Irlande: les partis gouvernementaux punis lors des élections locales et européennes

Partout en Irlande, les électeurs ont exprimé le week-end dernier lors des élections européennes et locales, ainsi que des élections partielles dans deux circonscriptions, une opposition farouche à la coalition au pouvoir composée du Fine Gael et du Labour à Dublin et à sa politique d’austérité.

Le résultat le plus significatif a été l’effondrement du soutien au Parti travailliste et la démission de son dirigeant, le vice-premier ministre Eamon Gilmore. Lors des élections locales, le parti a perdu plus de la moitié de son soutien par rapport à 2009 et près des deux tiers de ses conseillers municipaux. Il a perdu tous ses représentants à Cork et, dans de nombreux quartiers populaires de Dublin, il ne compte pas de représentants, étant donné que son score a dégringolé de 14, 5 pour cent pour atteindre à peine 7,2 pour cent.

Aux élections européennes, Labour a perdu ses trois membres du parlement européen.

Fine Gael, le parti du premier ministre Enda Kenny, a perdu plus du tiers de ses voix par rapport aux élections législatives de 2011 et un quart par rapport aux dernières élections locales de 2009. A Dublin, il n’a obtenu le soutien que de 14 pour cent de l’électorat et de 22,3 pour cent à l’échelle nationale.

Ensemble, la coalition gouvernementale a recueilli le soutien de moins de 30 pour cent de l’électorat.

Les résultats font état d’une hostilité généralisée ressentie au sein de la population laborieuse à l’égard de l’ensemble de l’establishment politique qui a appliqué des coupes dévastatrices à hauteur de milliards d’euros. Ceci a produit l’une des baisses de salaire les plus énormes de toute l’Europe, la sape des services publics et des taux de chômage élevés. Depuis 2008, des mesures d’austérité correspondant à plus de 20 pour cent de la production économique sont imposées, y compris les mesures prises par l’actuelle coalition et le précédent gouvernement Fianna Fail-Verts.

Gilmore persiste et signe son bilan en affirmant lors d’une conférence de presse où il a annoncé sa démission que d’amener le Labour au pouvoir en 2011 avait été pour lui un honneur et un privilège. « Je continue de croire que c’était la bonne décision et je suis fier des progrès que nous avons faits pour atteindre ces objectifs, » a-t-il dit.

Les principaux bénéficiaires de ce virage anti-gouvernement sont Sinn Fein et les candidats « indépendants » qui tous ont cherché à se dépeindre comme une alternative de gauche.

Dans les conseils municipaux de Dublin et de Cork, les groupes les plus importants sont formés par Sinn Fein et les indépendants. Sinn Fein a même remporté un siège de député au parlement européen à Dublin. Le parti a gagné trois des 11 sièges au total pour l’Irlande tandis que deux ont été obtenus par les indépendants.

19,8 pour cent ont voté pour les « indépendants » lors des élections européennes. Bien que ce groupe comprennent des individus venant d’horizons politiques différents, dont d’anciens politiciens issus des principaux partis, ils ont tous fait campagne en tant qu’alternative à l’organisation existante. A Dublin, Nessa Childers, ancienne membre du Labour qui avait quitté le parti l’année dernière suite à une querelle avec la direction, a remporté un siège.

Dans la circonscription de Dublin Ouest où une élection législative partielle s'est tenue après la démission du député local, la candidate du Parti socialiste (SP) de pseudo-gauche, Ruth Coppinger a obtenu un siège. Paul Murphy, député européen du SP, n’a cependant pas réussi à garder son siège.

Malgré l'attitude affichée de force anti-establishment, Sinn Fein a démontré, durant la période passée à partager le pouvoir dans le gouvernement de l’Irlande du Nord, qu’il était pleinement disposé à collaborer à l’application des mesures d’austérité conformément au programme de réductions des dépenses piloté par le gouvernement conservateurs-libéraux démocrates à Londres.

Dans le Sud, il défend le taux extrêmement bas de 12,5 pour cent d’impôt sur les sociétés de la République et avance un programme de réformes nationales minimales pour s’attaquer à la crise. Qu’il soit possible à un tel parti de se présenter comme une alternative de gauche montre à quel point l’ensemble de l’establishment politique est de droite et discrédité.

En ce qui concerne le vote dans le Nord, Sinn Fein a également tiré profit de son attitude anti-establishment et de l’évolution démographique qui a donné lieu à une augmentation de la base de soutien catholique du parti. Ce sera une source supplémentaire de préoccupation pour l’élite dirigeante à un moment où l’avenir constitutionnel de l’Etat britannique est remis en question avec la tenue, en septembre en Ecosse, d’un référendum sur l’indépendance.

Bien que Gilmore ait tenté de faire bonne figure après sa démission, prétendant que le gouvernement à Dublin pourrait survivre à son retrait, la coalition fait face à une aggravation de la crise. Il est fort probable qu’elle ne durera pas jusqu’à la prochaine élection qui est prévue dans deux ans.

Un jour seulement avant l’annonce de sa démission, Gilmore avait insisté pour dire qu’il resterait à la tête du parti même s’il était déjà clair que Labour perdrait ses sièges au parlement européen. Il a été contraint de partir après que huit députés au parlement ont menacé de faire procéder à un vote de défiance à l’endroit de sa direction.

Un député travailliste a réclamé le changement de l’ensemble de la direction pour la remplacer par une nouvelle génération tandis que d’autres ont exprimé leurs craintes de se voir anéantis aux prochaines élections législatives. L’actuel pourcentage des scrutins n’a été que légèrement meilleur que celui du parti des Verts qui continue à avoir des difficultés suite au rôle qu’il a joué dans la mise en œuvre du renflouement bancaire au sein du précédent gouvernement mené par Fianna Fail.

Kenny a réagi en déclarant que le gouvernement maintiendrait son cap. Il projette d’opérer de nouvelles coupes à hauteur de 2 milliards d’euros dans les dépenses dans le budget prévu en octobre. Il a déclaré au parlement, « Nous avons fixé des cibles et des objectifs et nous devons les atteindre. »

La coalition de Kenny a été touchée ces derniers mois par un scandale d’espionnage policier qui a obligé le ministre de la Justice Alan Shatter à quitter son poste le 8 mai. Son départ du gouvernement était une tentative désespérée pour étouffer le scandale qui menace d’embraser l’ensemble de l’establishment politique, y compris Kenny.

L’écoute systématique, depuis le début des années 1980, par la Garda (la police irlandaise) d’appels reçus et émis depuis tous les commissariats de police du pays a provoqué fin mars la démission du chef de la police, Martin Callinan. A l’époque, Shatter avait stupidement affirmé n’avoir découvert l’existence du programme de surveillance que la veille de la démission de Callinan.

Selon l'agenda de Kenny, obtenu suite à une requête d’obtention de données, le Taoiseach (premier ministre) avait rencontré Shatter le 23 mars tôt le matin, soit une journée entière avant le moment allégué où le gouvernement fut informé. Plus tard dans la journée, Kenny s’était entretenu avec le procureur général au sujet du scandale des écoutes téléphoniques et moins de deux jours plus tard Callinan quittait son poste.

Une autre cause majeure de l’impopularité du gouvernement est le récent accord conclu entre Fine Gael et Labour pour l’introduction d’une taxe sur l’eau s’élevant à plus de 200 euros par an. Lors des élections de 2011, Labour avait fait campagne contre ces taxes. Outre la taxe sur la propriété et la taxation sociale universelle, cela sera un désastre pour des milliers de familles et de travailleurs qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts.

Dans une situation où tous les principaux partis sont discrédités pour leur rôle dans le pillage des services publics et où la classe ouvrière va vers la gauche, comme l’indiquent les résultats électoraux, c'est au Sinn Fein qu'il reviendra de prendre la défense du capitalisme irlandais.

Le dirigeant du Sinn Fein, Gerry Adams, n’a pas caché que son parti était prêt, si nécessaire, à entrer au gouvernement, en déclarant simplement que ce ne serait le cas que s’il recevait un « mandat ». Il a demandé au gouvernement d’avancer les élections législatives en déclarant, « Ils ont reçu un préavis de démission. Et donc plutôt que de spéculer pour savoir si ce sera un combat aux prochaines élections, organisons les élections dès maintenant. Laissons les gens s’exprimer. »

(Article original paru le 31 mai 2014)

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