Perspectives

Syriza discute la nécessité d’une répression par l’Etat

Suite à la demande par le ministre grec de l’Ordre public Yannis Panousis qu’on réponde aux actions de protestations par la répression policière, le premier ministre Alexis Tsipras a pris l’engagement que le gouvernement Syriza ferait ce qui était nécessaire pour maintenir « l’ordre public. »

Dans un article qui a fait vendredi dernier la Une de To Vima, Panousis a attribué les occupations d’universités, du siège de Syriza et de l’enceinte du parlement par des groupes anarchistes à des actions menées par des « gauchistes purs et durs. »

Panousis a attaqué ceux qui croyaient qu’un « gouvernement de gauche signifie un pays et une ville sans protection (sans personnel, services sociaux, sécurité nationale, sans armée et sans maintien de l’ordre et peut-être sans juges ou prisons). » Il écrit: « L’heure de la gauche en Grèce n’est pas l’heure des idéologies qui ne mènent nulle part et des slogans superficiels mais l’heure de la consolidation institutionnelle, de la légitimité politique et de la cohésion sociale. »

Les déclarations de Panousis sont un débat public sur la politique gouvernementale qui n’ avait été mené jusqu’ici qu’à huis clos.

La nomination au poste de ministre de l’Ordre public du criminologue et ancien membre du parti Gauche démocratique (une scission de Syriza qui contribua, en tant que partenaire de la coalition gouvernementale de 2012, à imposer les mesures d’austérité), avait précisément eu pour but de rassurer l’élite dirigeante grecque et internationale quant à la détermination d’un gouvernement Syriza à préserver « l’ordre public. »

Cette décision allait de pair avec l’alliance de Syriza et du parti xénophobe des Grecs indépendants et la nomination du dirigeant de ce parti, Panos Kammenos, au poste hierarchiquement plus élevé de ministre de la Défense, chargé des forces armées.

C’est Panousis qui avait déclaré après les élections du 25 janvier que « La police ser[ait] armée lors des manifestations, » et avait renié l’engagement précédent de Syriza d’abolir la police anti-émeute.

Ces dernières semaines, il a appelé à la restauration de la police municipale, abolie par le gouvernement grec précédent, et a suggéré de la rebaptiser Agence de médiation communautaire. Il s’est adressé à la direction de la police régionale du Péloponnèse en disant à son auditoire à tendance fasciste, « Nous essayons d’expliquer à tout le monde quelle est la nouvelle identité de la police grecque. Nous réclamons un consensus non seulement pour s’attaquer au crime, mais aussi au nom du nouveau rôle social et préventif joué par la police. »

« La Grèce ne peut faire face à davantage de migrants, » a-t-il souligné.

L’article de Panousis paru dans To Vima a été appuyé par d’influentes figures telles que le ministre de l’Education Aristide Baltas et le ministre de la Justice Nikos Paraskevopoulos qui ont qualifié les points de vue de Panousis de vérités « évidentes ». Les services de Tsipras n’ont eu d’autre souci que d’indiquer clairement que Panousis ne critiquait pas « la politique gouvernementale ni les ministres du gouvernement, ni les forces politiques qui soutiennent [le gouvernement], » et que Syriza « restait fermement déterminé à défendre l’Etat de droit, les droits et l’ordre public. »

La défense publique de la répression policière au niveau le plus élevé de Syriza doit être comprise comme un avertissement sévère.

Avant la victoire de Syriza aux élections législatives de janvier, l’opposition au programme d’austérité dicté par la troïka – l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international – avait entrainé plus de 30 grèves générales contre les gouvernements dirigés par le parti conservateur Nouvelle Démocratie dont la coalition formée en 2012 avec les sociaux-démocrates du PASOK.

A maintes reprises, les manifestations furent brutalement réprimées par une police anti-émeute dont les liens avec les fascistes d’Aube dorée sont très étendus. Une enquête officielle sur ces rapports avait occasionné l’arrestation en décembre 2013 d’une cinquantaine de personnes, dont dix policiers. Ceci n’a fait cesser la violence policière en aucune façon. Amnesty International a publié un rapport constatant une « culture de longue date de l’impunité, un racisme profondément enraciné et une violence endémique, y compris le recours excessif à la force contre les manifestants et les mauvais traitements infligés aux migrants et aux réfugiés ».

Tout au long de 2013 et 2014, les manifestations contre l’austérité furent à maintes reprises interdites à Athènes, les manifestants et les journalistes passés à tabac.

Les tensions sociales ayant atteint le point de rupture, Syriza fut présenté par les médias grecs comme une alternative politique prétendument capable de s’opposer aux mesures d’austérité tout en garantissant l’adhésion de la Grèce à l’Union européenne sans rien faire pour entraver la domination du capital grec.

Les groupes de la pseudo-gauche dont le Nouveau Parti anticapitaliste en France, le Socialist Workers Party en Grande-Bretagne et l’International Socialist Organization aux Etats-Unis ont joué un rôle clé pour étayer de telles affirmations. Ils ont tous acclamé Syriza comme leur nouveau modèle – la preuve que la lutte contre l’austérité ne demandait pas de lutte révolutionnaire contre le capitalisme en Grèce comme partie intégrante d’une offensive unifiée de la classe ouvrière européenne pour une Europe socialiste.

Leurs attaques incessantes de ceux qui critiquaient Syriza, qualifiés de « sectaires », visaient avant tout le World Socialist Web Site et le Comité International de la Quatrième Internationale qui ont analysé et révélé au grand jour le caractère de classe bourgeois et la politique droitière de Syriza. Ils ont tous excusé l’alliance de Syriza avec les Grecs indépendants en déclarant qu’elle était indispensable à l’application de la « realpolitik. »

A ce jour, Syriza a pu exploiter la bonne volonté des travailleurs grecs et les négociations en cours avec les créanciers de la Grèce pour adopter une attitude quelque peu oppositionnelle – même s’il promet d’appliquer la plus grande partie des mesures d’austérité de la troïka, de rembourser tous les prêts, de piller les fonds de pension et de rétablir le programme de privatisation. Cependant, cette période touche à sa fin.

Syriza dispose d’une échéance d’à peine deux semaines pour présenter une liste de coupes sociales qui satisfassent les créanciers de la Grèce. Qu’ils réussissent et que la Grèce continue de rester dans la zone euro ou qu’ils échouent et qu’il y ait une sortie de la Grèce, il y aura de nouvelles attaques brutales contre des millions de travailleurs qui d’ores et déjà parviennent tout juste à survivre.

Derrière l’écran de fumée déployé par ses partisans, Syriza est en train de faire des préparatifs pour le moment où les discours ne suffiront plus à couvrir sa mise en vigueur de l’austérité

En juin 2012, Tsipras avait eu des entretiens avec le ministre grec de la Défense et le haut commandement de l’armée pour montrer clairement sa volonté de défendre « l’intégrité territoriale du pays et l’indépendance nationale. » En octobre 2014, il avait rencontré le ministre de la Défense pour discuter des objectifs géostratégiques de la Grèce et fait l’éloge de « l’attitude courageuse » du personnel militaire. Avant la prise de pouvoir, suite aux élections de janvier, il avait rassuré le chef d’état-major de l’armée grecque et le chef de la police grecque qu’il n’y aurait pas de « vide au niveau du pouvoir. »

Syriza est déjà devenu synonyme de duplicité et de trahison – se comportant à tout moment comme le défenseur loyal de la bourgeoise grecque et l’instrument politique d’une couche petite-bourgeoise privilégiée, incarnée par d’anciens universitaires tels Panousis, Paraskevopoulos et le ministre des Finances Varoufakis. Incité par Panousis, le parti a fait clairement comprendre qu’il était plus que disposé à recourir à la violence pour écraser l’opposition sociale de la classe ouvrière.

Si c’était le cas, ceux qui défendent Syriza dans la pseudo-gauche auront du sang sur les mains. Vu qu’un grand nombre d’entre eux dispose de groupes propres au sein de Syriza, ils jouent un rôle direct dans le désarmement de la classe ouvrière et permettent à la classe dirigeante de mettre en place l’appareil répressif de l’Etat en vue de la contre-révolution.

(Article original paru le 8 avril 2015)

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