A Bagdad, Kerry lance la menace d’une intervention militaire

Prenant la parole à la suite de rencontres avec des dirigeants irakiens à Bagdad, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a averti lundi 23 juin que le président Obama pourrait ordonner des frappes militaires contre les militants sunnites sans attendre un remaniement du gouvernement irakien demandé par Washington.

Kerry a souligné la débâcle à laquelle faisait face le régime du premier ministre irakien Nouri al-Maliki, qui a déjà perdu le contrôle d’un tiers de son territoire dans un soulèvement sunnite à la tête duquel se trouve l’ EIIL, (État islamique d'Irak et du Levant), un groupe islamiste fondamentaliste lié à Al Qaida.

Indiquant qu’une action militaire pouvait se produire rapidement, Kerry a dit que toute décision d’ordonner une attaque prise par le gouvernement Obama ne devait pas être prise pour un acte de « soutien au premier ministre en exercice ou encore à une secte ou à une autre. »

Des responsables du Pentagone ont également annoncé lundi que le gouvernement irakien s’était dit d’accord pour accorder l’immunité à tout le personnel militaire américain déployé en Irak au cours de la présente crise. C’était là la principale pomme de discorde qui avait bloqué la conclusion d’un accord de statut des forces entre les Etats-Unis et l’Irak en 2011, conduisant à un retrait complet des troupes américaines du pays.

L’armée américaine a insisté pour qu’un tel accord soit mis en place et qu’il soit ratifié par le parlement irakien afin d’assurer qu’aucun officier ou soldat américain ne soit poursuivi pour crimes de guerre. Cet obstacle étant surmonté, les 300 soldats des forces spéciales qu’Obama a dépêchés en Irak commenceront à arriver à la fin de la semaine dans le but de passer en revue la situation des unités de l’armée irakienne et de rassembler des informations pour des frappes de bombardiers ou de missiles.

Parlant de l’offensive de l’EIIL, Kerry a dit « Ils représentent une menace » ajoutant, « on ne peut leur laisser nulle part un refuge. » Etant donné que le groupe contrôle une portion significative de territoire tant dans l’Est syrien que dans l’Ouest irakien, cette déclaration revient à dire que les Etats-Unis préparent une action militaire également contre la Syrie.

Comme pour souligner le risque d’extension de la guerre, des avions de guerre et des missiles israéliens ont frappé lundi neuf cibles sur le territoire syrien, ce qui constituait la plus importante action militaire d’Israël contre la Syrie depuis que la guerre civile a pris de l’ampleur dans ce pays. L’armée israélienne a affirmé que les frappes étaient un acte de représailles pour un incident au cours duquel un adolescent israélien avait été tué près de la frontière syrienne, selon elle par un missile anti-char. La politique de l’armée israélienne est de traiter toute attaque venant de la Syrie, qu’elle soit le fait des partisans d’Assad ou des rebelles, comme une action officielle du gouvernement syrien et de répondre en prenant pour cible l’armée syrienne.

Le jour de la visite de Kerry dans la capitale irakienne, les forces de l’EIIL consolidaient leur contrôle de presque toute la frontière ouest de l’Irak, après avoir capturé des positions clés dans une série de combats sanglants durant le week-end. Les insurgés ont saisi les villes de Qaim et de al Walid, les derniers points de passage en Syrie encore contrôlés par Bagdad.

Un autre détachement de l’EIIL a prit Rutba, dans la zone sud-ouest de la province d’Anbar, et a attaqué la ville de Turabil, le principal point de passage en Jordanie.

Si les forces de l’EIIL continuent d’avancer vers le sud, elles atteindront la frontière avec l’Arabie Saoudite qui a, en alliance avec les Etats-Unis, financé et armé cette organisation et d’autres groupes islamistes sunnites dans le cadre de l’opération menée en Syrie.

Il n’existe plus d’armée irakienne effective le long de toute la zone frontalière longeant la Syrie. Le seul point de passage entre l’Irak et la Syrie qui ne soit pas contrôlé par l’EIIL est tenu par les ‘peshmergas’ kurdes, la milice loyale au gouvernement régional kurde du nord de l’Irak.

Des responsables militaires irakiens ont dit qu’ils essayaient de monter une dernière résistance dans la province sunnite d’Anbar et concentraient leurs forces dans la ville d’Haditha – lieu d’un des crimes de guerre américains les plus notoires de l’occupation. Là se se trouve également le plus grand barrage d’Irak ; il contrôle le débit de l’Euphrate dont la vallée comprend la plus grande partie des terres arables de l’Irak.

Les conditions dans lesquelles le secrétaire d’Etat a visité Bagdad montrent la précarité de la situation du régime Maliki et de ses patrons américains. Kerry a été amené en secret dans le centre de Bagdad et il a été filmé descendant de son hélicoptère et portant une veste pare-balles, dans une scène qui rappelle les derniers jours du régime fantoche des Etats-Unis au Vietnam. Il n’a pas passé la nuit dans la capitale irakienne, mais s’est rendu en avion à Amman, en Jordanie où on craignait moins une attaque armée.

Kerry a rencontré Maliki et ses plus hauts conseillers militaires et politiques; on a rapporté qu’il avait insisté sur la nécessité d’une restructuration politique qui comprendrait probablement le remplacement du premier ministre par une figure chiite moins haïe par la minorité sunnite et l’intégration de dirigeants tribaux et politiques au gouvernement. Il a ensuite rencontré les dirigeants des partis sunnites, kurdes et chiites, tant des alliés que des adversaires farouches de Maliki.

Maliki s’est jusque là opposé aux demandes de démission, cherchant au contraire à mobiliser les dirigeants religieux chiites et les milices sectaires afin d’étayer un appareil militaire en état de délabrement. Samedi 21 juin, des dizaines de milliers de membres de l’Armée du Medhi, la milice loyale au religieux chiite Moqtada al-Sadr, a défilé dans l’est de Bagdad et y a fait une démonstration de force.

Le procédé préféré des Etats Unis pour obtenir le départ de Maliki est d’appliquer une clause de la constitution irakienne qui requiert que le parlement soit convoqué jusqu’à juillet et commence la formation d’un nouveau gouvernement à la suite des élections du 30 avril. Le parti à assise chiite de Maliki, l’‘Etat de droit’, n’y avait obtenu que 92 sièges sur 325. C’est le plus grand bloc, mais il aurait besoin du soutien des fractions rivales kurdes et chiites pour obtenir une majorité.

En 2010, après un résultat électoral pareillement éclaté, Maliki avait simplement ignoré les obligations que lui faisait la constitution et est resté au pouvoir jusqu’à ce que ses rivaux soient d’accord pour sanctionner un deuxième mandat. Cette fois-ci, tant les ennemis politiques de Mailiki que les Etats-Unis se servent du délai constitutionnel pour obtenir son départ.

La déclaration officielle rendue publique par les Etats-Unis et l’Irak à la suite des discussion de lundi faisait remarquer que Kerry « appréciait l’engagement des dirigeants irakiens dans le processus politique et les obligations du calendrier constitutionnel. » Le grand ayatollah Ali al-Sistani, le plus important religieux chiite, a paru donner son soutien à cette manœuvre, quand il a lancé, durant les prières du vendredi, un appel au parlement pour qu’il respecte la date constitutionnelle de constitution d’un nouveau gouvernement.

Si le stratagème constitutionnel venait à échouer cependant, il est certainement possible que les Etats-Unis soutiendraient un départ de Maliki par des méthodes en dehors de la légalité. Une des raisons pour lesquelles Kerry a choisi de faire l’escale du Caire sur le chemin de Bagdad, donnant sa bénédiction au chef militaire et nouveau président, l'ex-général Abdel Fattah al-Sisi, était d’envoyer un message en ce sens à Maliki.

Al-Sisi détient le pouvoir suprême à la suite de l’éviction du président élu Mohamed Mursi, que le Département d’Etat américain avait refusé de désigner comme un coup d’Etat. La même chose pourrait bien se produire en Irak, si Maliki faisait preuve d’obstination.

Pour l’instant cependant, l’armée irakienne est incapable de défendre ses propres bases, et encore moins de renverser le gouvernement. Un article cinglant paru dans le Washington Post lundi portait le titre « L’armée irakienne face à un ‘effondrement psychologique’ à la suite de pertes et de désertions ». Il citait des analystes américains suggérant qu’une dissolution complète de l’armée était possible.

Entre temps, un sénateur américain a parlé ouvertement des sales secrets de la politique américaine en Irak et en Syrie lors de deux émissions débats dimanche 22 juin. Parlant dans l’émission « Rencontrez la presse » de NBC et dans « l’Etat de l’Union » de CNN, le républicain du Kentucky Rand Paul a dit que la crise en Irak était le résultat de l’armement de l’EIIL par les Etats-Unis dans la guerre civile syrienne contre le régime d’Assad.

« Je pense que nous devons comprendre d’abord comment nous en sommes arrivés là » a-t-il dit sur CNN. « Nous avons armé l’EIIL en Syrie. Nous en sommes là parce que nous avons armé les rebelles syriens. Nous avons combattu aux côtés d’Al Qaida, aux cotés d’EIIL. L’EIIL se trouve maintenant encouragé et il est présent dans deux pays. Mais voilà l’anomalie. Nous sommes avec l’EIIL en Syrie. Du même côté dans la guerre. Ainsi ceux qui veulent aller stopper l’EIIL en Irak sont alliés à l’EIIL en Syrie. C’est là la véritable contradiction de toute cette politique. »

Le sénateur a ensuite sanctionné la politique menée maintenant par Obama en Irak, qui y envoie des troupes spéciales pour préparer des frappes aériennes et démontre par là le soutien bipartite de tous les démocrates et de tous les républicains à Washington pour de nouveaux crimes préparés par l’impérialisme américain.

(Article original paru le 24 juin 2014)

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