France: la victoire néo-fasciste à l’élection européenne expose la faillite de l’élite dirigeante

L’arrivée en tête dimanche du Front national (FN) néo-fasciste à l’élection européenne en France révèle de façon éclatante la faillite de l’establishment politique français. Il existe dans le pays une colère grandissante face aux guerres et à la politique d’austérité mise en œuvre par le gouvernement PS (Parti socialiste) et l’Union européenne (UE). En raison de la complicité de la « gauche » tout entière dans ces mesures, c’est toutefois l’extrême droite qui en a tiré profit.

Le désarroi causé par le FN dans les partis traditionnels de la classe dirigeante française a été le plus frappant de toutes les élections ayant eu lieu en Europe et qui ont entraîné la victoire de plusieurs partis d’extrême-droite, dont le United Kingdom Independence Party (UKIP) et le Parti du peuple danois.

Selon les résultats officiels d’hier, le FN a obtenu 24,85 pour cent des voix, reléguant l’Union pour un mouvement populaire (UMP) à la seconde place (20,80 pour cent) et le PS du président François Hollande à une humiliante troisième place (13,98 pour cent). Le soi-disant de gauche Front de Gauche n’a recueilli que 6,33 pour cent des voix, une baisse par rapport aux 11 pour cent des élections présidentielles de 2012, tandis que les Verts ont réuni 8,95 pour cent et l’Union des Démocrates indépendants (UDI) 9,92 pour cent. Le FN est arrivé en tête dans 71 départements de la métropole sur 96.

Le FN a obtenu une part importante de voix de travailleurs et de jeunes, dont 30 pour cent des moins de 35 ans (par rapport à seulement 15 pour cent pour le PS), 38 pour cent des employés (16 pour cent pour le PS) et 43 pour cent des travailleurs manuels (8 pour cent pour le PS.)

Alors que l’abstention a atteint un taux massif de 57,57 pour cent, elle n’a pas fait grimper artificiellement le score du FN. Des sondages effectués auprès d’électeurs qui se sont abstenus ont montré que le FN aurait obtenu le plus de voix parmi eux aussi.

Le FN a fait imprimer des affiches se proclamant « premier parti de France. » Dimanche soir, la dirigeante du FN Marine Le Pen a demandé à Hollande de dissoudre l’Assemblée nationale et de tenir de nouvelles élections législatives anticipées pour former un nouveau gouvernement.

« Le président de la République doit maintenant prendre les dispositions qui s’imposent pour que l’Assemblée devienne nationale, représentative du peuple et à même de mener la politique d’indépendance que le peuple a choisi ce soir, » a dit Le Pen. « La France doit arrêter d’urgence de donner des leçons de démocratie à la terre entière » et l’exécutif doit s’apprêter « à avoir des élections qui seront un désaveu encore plus lourd. »

Bien que, d’après des sondages d’opinion publiés par avance, la victoire du FN avait été largement prévue dans les milieux dirigeants, elle a néanmoins envoyé une onde de choc dans l’establishment politique. Au sein de l’UMP, la préoccupation d’être arrivé à la deuxième place a accentué la pression exercée sur le président du parti, Jean-François Copé, pour qu’il démissionne de ses fonctions. Elle a aussi attisé les spéculations sur un retour éventuel de l’ancien président Nicolas Sarkozy dans la vie politique dans le but de conduire l’UMP.

Hollande est actuellement, avec seulement 11 pour cent de soutien pour un renouvellement de son mandat, le président le plus impopulaire de France depuis la création de cette fonction gouvernementale en 1958. Il s’est exprimé le lundi 26 mai dans une allocution pour la forme, préenregistrée et diffusée aux actualités télévisées de 20 h.

Reconnaissant que les élections indiquaient une vaste « défiance à l’égard des partis de gouvernement, » Hollande a clairement fait comprendre qu’il avait décidé d’ignorer la colère populaire et d’imposer le programme des marchés financiers. « Mon devoir est de réformer la France et de réorienter l’Europe, » a dit Hollande en ajoutant : « La ligne de conduite ne peut pas dévier en fonction des circonstances. » Il a réclamé l’application du « pacte de responsabilité » qui prévoit des coupes de 50 milliards d’euros et inclut une « réforme » territoriale impliquant des dizaines de milliards d’euros de coupes sociales.

Le premier ministre PS, Manuel Valls, a qualifié les résultats de « séisme » tout en indiquant vouloir poursuivre l’agenda réactionnaire du PS de réduction d’impôts et de coupes sociales. Il a aussi dit que le PS n’organiserait pas de nouvelles élections législatives comme l’avait demandé Le Pen.

Hollande devrait « descendre de la voiture, arrêter, provoquer une dissolution et faire en sorte que l’extrême droite s’empare des rênes du pays, » a dit Valls. « Nous n’allons pas rajouter à la crise d’identité, la crise morale que la France traverse, en plus, le désordre par des élections, par un pays qui serait ingouvernable. »

Le vote en faveur du FN est une indication de la faillite historique de la bourgeoisie française et présage l’éruption de luttes de classe à venir. Que l’impopulaire gouvernement PS poursuive son agenda d’austérité et de guerre sur la base de l’actuelle majorité à l’Assemblée nationale ou organise éventuellement des élections en cherchant à gouverner en coalition avec des partis droitiers, il aura à faire face à une opposition croissante.

Le vote ne fait pas ressortir un vaste soutien pour le programme viscéralement anti-immigration et protectionniste du FN, et encore moins pour les crimes commis par ses ancêtres politiques, le régime de Vichy de la période fasciste de la deuxième Guerre mondiale et les partisans du règne colonial français durant la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962. La tentative d’un gouvernement mené par le FN d’imposer des coupes sociales et une politique raciste provoquerait rapidement une colère explosive parmi les travailleurs et les jeunes immigrés des banlieues appauvries des villes françaises.

Le FN ne recueille des voix que par défaut en raison de la décrépitude des partis de « gauche ». Durant les décennies qui ont suivi l’arrivée au pouvoir en 1981 du premier président PS François Mitterrand, le PS, avec le soutien de ses alliés de la pseudo-gauche, a systématiquement imposé une politique droitière. Débutant par le « tournant de la rigueur » de Mitterrand en 1983, le PS a systématiquement imposé les attaques de la politique de libre marché contre la classe ouvrière, des guerres et des attaques contre les droits démocratiques, comme en 2009 l’interdiction de la burqa.

Le PS s’est appuyé sur les partis de la pseudo-gauche pour réprimer chaque vague de grève, ou de protestation des étudiants contre cette politique; ils ont maintenu des alliances politiques avec le PS et ont semé la démoralisation quant aux perspectives du socialisme. Alors que de vastes couches de la population étaient de plus en plus aliénées par l’establishment politique, on a permis au FN de présenter sa propre politique droitière comme étant « normale » voire même oppositionnelle.

Un avertissement clair et net s’impose : la montée du FN n’est que l’expression la plus frappante du stade avancé de l’évolution de toute la classe dirigeante vers une politique d’extrême droite et vers des formes de règne antidémocratiques. Ceci ne peut être stoppé en s’appuyant sur l’une ou l’autre des factions bourgeoises. La question cruciale qui se pose en France, comme dans toute l’Europe, est la construction de partis socialistes révolutionnaires, de sections du Comité International de la Quatrième Internationale afin de mener une lutte indépendante de la classe ouvrière contre la menace du fascisme.

Les élections du week-end dernier sont un écho, à une température politique plus élevée, des événements qui ont eu lieu il y a douze ans, au premier tour des élections présidentielles du 21 avril 2002. Le candidat PS, Lionel Jospin, avait été éliminé par Jacques Chirac du RPR et par le candidat du FN, Jean-Marie Le Pen, en raison de l’impopularité de la politique d’austérité appliquée par le gouvernement de la Gauche plurielle (PS-PCF-Verts-Radicaux de gauche). Des protestations de masse avaient éclaté au second tour contre le faux « choix » entre Chirac et Le Pen.

La soi-disant de gauche Ligue communiste révolutionnaire (LCR, le prédécesseur du NPA), Lutte Ouvrière (LO) et le Parti des Travailleurs (actuellement le Parti ouvrier indépendant, POI) avaient rejeté l’appel du CIQI à un boycott actif des élections comme base pour le développement d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière contre les guerres et les attaques sociales que Chirac allait imposer sitôt réélu.

Au contraire, ils ont promu, aux côtés du PS, l’illusion qu’un vote pour Chirac pourrait endiguer la montée du FN et modérer la politique de Chirac.

Plus d’une décennie plus tard, les illusions pro-capitalistes entretenues par les partis de la pseudo-gauche ont été implacablement démenties par les événements. Loin de stopper la montée du FN, ils ont eux-mêmes servi d’instruments dans le virage radical vers la droite opéré par l’ensemble de l’establishment politique. Ils ont appelé à voter pour le gouvernement réactionnaire de Hollande en 2012 et ils ont soutenu le PS au moment où il s’est lancé dans des guerres et des interventions impérialistes – dont celle de l’Ukraine, où Paris, Washington et Berlin collaborent avec les fascistes de la milice de Secteur droit.

Pour de plus amples informations sur la campagne électorale européenne, consulter le site SEP (UK) election web site (en anglais) et le PSG election web site (en allemand).

(Article original paru le 27 mai 2014)

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