Ontario: Les libéraux majoritaires avec l'appui des syndicats

Lors de l'élection provinciale de jeudi dernier, la première ministre de l'Ontario Kathleen Wynne et le Parti libéral ont regagné leur majorité parlementaire en tentant d'exploiter l'opposition de la population au programme de «coupes aveugles» du Parti progressiste-conservateur.

Avec 38,7 pour cent des votes, les libéraux se sont emparés de 59 des 107 sièges de la province. Les progressistes-conservateurs, le parti frère des conservateurs du premier ministre Stephen Harper en Ontario, ont remporté 27 sièges, soit 10 de moins que lors des élections d'octobre 2011.

Dirigés par Tim Hudak, les conservateurs ontariens ont fait une campagne totalement à droite en promettant de supprimer 100.000 emplois du secteur public, d'éliminer le tiers des réglementations gouvernementales et de faire du taux d'imposition des entreprises en Ontario le plus bas en Amérique du Nord.

Les libéraux ont eux-mêmes réalisé de vastes coupes dans les dépenses sociales et offert d'importantes baisses d'impôt à la grande entreprise. Ils préparent en plus, en coulisses, des plans de réduction massive des services publics. Mais en reprenant la stratégie de l'ancien premier ministre Jean Chrétien, qui a imposé les coupes sociales les plus sévères de l'histoire du Canada tout en critiquant les partis de la droite officielle, le Reform Party et l'Alliance canadienne, les libéraux se sont servis de Hudak comme d'un épouvantail de droite. Selon Wynne, ses bailleurs de fonds du patronat, les syndicats et de nombreux militants «progressistes», voter libéral était le seul moyen d'empêcher qu'Hudak prenne le pouvoir et de conserver un Ontario «soucieux de sa population».

Le Nouveau Parti démocratique a sans doute mené, quant à lui, la campagne la plus à droite de son histoire. Ne pouvant pas et ne voulant pas se distinguer des programmes d'austérité anti-travailleurs des deux principaux partis, le NPD a centré sa campagne autour de la «corruption» libérale et du «gaspillage» du gouvernement. Plus tôt ce printemps, la dirigeante du NPD de l'Ontario, Andrea Horwath, avait rencontré en privé des représentants des banques et des sociétés d'investissements de Bay Street et des principaux manufacturiers. Selon le Globe and Mail, Horwath s'est servie de ces rencontres pour assurer au patronat qu'elle était «prête à faire tout ce qu'il faut pour équilibrer le budget de la province en quatre ans, y compris réduire les dépenses du gouvernement et faire preuve de fermeté envers les syndicats du secteur public».

Les grands médias ont admis que les Ontariens avaient peu d'enthousiasme pour les partis et leurs chefs et que, parmi ceux qui ont voté, nombreux sont ceux qui l'ont fait pour empêcher la victoire d'un parti auquel ils s'opposaient plutôt que pour appuyer une formation.

À 52,1 pour cent, le taux de participation de l'élection de jeudi dernier était à peine plus élevé que le record de 49,1 pour cent établi en 2011.

Les libéraux ont gagné 6 sièges de plus qu'en 2011, l'année où leur gouvernement vieux de 9 ans avait dû se contenter d'une minorité. Mais la part du vote en leur faveur n'a augmenté que de 1,1 point de pourcentage. L'appui des conservateurs a diminué quant à lui de plus de 5 points de pourcentage pour atteindre 31,2 pour cent, soit l'un de leurs pires résultats. Comme les libéraux, le NPD n'a recueilli qu'une augmentation d'un point de pourcentage dans sa part du vote, passant de 22,65 à 23,7 pour cent. Cela lui a permis d'obtenir 21 sièges, 4 de plus qu'en 2011.

Ayant regagné la majorité parlementaire après s'être présentés cyniquement comme des défenseurs des services publics, les libéraux de Wynne vont maintenant sabrer massivement les dépenses sociales et déclencher un programme, qui est discuté depuis longtemps dans les coulisses du pouvoir, de privatisation et de sous-traitance des services publics et de leur administration.

Le budget présenté en mai par les libéraux qui avait été décrit par les syndicats comme le budget le plus «progressiste» depuis des décennies prévoit un gel des dépenses des programmes à partir de 2015, et ce, pour une durée de trois ans. En raison de l'inflation et de la croissance de la population, ce gel va se traduire par des coupes généralisées de plus de 3 pour cent par année, ou d'un total de 10 pour cent, d'ici 2018.

C'est sans compter les mesures d'austérité qui ont déjà été imposées par les libéraux depuis des années. Déclarant en 2010 que la récession était terminée, les libéraux annonçaient pour les années à venir des baisses d'impôt pour la grande entreprise et lançaient un programme d'austérité au nom de la lutte au déficit.

Le budget de 2012 est venu considérablement intensifier ce programme d'austérité en réalisant des coupes qui éclipsaient même celles effectuées par les conservateurs de Mike Harris durant leur révolution du bon sens des années 1990. Ce budget a entre autres imposé un gel salarial de 2 ans à un million d'employés du secteur public, y compris les enseignants, les infirmières, le personnel hospitalier et les fonctionnaires.

Avec l'appui total des syndicats, les néo-démocrates ont garanti les votes nécessaires pour que les libéraux puissent faire approuver leur budget de 2012. Ils ont fait la même chose en 2013 après que les libéraux ont criminalisé tout mouvement de revendication des enseignants du secteur public et imposé à ces derniers des conventions collectives dans lesquelles leurs salaires réels, leurs pensions et leurs prestations de congé de maladie étaient réduits.

Craignant que son appui pour les libéraux – Horwath avait même envisagé à un certain moment de proposer une coalition officielle néo-démocrate-libérale – lui nuise durant la campagne électorale, la direction du NPD a annoncé au début du mois dernier qu'il retirait son appui au gouvernement de Wynne.

Cette décision a été dénoncée avec colère par la plupart des dirigeants syndicaux, dont Sid Ryan, le président de la Fédération du travail de l'Ontario, et Jerry Dias, le chef d'Unifor, le plus grand syndicat industriel au pays.

Après avoir étouffé les manifestations de masse anti-Harris qui avaient ébranlé l'Ontario de 1995 à 1997, par crainte qu'elles échappent à leur contrôle, les syndicats ont viré encore plus à droite. Une importante section de la bureaucratie syndicale appelait alors à un «vote stratégique» pour défaire les conservateurs, c'est-à-dire voter libéral.

Les syndicats ont été essentiels à l'élection des libéraux en 2003, sur la base d'un programme qui conservait tous les principes fondamentaux de la révolution du bon sens, y compris de grosses baisses d'impôt pour les riches et des coupes dans l'aide sociale et d'autres services. Et ils ont permis aux libéraux de conserver le pouvoir jusqu'à aujourd'hui.

Dans la dernière campagne électorale, de nombreux syndicats ont refusé d'appuyer le NPD, même dans les circonscriptions où il pouvait remporter une victoire électorale, pour le punir d'avoir mis un terme à l'alliance parlementaire qu'il maintenait de facto avec Wynne et ses libéraux.

La réalité est que la classe dirigeante dispose de trois partis qui ont tous juré de faire payer les travailleurs pour la crise du capitalisme. La lutte entre ces partis sert à raffiner la stratégie de classe de la grande entreprise et d'étouffer l'opposition populaire en la détournant dans des avenues politiquement inoffensives.

D'une façon semblable, les syndicats sont utilisés pour endiguer la lutte des classes. Ils se sont servis à maintes reprises de la menace d'un gouvernement conservateur d'extrême droite pour intimider la classe ouvrière et justifier leur collaboration avec les libéraux dans l'imposition de l'austérité, c'est-à-dire l'élimination de services publics et les suppressions d'emplois et les baisses de salaire des travailleurs qu'ils représentent.

Les travailleurs et les jeunes doivent prendre garde. Le gouvernement libéral de Wynne, avec la complicité des syndicats et du NPD et dans le contexte de la contre-révolution sociale qui est menée par le patronat et l'ensemble des gouvernements à travers le Canada, va profiter de sa majorité parlementaire pour imposer d'immenses coupes sociales et la privatisation en masse des services publics et des infrastructures. Ce programme va provoquer une opposition de masse. Mais pour que cette opposition soit politiquement viable, elle devra avoir à sa tête une nouvelle organisation de lutte, indépendante des appareils syndicaux réactionnaires: un mouvement politique de la classe ouvrière armé d'un programme socialiste qui lutte pour la création de gouvernements ouvriers à Ottawa et à travers le pays.

(Article original paru le 14 juin 2014)

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