANC) en faisant appel au vote de la classe moyenne noire dans la plus petite et plus riche province du pays.

Trois autres partis bourgeois, qui disposent chacun de moins d'un pour cent des sièges à l’Assemblée nationale, ont rejoint le Congrès du Peuple (COPE) dans une coalition appelée le Collectif pour la Démocratie (CD). COPE est une scission de l’ANC constituée en 2008 par des loyalistes partisans de Thabo Mbeki pour protester contre son limogeage humiliant du bureau national après avoir perdu la présidence de l’ANC à Jacob Zuma lors de la conférence du parti en 2007 à Polokwane. Tout comme l’ANC, le Collectif n’a rien à offrir aux pauvres.

Sur la soi-disant gauche, les seuls partis à lancer des appels aux travailleurs sont les Combattants de la liberté économique (Economic Freedom Fighters, EFF) du président exclu de la Ligue de jeunesse de l’ANC, Julius Malema, et le Parti ouvrier et socialiste (Workers and Socialist Party, WASP) qui, par le biais du Mouvement socialiste démocratique (Democratic Socialiste Movement, DSM), est aligné sur le Comité pour une Internationale ouvrière (Committee for a Workers’ International, CWI) de la pseudo-gauche.

Le DSM déclare sur son site web avoir pris la décision de former le WASP «conjointement avec les comités de mineurs». Il se vante de recevoir le soutien du National Transport Movement, qui a fait scission du Syndicat sud-africain des Transports (South African Transport and Allied Workers’ Union, SATAWU) et qui cherche à établir des relations avec le syndicat national des mineurs (National Union of Mineworkers, NUM). Le DSM s’appelait auparavant Tendance marxiste des travailleurs (Marxist Workers Tendency, MWT) de l’ANC.

Dès le début de l’été, le WASP/DSM s’était rendu compte que le retrait à l’ANC, qui est au pouvoir, du soutien électoral de la part du Syndicat national des travailleurs de la Métallurgie d’Afrique du sud (National Union of Metalworkers of South Africa, NUMSA) aurait pour conséquence qu’un bloc d’électeurs de la classe ouvrière serait sans famille politique lors des prochaines élections. Et donc, le WASP fait depuis des mois une cour assidue au NUMSA.

Le NUMSA, tout comme le WASP, prétend que le fossé qui se creuse au sein du Congrès des syndicats sud-africains (Congress of South African Trade Unions, COSATU) concerne des factions pro-capitalistes et pro-socialistes. Le secrétaire général du NUMSA, Irvin Jim, le président Andrew Chirwa et le trésorier Karl Cloete font bien évidemment partie du camp «socialiste» au même titre que le secrétaire général Zwelinzima Vavi qui a été suspendu de ses fonctions, et pour la survie duquel ils luttent tous.

Le site web du WASP proclame que le parti est le résultat de la résistance des travailleurs et de la base syndicale qui avait culminé dans l’attaque policière le 16 août 2012 à Marikana en faisant des dizaines de morts. Le site ne mentionne rien de substantiel sur les liens qu’entretient le WASP avec l’opportuniste CWI.

La spécialité de cette tendance petite-bourgeoise est de neutraliser et d’isoler la classe ouvrière dans des positions répressives sous le couvert d’une rhétorique de gauche. Par exemple, en tant que partie intégrante du parti allemand Die Linke [La Gauche – l’homologue allemand du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon en France], le groupe Alternative socialiste (Sozialistische Alternative Voran, SAV) qui est affilié à la CWI est coupable d’avoir soutenu au sein de Die Linke une intensification des actions occidentales menées contre le régime syrien de Bachar al-Assad en soutenant ainsi les «milices révolutionnaires» parrainées par la CIA qui le combattent.

Le WASP ne s’en sort guère mieux. «Comment expliquons-nous», demande le site internet du WASP dans son éloge à feu l’ancien président Nelson Mandela, «le fait qu'aujourd'hui la direction de l’ANC, qui est préoccupée par son enrichissement personnel, se trouve à des années-lumière du mouvement de libération d’hier? [...] La raison est simple: l’ANC a trouvé un arrangement avec le capitalisme au lieu d’y mettre fin. »

Ce sont des fantasmes. Le WASP prétend que le bourgeois nationaliste ANC et ses alliés staliniens au sein du jadis clandestin Parti communiste sud-africain (SACP) furent des exemples de vertu grâce à des dirigeants comme Mandela.

En premier lieu, les abus, commis par les commandants de l’Umkhonto we Sizwe («Fer de lance de la nation») de l’ANC contre la guérilla ouvrière dans des camps d’entraînement tel le camp Quatro en Angola sont bien documentés.

Mais surtout, il y a le fait que l’ANC «a trouvé un arrangement avec le capitalisme au lieu d’y mettre fin».

La relation incestueuse entre l’ANC et le SACP est politiquement fondée sur la théorie des «deux stades» de la révolution prolétarienne au moyen de laquelle les staliniens se sont opposés aux soulèvements ouvriers (et les ont trahis) internationalement en renvoyant aux calendes grecques la dictature du prolétariat au profit d’alliances avec des partis bourgeois «progressistes». L’ANC a adopté une rhétorique anti-impérialiste et socialiste que lui ont fournie les staliniens, car légitimant la perspective de la Charte de la Liberté (Freedom Charter) d’établir une Afrique du Sud apparemment démocratique et capitaliste en mettant un terme à l’apartheid.

Sur cette question essentielle, nous pourrions aussi croire les paroles de Mandela dont on a appris dernièrement qu’il était un membre du SACP. Selon lui, l’adoption du programme de l’ANC signifiait que « la bourgeoisie non européenne aura l’occasion de posséder en son propre nom et son propre compte des moulins et des usines et le commerce et les entreprises privées prospéreront et s’épanouiront comme jamais auparavant».

L’arrangement que l’ANC a trouvé avec le capitalisme, plutôt que d’y mettre fin, a toujours été son objectif. Il présupposait dès les années 1990 l’intensification de l’exploitation des travailleurs sud-africains dans une compétition avant tout avec les travailleurs en Chine en tant que principale plateforme de main-d’œuvre bon marché. Ceci a été en partie nécessaire pour payer l’élévation de l’élite politique noire dans le giron d’une bourgeoisie qui n’a pas eu à renoncer au moindre centime des gains réalisés durant l’apartheid.

Après la fabrication du mythe qui cherche à masquer la véritable ligne de l’ANC, le WASP jure maintenant de se présenter lui-même comme le moyen politique auquel le NUMSA doit atteler sa base de masse. La lettre ouverte adressée par le WASP aux syndicats demande au NUMSA «d’aller plus loin que de seulement retirer le soutien à l’ANC et de soutenir la formation d’un parti ouvrier de masse».

Il se targue en disant, «Le WASP est officiellement soutenu par le National Transport Movement (une scission forte de 50.000 membres [du syndicat South African Transport and Allied Workers Union]) et par le [South African National Civics Organisation, SANCO] de la région du Transkei. [...] Le WASP est organisé de manière démocratique et fédérale qui permet au NUMSA de nommer ses propres candidats pour qu’ils se présentent aux élections sous l’égide du WASP.»

La bande de voyous que l’on peut trouver dans une telle formation s’attaquerait tout aussi facilement aux travailleurs que le ferait l’Alliance tripartite du NCA formée avec le COSATU et le SACP. La condition principale pour une place sous l’organisation de tutelle WASP semble être une rupture avec le camp de Zuma et la répétition d’un slogan gauchiste ou deux. Et donc, en octobre dernier, le WASP avait envisagé un «accord urgent pour une collaboration en matière électorale» avec l’EFF de Malema.

À peine quelques jours plus tard, les négociations échouèrent. Les parties ne purent s’entendre, entre autres, sur le contenu de la demande de «nationalisation».

Le représentant du WASP, Mametlewe Sebei a dit, «Notre demande de nationalisation n’est pas une fin en soi.» «La position de l’EFF est la nationalisation afin de placer des secteurs de l’économie sous le contrôle de l’État, ce qui ne résout pas les problèmes pour la classe ouvrière. »

Aucun des syndicats ou des représentants syndicaux, dont Irvin Jim et Zwelinzima Vavi, n’offrent une voie pour aller de l’avant. Le Mail & Guardian a rapporté le 1er avril 2010, «Noluthando Vavi, l’épouse du secrétaire général du COSATU, Zwelinzima Vavi, perçoit 60.000 rands [5.500 dollars US] par mois pour commercialiser des produits financiers aux membres des syndicats. Et la société pour laquelle elle agit est tellement soucieuse de garder l’accord secret qu’elle a offert au Mail & Guardian un pot de vin de 120.000 rands pour supprimer le récit.»

Le fait de faire partie de la bureaucratie syndicale en Afrique du sud équivaut à un passeport vers la bourgeoisie même. D’anciens syndicalistes, dont Cyril Ramaphosa, Jay Naidoo et Mbhazima Shilowa ont depuis rallié les rangs des individus les mieux dotés du pays grâce à la politique d'«Émancipation économique des noirs» de l’ANC.

En opposition aux efforts entrepris par le WASP et d’autres pour présenter la bureaucratie syndicale comme un grand espoir pour les pauvres, les travailleurs, les étudiants et les chômeurs, seul un parti trotskyste peut garantir l’indépendance politique de la classe ouvrière. Les travailleurs doivent construire la section sud-africaine du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article original paru le 10 janvier 2014)

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