Le début de la physique moderne

Galilée – Vie et destin d'un génie de la Renaissance, David Whitehouse, Evergreen, 2009 

Ce volume écrit par l'archéologue britannique David Whitehouse est une contribution bienvenue à l'étude de la Renaissance italienne. Il donne une vue d'ensemble de l'univers de la Renaissance italienne à une époque où les découvertes et les nouvelles inventions accéléraient le conflit entre la science et les institutions médiévales de l'Eglise catholique de Rome. Le livre se concentre avant tout sur la vie et l'oeuvre de Galilée (1564-1642) dont la persécution par l'Eglise reflète les tribulations de la plupart des penseurs progressistes de l'époque.

La date de publication de cet ouvrage avait été choisie pour coïncider avec le 400e anniversaire de l'année où Galilée pointa une version significativement améliorée de son télescope vers les cieux nocturnes et entreprit de dessiner les phases de la lune. Le livre est abondamment illustré de peintures, de photographies et d'images qui décrivent l'époque où Galilée vivait, sa vie, ses amis, ses collègues, ses adversaires et ses persécuteurs. 

Comme le montre Génie de la Renaissance, c'était l'époque de l'Inquisition et de l'emprisonnement, de la torture et des exécutions haineuses de ceux qui étaient jugés être des « hérétiques. » Parmi eux on comptait toute personne remettant en question la doctrine de l'Eglise, notamment ceux qui développaient les nouvelles techniques d'observation, d'expérimentation et l'association de ces deux avec les mathématiques. Parmi ceux qui furent persécutés il y eut Giordano Bruno, Antonio de Dominis et Galilée lui-même.

Galileo Galilei

Vincenzo Galilei, père de Galilée, était un mathématicien et théoricien de la musique qui remettait en question la croyance traditionnelle de l'infaillibilité de la pensée philosophique grecque, soutenue tant par l'Eglise que par l'Etat. Il découvrit par exemple que l'application pratique de l'expérimentation réfutait les croyances établies de longue date du philosophe de la Grèce antique, Pythagore, sur l'intervalle musical et la tonalité entre deux cordes. Pythagore avait soutenu que lorsque l'on accordait les cordes, des poids étant utilisés pour tendre les cordes, la tension devait être doublée. Mais dans la pratique il s'avéra que la tension devait être quadruplée et non doublée pour produire une tonalité plus élevée d'une octave. Comme l'explique Whitehouse:

« On peut difficilement sous-estimer l'importance de ce moment dans la vie de Galilée. Lui-même et son père avaient trouvé une nouvelle harmonie: un nouvel ensemble de lois mathématiques qui corrélaient la note produite par une corde jusqu'à tension et ils l'avaient fait par l'expérimentation. Ils n'avaient cherché la réponse ni dans un ancien traité grec, ni demandé conseil à quelque autorité musicale. C'était le début de la science moderne: ils avaient conduit une expérience et posé une question sur la nature même. C'était révolutionnaire. Les actions de Vincenzo avaient déployé le cours de la vie de son fils pour ce qui est de la physique expérimentale.

Plus tard dans sa vie, Galilée allaient utiliser des techniques expérimentales pour démontrer que les objets tombent en direction de la terre à la même vitesse, quelle que soit leur masse. Si certains objets semblent tomber plus doucement c'est du fait de la résistance de l'air et non du fait d'une propriété des objets. Ceci défiait le principe aristotélicien selon lequel les objets plus lourds tombent plus vite que les objets plus légers. La plus connue de ces expériences fut faite à la Tour de Pise, lorsqu'il laissa tomber deux sphères de forme identique mais de masses différentes du haut de la tour. Les sphères, l'une de 100 livres et l'autre de simplement une livre touchèrent le sol au même moment. 

Près de 400 ans plus tard, l'astronaute David Scott d'Apollo 15 fit une expérience similaire sur la surface de la lune, laissant tomber une plume et un marteau en métal. Tous deux touchèrent la surface de la lune en même temps. « Galilée avait raison, » s'était exclamé Scott.

Les réalisations de Galilée comprennent aussi de nombreuses inventions liées à d'autres domaines de la science. Il développa le thermoscope, prédécesseur du thermomètre, qui fut la première tentative de mesurer la chaleur. Le Sénat vénitien lui accorda un brevet pour une machine à pomper l'eau, utilisée pour l'irrigation et qui n'utilisait qu'un cheval. Un ami outilleur aida Galilée à développer un compas de proportion qui pouvait être utilisé pour estimer la distance et la hauteur d'une cible ainsi que mesurer l'angle d'élévation d'un canon. Si Galilée n'est pas l'inventeur du télescope qui fut construit pour la première fois en Hollande en 1608, on lui attribue l'augmentation du grossissement de 20 à 30 fois en utilisant les techniques avancées de l'élaboration de la lentille.

on intérêt pour les télescopes s'éveilla en 1604 lorsqu'une nouvelle « étoile » apparut dans la constellation de Ophiuchus. Cela faisait suite à l'apparition, plus tôt, d'une nouvelle étoile en 1572 qui fut étudiée par l'astronome danois Tycho Brahe. De telles occurrences remettaient en question l'idée longtemps soutenue d'Aristote et de l'Eglise que les cieux sont parfaits et immuables. Toujours prêt à poursuivre ses observations, Galilée chercha une manière d'étudier de façon détaillée le ciel nocturne.

L'un des premiers télescopes de Galilée (Musée de l'Histoire des Sciences de Florence, Italie).

A l'aide de son télescope, il commença a peindre les différentes phases de la lune et les points lumineux et sombres qu'il y observait. Il montra la lune à son mécène, le Duc de Toscane, qui en fut ravi. Galilée observa ensuite l'amas d'étoiles des Pléiades ainsi que la planète Jupiter. De ces observations, il découvrit les quatre satellites les plus grands de Jupiter, Io, Callisto, Europe et Ganymède et apporta la première preuve d'objets qui sont en orbite autour d'un corps autre que la Terre. C'était la preuve dont Galilée avait besoin pour devenir un fervent partisan du modèle copernicien du cosmos.

Une réalisation similaire fut faite durant l'étude par Galilée des phases de Vénus, répétant avec bien plus de précision les observations faites par Copernic. Après avoir enregistré les formes de la lumière du soleil reflétées depuis l'atmosphère de Vénus, il s'aperçut que l'apparition de telles formes ne pouvait se produire que si Vénus et la Terre tournaient toutes deux autour du Soleil. Galilée publia un livre sur ses observations qui circula dans toute l'Europe.

Comprises dans ses observations on trouve aussi l'enregistrement des taches solaires. En orientant le télescope sur le Soleil et en laissant la lumière passer à travers le télescope sur un fond blanc, Galilée fut en mesure d'esquisser la position des taches solaires et de déterminer que de telles imperfections existaient sur le Soleil et qu'elles changeaient avec le temps. Cette observation ainsi que la preuve expérimentale que la Terre n'est pas le centre de l'univers provoquèrent le courroux de l'Eglise.

Galilée devant le Saint Office (peinture de Joseph-Nicolas Robert-Fleury)

Le philosophe grec Aristote ainsi que le Vatican considéraient que le soleil était une sphère parfaite et sans tache. Les étoiles mêmes étaient vues comme des divinités, contribuant à l'expansion de l'astrologie. Des partisans de l'Eglise soutenaient que les taches solaires observées devaient être des satellites du soleil et non des « imperfections » en sa surface. Galilée déclara que non seulement il y avait des taches solaires à la surface du soleil mais qu'elles changeaient de forme et qu'elles naissaient et se dissolvaient sur cette sphère. Cela ne pouvait conduire qu'à une seule conclusion : le soleil n'était pas une sphère parfaite.

La popularité de Galilée et une académie de science, nouvellement établie à Rome, garantirent la poursuite de la publication de ses travaux et représentèrent une certaine protection contre l'Eglise et d'autres ennemis professionnels. Néanmoins la question des taches solaires fut l'étincelle qui provoqua une attaque ouverte de l'Eglise contre Galilée.

La manière dont ce débat se déroula n'est qu'un exemple de la manière dont l'Eglise et ses membres utilisèrent la bible pour diffamer les scientifiques comme Galilée. Galilée quant à lui croyait que rien de ce qu'il avait découvert n'était en aucune manière en conflit avec les Ecritures et il cita un historien ecclésiastique, le cardinal Baronius (1538-1607) qui avait dit: « L'Esprit Saint voulait nous enseigner comment aller au cieux, et non comment les cieux sont faits. » Cette riposte fine ne le sauva pas. Comme nous le fait remarquer Whitehouse:

« Dans son conservatisme inné, le cardinal Bellarmine considérait l'univers copernicien comme une menace à l'ordre social. Pour lui et pour la plupart des échelons supérieurs de l'Eglise, la science de la matière était au-delà de l'entendement humain, et dans bien des cas de leur intérêt. Ils se préoccupaient davantage de l'administration et de la préservation du pouvoir papal que de l'exactitude des faits concernant l'astronomie. »

Finalement, Galilée se vit signifier par Bellarmine et le chef de l'Inquisition, le cardinal Agostino Oreggi, que les idées de Copernic étaient erronées et qu'il ne devait pas les soutenir. De plus on lui ordonna de ne pas enseigner ni défendre, de quelque manière que ce soit, la théorie copernicienne, ni dans ses écrits, ni oralement.

Après la mort de Bellarmine et du pape Paul V, Galilée nourrissait de grands espoirs de voir le nouveau pape Urbain VIII, son ancien ami Maffeo Barberini, une fois élu pape, se révéler bien meilleur que ses prédécesseurs. C'était une illusion. Il fut convoqué devant une Inquisition plus hostile encore que la première fois.

Si Whitehouse spécule que pour Barberini, devenir pape « lui était monté à la tête », la vérité plus fondamentale, comme il l'avait précédemment observée, est que la hiérarchie de l'Eglise dans son ensemble considérait « l'univers copernicien comme une menace à l'ordre social. » Le pape, nonobstant ses origines individuelles, était tenu, de par sa place dans la société médiévale, de défendre le statu quo.

Les reproductions, dans le livre de Whitehouse, de peintures et d'illustrations représentant des autodafés, des exécutions sur le bûcher pour hérésie et des humiliations subies par des milliers de personnes aux mains de l'Inquisition, renforcent cet argument. 

Génie de la Renaissance décrit comment la défense du système copernicien par Galilée, puis les découvertes ultérieures de Kepler, René Descartes et Isaac Newton ont non seulement établi les débuts de la physique mais ont aussi conduit à des avancées de la science qui ont eu pour conséquence le programme spatial moderne, dont la sonde spatiale portant le nom de Galilée et le télescope spatial Hubble, le progrès technologique le plus extraordinaire et dont Galilée est le pionnier.

Whitehouse résume la révolution galiléenne en dressant un portrait très humain de l'homme, de l'histoire de son époque et du rôle indispensable de Galilée dans l'avancement et la popularisation de la science pour l'humanité. 

(Article original paru le 9 septembre 2014)

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