Risque d’escalade du conflit du gaz entre l’Ukraine, l’UE et la Russie

Les négociations au sujet de l’approvisionnement du gaz pour cet hiver entre l’Ukraine, l’Union européenne (UE) et la Russie ont échoué la semaine passée. Après une première annonce d’accord, la Russie a rompu tous pourparlers parce que l’UE n’était pas prête à garantir financièrement les livraisons de gaz à l’Ukraine.

Et donc, la menace d’une coupure de gaz russe pour cet hiver est brandie, ce qui aurait d’importantes conséquences économiques dans plusieurs pays européens en entraînant une aggravation des tensions sociales. Le conflit qui dure depuis des mois a été délibérément provoqué par l’UE dans le but de faire pression sur la Russie et de faire reculer l’influence de Moscou en Europe.

Mi-juin, la Russie a stoppé les livraisons de gaz à l’Ukraine parce que Kiev n’avait pas payé ses dettes envers la société russe Gazprom. Depuis lors, plusieurs séries de pourparlers ont eu lieu lors desquels Bruxelles et Kiev ont posé un ultimatum à Moscou en exigeant une baisse du prix du gaz.

Avant la tenue du sommet de l’ASEM (réunion des chefs d’État et de gouvernement des pays asiatiques et européens) la semaine dernière, l’UE et l’Ukraine avaient annoncé qu’un accord était imminent. La Russie avait proposé une réduction de prix de 100 dollars en ne réclamant que 385 dollars pour 1.000 mètres cubes de gaz. En échange toutefois, l’Ukraine devait régler ses dettes à hauteur de 3,2 milliards de dollars envers Gazprom et verser un acompte pour la fourniture de gaz cet hiver. L’Ukraine n’aurait pu cependant le faire qu’avec le soutien financier de l’UE, ce que Bruxelles a refusé.

Des représentants de Gazprom et du gouvernement russe ont à maintes reprises déclaré être prêts à assurer un approvisionnement continu en gaz durant l’hiver. Mais, tant Kiev que Bruxelles ont pratiquement rejeté tout compromis en formulant des exigences qui imposeraient de sévères pertes économiques à la Russie en la poussant, en plus, a totalement perdre la face.

Une nouvelle série de négociations commençait mercredi. Or, jusqu’à maintenant, les deux parties ont accepté que le principe du contrat d’achat ferme ne figure pas dans l’accord, bien que ceci soit une pratique courante dans les accords internationaux. Il n’est toujours pas clair si un accord sera conclu avant l’hiver.

Une interruption prolongée de l’approvisionnement en gaz exacerberait les tensions sociales et économiques qui sont d’ores et déjà extrêmement tendues dans le pays. L’année dernière, les livraisons de gaz russe avaient couvert les trois quarts de la demande. Vu que les stocks de gaz ukrainiens ne sont remplis qu’à moitié, les réserves stockées ne suffiraient pas à garantir un approvisionnement tout au long de l’hiver.

Le régime de Kiev a déjà rencontré des difficultés à assurer l’alimentation des ménages en énergie. Durant l’été, des quartiers entiers de Kiev n’avaient pas eu d’eau chaude et parfois même d’électricité. Selon des articles de presse, le PIB du pays se contractera de 7 pour cent d’ici la fin de l’année. Plusieurs spécialistes craignent une cessation de paiement de l’État d’ici l’année prochaine.

L’arrêt des livraisons de gaz russe, notamment en hiver, affecterait considérablement plusieurs pays en Europe de l’Est. Des pays comme la Finlande, la Lituanie, l’Estonie, la Slovaquie et la Bulgarie dépendent pour plus de 90 pour cent de leurs importations de la Russie. De plus, l’Allemagne, qui se procure un cinquième de son gaz de la Russie, connaîtrait également de sérieux problèmes économiques.

S’appuyant sur un document interne du gouvernement, Spiegel Online a rapporté que le gouvernement aurait à imposer l’état d’urgence en matière d’énergie, dans un laps de temps très court après l’arrêt du gaz russe. Le dommage causé à la production industrielle serait considérable, les prix du gaz provenant d’autres sources augmenteraient fortement et l’approvisionnement énergétique aux ménages ne pourrait être garanti.

Le conflit gazier avec la Russie fait partie de la guerre économique de l’UE contre Moscou. Les dirigeants de l’UE se servent des conséquences économiques et sociales de la coupure de la fourniture de gaz pour accentuer la pression exercée sur le gouvernement Poutine.

Les approvisionnements en gaz russe représentent environ un tiers de la consommation de l’UE. Les exportations d’énergie à l’UE sont même encore plus importantes pour l’économie russe: les exportations de pétrole et de gaz comptent pour environ la moitié du budget de l’État. L’UE est le principal acheteur. L’UE représente quelque 40 pour cent des recettes de Gazprom et la société finance le quart du budget de l’État.

Le but de l’UE est d’amoindrir suffisamment la position de la Russie en tant que fournisseur énergétique pour que les prix et les conditions de fourniture de gaz soient dictés par l’UE. Le rôle joué par l’Ukraine comme l’un des plus importants acheteurs de gaz russe et pays par lequel passe ce gaz est particulièrement important.

La coupure de gaz russe qui est survenue en juin a été délibérément utilisée pour approvisionner l’Ukraine en gaz provenant de nouvelles sources. L’Ukraine importe actuellement une quantité de plus en plus grande de gaz provenant d’une soi-disant inversion des débits de gaz de pays de l’UE. Ce gaz provenait initialement de la Russie, mais était fourni à la Slovaquie, à la Hongrie ou à la Bulgarie pour être ensuite passé à la l’Ukraine. Début octobre, l’Ukraine avait importé de cette manière jusqu’à 1,7 milliard de mètres cubes.

Des plans d’approvisionnement de gaz selon ce schéma existent depuis longtemps et ont été débattus durant une visite du commissaire européen allemand à l’énergie, Günther Oettinger (Union chrétienne-démocrate, CDU) en Ukraine en 2013. La société norvégienne Statoil s’est aussi engagée à livrer du gaz à l’Ukraine. Dans le même temps, l’UE et les États-Unis poussent à l’expansion du financement du gaz de schiste et à l’importation du gaz naturel liquéfié vers l’Ukraine. 

La réduction de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie est depuis des années l’objectif stratégique central d’institutions financières telles la Banque européenne de Reconstruction et de Développement et le Fonds monétaire international (FMI).

Dans ce contexte, le système de transit de gaz de l’Ukraine grâce auquel 6 milliards de mètres cubes de gaz sont acheminés quotidiennement, revêt une importance stratégique. Selon le quotidien russe gazeta.ru, les recettes engendrées par le transit de gaz s’élèvent à 3 milliards de dollars par an.

En août, l’Ukraine avait adopté une loi permettant aux investisseurs de l’UE et des États-Unis de détenir jusqu’à 49 pour cent des parts du système de transport de gaz précédemment détenues publiquement. Le régime de Kiev vient d’annoncer qu’il prévoyait très bientôt l’organisation d’appels d’offres ouverts à des investisseurs. La privatisation du système de transport du gaz fut dès le début l’un des principaux objectifs des puissances impérialistes. Il y avait eu à ce sujet de violents conflits durant la soi-disant Révolution orange de 2004.

La privatisation du système de transit de l’Ukraine restreindra considérablement l’influence russe sur l’Ukraine et le marché énergétique européen. Parallèlement, l’Ukraine renoncera au contrôle d’une importante part de son économie au capital européen et américain.

La loi autorise les entreprises étrangères à administrer, à franchiser ou à louer des oléoducs et des réservoirs pétroliers en Ukraine qui étaient auparavant contrôlés par la Russie. De plus, le gouvernement ukrainien pourra également trouver une nouvelle société pour exploiter les installations de stockage de gaz dont les investisseurs européens et américains pourront contrôler jusqu’à 49 pour cent. 

Un expert ukrainien en matière de gaz a dit à gazeta.ru que la loi a laissé ouverte la possibilité pour le gouvernement ukrainien d’accorder aux investisseurs étrangers une participation au contrôle du réseau de transport du gaz. Grâce à l’investissement de leur propre argent dans le système de transport du gaz, qui est terriblement obsolète et qu’il est urgent de moderniser, les investisseurs seront en mesure d’augmenter le pourcentage de leurs capitaux propres.

Le contrôle croissant des investisseurs occidentaux dans le transport de gaz en provenance de la Russie est un pas pour faire reculer l’influence économique de la Russie, et aussi une mesure visant à intégrer l’Ukraine dans l’impérialisme occidental.

En même temps que ses tentatives de prendre le contrôle du système de transport du gaz, l’UE fait tout son possible pour empêcher la construction de l’oléoduc South Stream par lequel la Russie envisage de contourner l’Ukraine et d’acheminer le gaz russe vers l’Europe en passant par la mer Noire. La commission de l’UE a déjà contraint la Bulgarie (voir : « Bulgaria suspends construction of South Stream pipeline », en anglais) à reporter le projet. La construction d’un couloir méridional d’approvisionnement du pétrole se trouve au cœur de l’actuelle stratégie de l’UE en matière énergétique en fournissant du gaz à l’Europe à partir de la mer Caspienne, une soi-disant union énergétique au sein de laquelle les membres de l’UE appliqueraient une politique énergétique homogène et allant à l’encontre des sociétés russes et du Kremlin.

(Article original paru le 29 octobre 2014)

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