Québec: le profit, la déréglementation et la tragédie à l’Isle-Verte

Les corps de dix-neuf personnes ont maintenant été retirés des décombres de la résidence pour aînés du Havre, à l'Isle-Verte, qui a été en partie détruite par le feu le 23 janvier. Treize personnes manquent à l’appel. Cinq résidents sont toujours hospitalisés. La glace qui a recouvert le site arrosé par les pompiers a ralenti le travail pour retrouver les cadavres.

Même si les causes exactes de l’incendie restent à être déterminées, il est clair que la lourde perte de vies humaines est due à l'absence de gicleurs dans la partie la plus vieille de la résidence, bâtie en 1997.

Alors que la partie la plus vieille de la résidence en bois de trois étages a été rapidement dévorée par les flammes, rendant impossible l'évacuation des résidents peu mobiles, la partie la plus récente de la résidence, bâtie en 2002 et équipée de gicleurs, a subi peu de dommages suite à l'incendie.

Pendant des décennies, des pompiers, des coroners et des analystes expérimentés ont cherché à convaincre le gouvernement de rendre les gicleurs obligatoires dans toutes les résidences pour aînés, mais le gouvernement a refusé en citant les coûts qui en découleraient.

Et même aujourd'hui, après la tragédie de l'Isle-Verte, le gouvernement péquiste maintient que la question doit encore être étudiée.

Entre-temps, des informations ont filtré montrant qu'au cours des dernières années, les propriétaires de résidences pour aînés et le gouvernement du Québec ont travaillé de concert pour réduire les normes de sécurité et les coûts de fabrication des bâtiments. La priorité n’est pas la sécurité des résidents et des employés, mais plutôt que les personnes âgées soient hébergées au moindre coût avec la possibilité d’en retirer un profit. Tout cela a contribué au désastre.

De nombreuses études ont montré l'efficacité des gicleurs à ralentir la progression des incendies. L'Association américaine de la protection contre les incendies (US National Fire Protection Association) a fait savoir que ses dossiers montrent que pas plus de deux personnes sont mortes lors d'incendies dans des bâtisses résidentielles, institutionnels ou pour enseignement qui sont complètement équipées de gicleurs.

Pourtant au Québec, où un grand nombre de personnes âgées vivent dans des bâtisses en bois, le gouvernement n'exige des gicleurs que dans les résidences de quatre étages ou plus, ou bien là où vivent des personnes jugées en perte d'autonomie.

Trente-sept des résidents à la résidence de l'Isle-Verte étaient âgées de 85 ans ou plus, certains souffraient de l’Alzheimer, la plupart utilisaient une chaise roulante, mais le gouvernement n'a pas exigé de gicleurs parce que les résidants étaient jugés «semi-autonomes».

Selon le président de l'Association des chefs en sécurité incendie du Québec, Daniel Brazeau: «Un gicleur équivaut à la présence d'un pompier au cœur du foyer d'un incendie dès les premiers instants. Cela permet de contenir l'élément destructeur en attendant l'entrée en action des premiers intervenants.»

Daniel Perron, le président de l’Association des chefs de pompiers du Québec a déclaré, lors d’une entrevue téléphonique à Post Media: «Nous parlons depuis des années de gicleurs. Nous sommes exaspérés par la situation… Nous avons demandé (des lois pour les gicleurs) pendant des années, mais nos penseurs, nos décideurs, ils finissent par trouver des choses qui nous ralentissent».

Il a cité la classification des personnes âgées en personnes «autonomes» et «semi-autonomes» comme un exemple. «Même si elles peuvent utiliser une fourchette et se nourrir elles-mêmes», a expliqué Perron, «ça ne veut pas dire qu'elle peuvent sauter du lit s'il y a un incendie la nuit».

Perron a dit que faire la promotion des gicleurs au Canada, c'est «comme être un prêtre: on a beau prêcher, beaucoup de gens vont encore en enfer». Selon La Presse, 976 des 1953 résidences privées pour aînés de la province possèdent une charpente faite entièrement en bois. Sur les 976, 699 n’ont aucun système de gicleur. Autrement dit, 36 pour cent des résidences privées pour aînés sont fabriquées entièrement en bois et n’ont pas de gicleurs.

Un comité de travail interministériel avait été mis sur pied par le gouvernement libéral précédent pour adopter un nouveau règlement sur la certification des résidences pour aînés et établir de nouvelles normes de sécurité. L'Association des chefs en sécurité incendie et d’autres groupes faisant partie de ce comité avait recommandé l'obligation d'installer des gicleurs.

Selon André St-Hilaire, le président du comité de prévention de l'Association des chefs en sécurité incendie du Québec, le gouvernement s'interrogeait sur l'ampleur des investissements qu'une obligation d’installer des gicleurs allaient entraîner. «C'était majeur comme investissement, c'est clair. Alors il a été décidé de faire un comité de travail sur la question des gicleurs.»

Quant aux résidences publiques, qui hébergent des gens qui ont besoin d’assistance pour se déplacer, elles ne possèdent pas toutes des gicleurs. «La majorité des CHSLD sont "giclés", mais quel est le pourcentage exact? Est-ce que c'est 80%? 70%? 90%? J'ai demandé un inventaire», a déclaré Réjean Hébert, le Ministre de la Santé et des Services sociaux. C’est seulement depuis l’an 2000 que le gouvernement prescrit l’installation de gicleurs lors de la construction de nouveaux centres d’hébergement public, ou CHSLD.

Tandis que le gouvernement prétend «manquer d’argent», les propriétaires des résidences pour aînés sonnent la même cloche. Selon Yves Desjardins, président du Regroupement québécois des résidences privées pour aînés: «En dessous de 16 résidants, la marge de profits des propriétaires est souvent minime, voire inexistante. Les petites résidences ne pourront pas payer pour tous ces changements. Et fermer des petites résidences dans des villages, ça aurait un impact désastreux sur les aînés qui y habitent. C'est bien de resserrer la sécurité. Mais il faut considérer plusieurs éléments avant d'agir.»

La question des gicleurs semble être la pointe de l’iceberg.

En 2005, les critères ont été diminués pour l’installation de murs coupe-feu. Si la nouvelle partie de la résidence du Havre avait été construite après 2005, il est possible que l’incendie aurait été encore plus dévastateur, car il semble que les coupe-feu en ciment ont contribué à empêcher le feu de s'y propager.

Le ministre Hébert a admis cette semaine que le niveau de formation pour les surveillants de nuit dans les résidences privés pour aînés allait être abaissé dans le cadre d’une nouvelle législation adoptée avant la tragédie.

Hébert prétend que l'intention du gouvernement était de n'appliquer ce critère réduit qu'aux résidences pour aînés de moins de 50 personnes, mais qu'une erreur avait été commise lors de la rédaction, et qu'il est écrit qu'il pourrait s'appliquer également à de plus grandes résidences.

Même si Hébert dit la vérité, cette erreur ne fait que souligner la négligence et l'indifférence du gouvernement.

«Il y avait un puissant lobby en faveur d'un assouplissement de cette règle, mais j'ai résisté», a prétendu Hébert. «Nous n'accepterons pas de compromis quand il s'agit de la sécurité des gens et de la qualité des services.»

La tragédie de l'Isle-Verte démontre, toutefois, que les gouvernements péquistes et libéraux ont compromis la sécurité des gens.

De plus, Hébert a admis qu'il s'est plié aux demandes des résidences pour ainés dans les petites communautés qui disaient avoir besoin de réduire leurs coûts.

«Elle ont soutenu qu'elles n'avaient pas besoin d'employé de nuit. Ce pourrait être un résidant ayant reçu une formation pour faire face aux urgences, et on a accepté», a dit Hébert. «Autrement ces résidences auraient été forcées d'augmenter leurs tarifs ou même être décertifiés, ce qui aurait été contraire à nos objectifs».

Lors de la nuit de la tragédie à l’Isle-Verte, seulement deux employés travaillaient, conformément aux normes en vigueur. Selon les reportages de presse, ils ont fait de vaillants efforts pour venir en aide aux résidents, cognant à leurs portes alors que le feu et la fumée envahissaient la bâtisse.

Mercredi, Hébert refusait toujours d'engager son gouvernement à exiger que toutes les résidences pour ainés soient munies de gicleurs, disant que ça pourrait coûter jusqu'à 80 millions de dollars. «Ce n'a pas été fait parce que c'est un problème complexe. ... L'installation de gicleurs dans une bâtisse existante est une rénovation majeure.»

Le refus de rendre les gicleurs obligatoires et de règlementer les résidences pour ainés vise à protéger les profits de leurs propriétaires et à garder un faible niveau de taxes sur la grande entreprise et les riches. Ce refus a causé une série d'incendies mortels dans les résidences pour ainées sans parallèle dans le monde capitaliste avancé.

Il y a eu l'incendie à une résidence pour aînés de Notre-Dame-du-Lac, Québec, en 1969, causant la mort de 54 personnes; un incendie à Petty Harbour, Terre-Neuve, causant la mort de 21 personnes âgées en 1976; un incendie à Mississauga, Ontario, en 1980 qui causa la mort de 25 personnes; et un incendie à une résidence pour retraités à Orillia, Ontario, qui causa la mort de quatre personnes et de graves blessures à six autres.

 

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