Les grandes puissances temporisent alors que l’épidémie de fièvre Ebola a déjà fait plus de quatre mille victimes

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé vendredi 10 octobre que le bilan de l’épidémie de fièvre Ebola continuait de s’aggraver, montant à 4.033 morts sur 8.399 cas enregistrés dans sept pays. Presque toutes les morts se sont produites dans des pays d’Afrique occidentale en particulier au Liberia, en Sierra Leone, en Guinée et au Nigeria. Selon ce dernier rapport de l’OMS, rien ne permet d’affirmer que les efforts fournis jusque là ont permis de contrôler la maladie.

Etant donné l’ampleur du désastre social en Afrique de l’ouest et la menace représentée pour l’ensemble de la population mondiale, la réponse des Etats-Unis et des autres puissances impérialistes a été dérisoire et totalement irresponsable. Plutôt que de réagir tout de suite par un programme massif d’aide humanitaire d’urgence à hauteur de plusieurs milliards de dollars et comprenant le déploiement de milliers de docteurs, d’aides-soignants et de personnels sanitaires, le gouvernement américain a attendu presque un an pour répondre d’une manière tant soit peu significative à l’épidémie.

Celui-ci envisage maintenant de dépenser un milliard de dollars sur un an pour financer une opération militaire visant à installer un nombre limité de centres de traitement. Cette réponse, tout à fait inadéquate pour endiguer l’épidémie, est dérisoire si on la compare au 1,1 milliard de dollars dépensé par le gouvernement américain ces quatre derniers mois pour le seul bombardement de l’EI (Etat islamique) en Irak et en Syrie. Au lieu de chercher à enrayer l’épidémie, le gouvernement Obama utilise la crise humanitaire comme couverture d’un développement de sa présence militaire en Afrique.

Environ 4.000 soldats seront déployés durant un an au Liberia sous le commandement de l’AFRICOM (Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique) sous prétexte de construire des centres de traitement d’Ebola et des laboratoires d’analyses. Il n’est pas prévu que les médecins ou les aides soignants militaires soient directement engagés dans le traitement des malades atteints par le virus.

Lors d’une conférence de presse tenue jeudi 9 octobre, Thomas Frieden, le directeur des Centres pour le contrôle des maladies (CDC) a appelé à une intensification spectaculaire de la réponse à Ebola en Afrique occidentale. « Durant les trente ans où j’ai travaillé dans le domaine de la Santé publique, la seule chose comparable a été le SIDA, » a-t-il dit aux journalistes. « Nous devons agir maintenant pour que cela ne devienne pas le prochain SIDA dans le monde. »

La comparaison avec le SIDA faite par Frieden est trompeuse, car les deux maladies diffèrent pour ce qui est de leur transmissibilité et la rapidité avec laquelle la personne infectée succombe à la maladie. Tandis que le SIDA se développe à partir d’une infection de VIH souvent par contact sexuel ou le partage d’aiguilles intraveineuses, Ebola se répand plus facilement par contact avec les fluides corporels d’une personne infectée.

Un individu infecté par le VIH peut vivre des mois et souvent des années avant de montrer un quelconque symptôme de la maladie ou avant de développer le SIDA et mourir de la maladie. Ebola par contre est une maladie à effet rapide. La personne qui la contracte montrera des symptômes après une période de deux jours à deux semaines après le début de l’infection et mourra de défaillance multiple d’organes après une période dune à deux semaines après l’apparition des premiers symptômes.

Mais Ebola est semblable au SIDA dans la mesure où le virus profite de l’intense pauvreté qui prévaut sur le continent africain et, s’il n’est pas combattu, menace d’avoir des conséquences désastreuses pour l’ensemble du monde. Depuis l’apparition de l’épidémie de SIDA, on estime que 36 millions de personnes sont mortes de complications liées à cette maladie. L’Afrique sub-saharienne a été particulièrement touchée ; elle représente 70 pour cent de la population vivant avec le VIH et 70 pour cent des morts liées au SIDA.

Lors de sa conférence de presse du 9 octobre, Frieden a également appelé à investir davantage dans des efforts visant à contrôler l’extension des maladies infectieuses comme Ebola. « La rapidité est ici la variable la plus importante. C’est contrôlable et on aurait pu l’empêcher. La santé publique souffre cruellement du manque d’investissements qui pourtant reviendraient bien moins cher. »

Malgré le besoin urgent d’étudier et de contenir les maladies infectieuses telles qu’Ebola, le budget annuel du CDC est tombé de 6,5 milliards de dollars à 5,9 milliards entre 2010 et 2013. De surcroît, les coupes budgétaires à Washington l’an dernier ont éliminé 285 millions de dollars supplémentaires du budget du CDC, dont 13 millions de dollars de réduction du Programme des nouvelles maladies infectieuses et d’origine zoonotique, qui étudie les virus comme Ebola.

Vendredi 10 octobre, le sénateur James Inhofe, le principal républicain siégeant au Comité des forces armées du Sénat américain, a décidé de permettre au Département de la Défense le transfert de 750 millions de dollars, alloués à la défense, à l’intervention militaire de l’administration Obama en Afrique occidentale. « Après sérieuse considération, je crois que l’épidémie a atteint un point où la seule organisation au monde capable de fournir les capacités et la rapidité d’intervention nécessaire pour répondre à cette crise est l’armée américaine, » a-t-il dit.

Inhofe avait bloqué le transfert de fonds pour cette opération jusqu’à ce que l’administration explique sa stratégie à long terme de lutte contre Ebola au Liberia et comment les troupes américaines seraient protégées contre une contraction du virus. La nouvelle tranche de fonds porte la somme totale allouée par le Pentagone à l’opération militaire au Libéria à un milliard de dollars sur un an.

À la réunion annuelle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, jeudi 9 octobre, les dirigeants des trois pays les plus affectés par l’épidémie d’Ebola, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée ont lancé un appel à ces deux organismes pour qu’ils accroissent leur aide à la lutte contre la maladie. La banque mondiale s’est déjà engagée à des prêts totalisant 400 millions de dollars aux pays africains touchés. Le président de la Sierra Leone, Ernest Bai Koroma a dit à cette réunion que l’épidémie était une « tragédie jamais vue à l’époque moderne ».

Un rapport publié la semaine dernière par la Banque mondiale prédit que si l’épidémie n’était pas contenue cela aurait des conséquences catastrophiques pour l’économie de l’Afrique occidentale. Ce rapport estime que l’épidémie pourrait finir par coûter à l’économie ouest-africaine 32,5 milliards de dollars d’ici la fin de 2015 si elle s’étendait aux pays limitrophes des trois pays les plus touchés.

On estime que l’épidémie aura un impact significatif sur la croissance économique en 2014; ces trois pays perdront ensemble 359 millions de dollars de produit intérieur brut. La Banque mondiale estime que l’ensemble de l’économie ouest-africaine aura perdu au moins 2.2 milliards de dollar d’ici la fin de l’année.

En plus de l’impact économique sévère, l’épidémie d’Ebola a totalement submergé les systèmes de santé du Liberia et de la Sierra Leone. Un effet secondaire de l’épidémie est que les gens souffrant d’autres maladies ou ayant d’autres problèmes de santé ont un accès de plus en plus réduit aux équipement médicaux et aux médicaments.

En Sierra Leone, le nombre de femmes utilisant des dispensaires de santé reproductive a baissé d’un quart entre mai et juin cette année, soulevant la crainte que le pays ne connaisse une hausse dramatique de la mortalité infantile et maternelle. Les experts en santé s’attendent à ce que des morts inutiles dues à la diarrhée, la malaria et la pneumonie montent en flèche parce qu’un nombre accru de gens évitera les cliniques de peur de contracter le virus Ebola ou parce qu’on leur refusera l’accès à des cliniques et à des hôpitaux surchargés.

Dans un cas qui souligne le danger couru par le reste du monde alors que l’épidémie continue de s’étendre, on a confirmé qu’une infirmière en Espagne avait été le premier cas d’Ebola transmis hors d’Afrique. Elle avait contracté le virus après avoir soigné un prêtre ayant la maladie et qu’on avait rapatrié depuis l’Afrique occidentale pour qu’il soit traité en Espagne.

Le Brésil a lui aussi annoncé son premier cas d’Ebola, celui d’un guinéen, Souleymane Bah, venu au Brésil en transitant par le Maroc. Il était allé à l’hôpital de la ville de Cascavel, dans le sud du Brésil, le 9 octobre, se plaignant de fièvre et fut transféré par avion à l’Institut national des maladies infectieuses de Rio de Janeiro.

(Article original paru le 11 octobre 2014)

Loading