Air France diffère les délocalisations face à la grève des pilotes

Après la proposition lundi soir du PDG d'Air France-KLM Alexandre de Juniac de suspendre jusqu'à la fin de l'année la création de la filiale low cost Transavia-Europe, d'autres sections de salariés d'Air France expriment leur soutien pour la lutte des pilotes. Les pilotes grévistes ont également manifesté hier près de l'Assemblée nationale à Paris, alors que plus de 60 pour cent des avions restent cloués au sol et 60 pour cent des vols sont annulés.

« Le PDG Alexandre de Juniac veut la délocalisation des emplois. Il joue un double jeu, il y a un conflit avec la direction. On veut aussi la préservation de la qualité du système et du service », expliquait un pilote aux journalistes du WSWS devant l'Assemblée nationale. « Je suis contre un patron qui est dictateur ». 

Le pilote a critiqué les médias qui traitent les pilotes grévistes de nantis. « Je gagne bien ma vie, je ne suis pas à 17.000 euros pas an, je gagne 7.500 euros mensuels. Mais c'est comme les capitaines en Chine, aux Emirats, à travers l'Europe, on gagne comme les autres. Et au moins 25 pour cent des pilotes quittent leur poste, il y a des contraintes importantes sur les conditions de vie ». 

Surtout dans le low cost, a-t-il ajouté, « On a des amplitudes de travail plus longues ... on accumule la fatigue. Il faut faire l'équilibre entre la rentabilité et l'accumulation de la fatigue ». 

Plusieurs pilotes ont souligné qu'ils voulaient travailler dans toutes les différentes filiales d'Air France-KLM, y compris les filiales low cost, pour ne pas se limiter à un service uniquement auprès des élites sociales. « Les businessmen voyagent sur Air France, pour les visites de famille il y a [la compagnie aérienne] HOP, puis la troisième [société] c'est la charter, Transavia. On est contents de travailler, on veut travailler dans les trois », a dit un autre pilote. 

Les pilotes craignent que la création de la filiale Transavia-Europe, domiciliée au Portugal, ne provoque d'importantes délocalisations d'emplois en France. Les pilotes embauchés au Portugal auraient des salaires plus bas et ne cotiseraient plus à la caisse de retraite des pilotes d'Air France. Ceci casserait les retraites des pilotes en France, tout en permettant à Air France-KLM d'augmenter ses profits en transférant massivement des emplois vers la main d'oeuvre moins bien payée de Transavia-Europe. 

Les pilotes rejettent les menaces de Juniac parues dans l'édition du weekend du Monde, où il prévient qu'en cas de refus des syndicats, il comptait « dénoncer l'accord de création de Transavia France ». Il a menacé d'annuler notamment les primes accordées aux pilotes Air France quand ils travaillent à Transavia-France, primes visant à compenser les salaires de base réduits de la filiale low cost. 

Lundi soir sur le plateau du 20h de France 2, Juniac a dû annoncer : «Si on ne parvient pas à un dialogue et un accord satisfaisant, on sera obligés d'arrêter. Je le ferai la mort dans l'âme». 

Il a dit toutefois garder l'espoir d'arriver à un accord avec les bureaucraties syndicales, insistant qu'il « serait trop tôt» pour parler de retrait du projet. « Nous espérons convaincre, nous espérons aboutir dans des négociations sur le périmètre de Transavia. Si nous n'y arrivons pas, nous arrêterons ce projet, vraiment à contre-coeur parce que c'est un projet qui consolide Transavia France, qui consolide Transavia Hollande», a-t-il dit. 

Dans son point presse en fin d'après-midi lundi, Jean-Louis Barber, dirigeant du SNPL-Air France, sentant qu'il perdait le contrôle de la grève et tentant de mettre fin au conflit, a de nouveau appelé à la médiation du Premier ministre Manuel Valls, même si ce dernier avait qualifié les propositions de la direction de «raisonnables» et appelé les pilotes à la « fin de la grève ». 

Les pilotes ont rejeté ces propositions et réclament le retrait pur et simple du projet Transavia-Europe, alors que davantage de catégories du personnel d'Air France soutiennent la grève. Trois syndicats de pilotes, SNPL-AF Alpa, Spaf, et Alter, et cinq autres syndicats représentant diverses catégories de personnel, la CGT, le SNPNC-FO, l'Unac, l'Unsa et SUD-Aérien, demandent «le retrait sans condition du projet Transavia Europe, synonyme de délocalisation de nos emplois». 

Visiblement consternés, le gouvernment et les bureaucraties syndicales font pression sur Air France pour qu'elle recule, de peur d'un mouvement de masse incontrôlé contre le pouvoir. 

Le secrétaire d'Etat aux Transports Alain Vidalies a pris acte de la proposition d'Air France, soulignant dans un communiqué qu'il avait « suggéré que ce projet Transavia Europe soit écarté du plan ». L'Etat fait pression sur la direction du groupe pour qu'elle mette fin à la grève et bloque un mouvement plus large des travailleurs contre l'offensive du Parti socialiste pour réduire le coût du travail, et donc les salaires et les acquis sociaux, de tous les salariés du pays. 

« La ligne, pour nous, c'est de proposer d'arrêter le projet Transavia Europe », ont dit des proches du secrétaire d'Etat. « Si la direction fait une vraie proposition en disant 'on arrête Transavia Europe', chacun peut faire un bout de chemin ». 

Le syndicat des pilotes de ligne SNPL est également surpris et inquiet de l'écho plus large qu'a trouvé la grève des pilotes. 

« On est partis sur quelque chose de corporatiste, mais si on lâche, c'est derrière les stewards, les services techniques, tout le monde craint les délocalisations et les pertes d'emplois ... La grève est juste, si nous on tombe, c'est tous les salariés qui paieront. Dans un avion, il n'y a pas que les pilotes », a dit le militant syndical Antoine Amar au WSWS. 

Lorsqu'on lui a demandé s'il voyait un lien plus large entre la lutte des salariés d'Air France et une lutte contre la politique générale du gouvernement de Manuel Valls de réduire le coût de travail, et donc les salaires et les acquis sociaux, Amar a répondu que non, « On n'est pas sur le terrain politique », tout en ajoutant : « Le mouvement est juste, on est ensemble dans la défense des salariés ». 

En fait, la bureaucratie syndicale compose directement avec le programme d'austérité de Valls. « Le SNPL a demandé dans un communiqué une réception par Valls, mais il ne nous a pas répondu », a protesté Amar.

 

 

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