Les universitaires Münkler et Baberowski font la réclame de la politique étrangère impérialiste

Le décor était adapté au contenu. Lundi 7 décembre, avec le militarisme prussien pour toile de fond, le politologue Herfried Münkler et l’historien Jörg Baberowski ont débattu sur la violence.

Les deux professeurs de l’université Humboldt, toute proche du Musée de l’histoire allemande où avaient lieu les débats, avait été invités par le président de l’association Museumsverein Peter Voß. Le thème était « La violence: l’élément fondamental de l’histoire? »

Au 18e siècle l’Arsenal qui abrite le musée avait servi à la Prusse de dépôt d’armes et au 19e siècle de musée militaire et de halle d’honneur. Au 20e siècle, Hitler prononçait au Schlüterhof, la cour du musée, ses discours annuels de Heldengedenktag (journée de commémoration des héros).

L’Arsenal est entouré par un décor où sont mêlés les vestiges glorieux du passé prussien et un chantier permanent. La prétentieuse cathédrale de Berlin se dresse à côté du château de Berlin des Hohenzollern dont les travaux ne sont pas finis, de l’Opéra d’Etat caché derrière des échafaudages et du bâtiment principal de l’université Humboldt qui servait à l’origine de résidence au frère de Frédéric le Grand.

Au milieu des fantômes omniprésents du passé les deux professeurs ont surtout évoqué le présent. La violence est non seulement pour eux « l’élément fondamental de l’histoire, » elle est aussi et surtout l’élément fondamental de l’avenir.

Assister à ce genre d’événement aide à comprendre pourquoi un si grand nombre de professeurs allemands se sont jetés dans les bras de Hitler après sa prise de pouvoir en 1933. A peine envoie-t-on de nouveau des soldats allemands à la guerre et les partis d’extrême-droite rallient-ils des partisans en Europe que les successeurs des professeurs pro-nazis d’antan laissent tomber les principes démocratiques et pacifistes péniblement acquis après la Deuxième Guerre mondiale pour se lancer dans un culte de la violence militaire et de la violence d’Etat.

L’auditoire, composé en grande partie de personnes d’un certain âge issues du milieu universitaire, n’a pas manifesté la moindre contrariété ou le moindre signe de réprobation. Au contraire, des applaudissements polis se faisaient entendre dès qu’un orateur s’exprimait avec clarté. Il était tout à fait approprié qu’à cette occasion on trouvât assis au premier rang, face aux orateurs, un Thilo Sarrazin dont le livre « LAllemagne sautodétruit » avait de nouveau rendu respectable la xénophobie en Allemagne.

Toute la discussion, qui a duré deux heures, suivit ce leitmotiv que l’époque était révolue où l’Allemagne pouvait fonder sa politique étrangère, et donc sa politique intérieure, sur des principes démocratiques, les normes du droit international et des réserves morales. Comme l’a résumé Voß, « Au lieu de trop mettre l’accent sur la politique morale nous devons le mettre davantage sur la realpolitik. »

Münkler a formulé la même idée en disant, « Nous sommes sur le point d’opérer une révision fondamentale de la conception que nous avons toujours eue de la politique étrangère et qui, je pense, s’appelle ‘politique étrangère fondée sur les valeurs.’ Nous devons revenir à une realpolitik classique. »

Par rapport au Moyen-Orient, cela signifiait qu’il n’était plus possible de dire, « Nous n’avons rien à voir avec ces gens qui ont les mains sales, ces dictateurs, et nous ne voulons rien avoir à faire avec eux, » a expliqué Münkler. A titre d’exemple il a cité le dirigeant égyptien al-Sissi.

« Pour s’assurer que l’Egypte ne vole pas en éclats, » nous dépendons de lui, a-t-il insisté. Il fallait considérer « quelles étaient les puissances stabilisatrices dans une région et comment s’en accommoder pour générer quelque chose qui ressemble à de la stabilité et ce, au coût le plus bas et avec les risques les plus réduits possible, et avec les forces disponibles dans la région. »

Münkler a délimité la région géographique à l’intérieur de laquelle l’Allemagne devait pratiquer sa « realpolitik classique. » Il a dit, « Nous avons deux régions post-impériales qui nous préoccupent. L’une s’étend des Balkans occidentaux à la Mer caspienne, et l’autre couvre grosso modo l’ensemble du monde arabe. »

A un autre moment il a déclaré, « Les grands défis de la stabilité et de la sécurité européennes » s’étendent « des Balkans orientaux au Caucase » et de « la région située entre la Mésopotamie et la Libye, le Levant et l’Océan indien » à la « côte opposée de la Méditerranée et l’autre côté du Sahara. »

Si l’on examine les projets de grande puissance et de conquête du monde élaborés par les stratèges, les associations patronales et les états-majors allemands avant la Première et la Seconde guerre mondiale, on retrouve pratiquement les mêmes objectifs géographiques. Münkler renoue avec la politique expansionniste traditionnelle de l’impérialisme allemand.

Münkler injuria ceux qui le qualifiaient de fauteur de guerre en les traitant de « fous » et de « gens sans cervelle » pour attaquer immédiatement après ceux qui disaient d’avance que « la puissance militaire est absolument hors de question, nous n’enverrons des troupes nulle part et nous ne participerons à rien de tout cela. »

Il a achevé sa contribution en exprimant sa conviction que la « manière dont la République fédérale se perçoit politiquement, changera radicalement dans la prochaine période. » Il a dit en insistant, « Il faudra nous engager une fois de plus de façon très différente dans notre environnement immédiat. Nous n’aimons pas cela. En principe, nous trouvions cela avantageux de nous faire si petits que personne ne nous voie. Cela a très bien marché mais nous ne pouvons pas continuer de la sorte. »

Tout au long de la soirée, les deux professeurs se sont renvoyés la balle. Si Baberowski n’a pas exposé de projets géopolitiques grandioses à l’image de Münkler, il a parlé de façon plus virulente des méthodes brutales requises pour la réalisation d’une telle politique.

Il y a un an déjà, lors des discussions du Schlüterhof, il avait déclaré que si l’on n’était pas prêt « à prendre des otages, brûler des villages, pendre les gens et semer la peur et la terreur, » il valait mieux s’abstenir de combattre le terrorisme. A présent, il invoque comme un exemple brillant l’Okhrana, la police secrète du tsar, qui réprimait violemment toute opposition au régime autocratique.

Usant de son inimitable psychologie de comptoir, Baberowski a affirmé que les facteurs sociaux, politiques et idéologiques ne jouaient aucun rôle dans la violence terroriste. « Si l’on veut expliquer comment la violence est créée et comment l’on peut y mettre fin, il faut s’occuper des humains, » a-t-il dit. « Il y aura toujours des jeunes gens qui sont agressifs, violents et frustrés, en se sentant exclus de tout… Il y aura toujours des groupes violents, il y aura toujours du terrorisme. »

Mais, les terroristes aussi se comportent conformément à des groupes, a-t-il poursuivi. Et donc, la question clé est l’élimination des dirigeants. « Si l’on élimine un dirigeant qui rassemble ces gens, le but est atteint. » C’est exactement ce qu’a fait l’Okhrana, a-t-il dit. « Ils éliminaient les dirigeants. »

Le fait que Baberowski, un spécialiste de la Russie, cite positivement l’Okhrana en dit long sur ses positions politiques. Il aurait aussi pu mentionner la Gestapo comme exemple efficace de « lutte contre le terrorisme. » L’Okhrana a non seulement impitoyablement réprimé toute opposition démocratique et socialiste, elle était aussi notoire pour son antisémitisme et ses pogroms antijuifs, organisés pour détourner l’attention des tensions sociales, et qui faisaient des milliers de victimes.

De plus, les terroristes russes n’avaient absolument rien de commun avec l’Etat islamique de nos jours. Les attentats terroristes des narodniki ne visaient pas les gens ordinaires mais exclusivement la personne et les représentants du tsar dont ils considéraient le meurtre comme un moyen de susciter l’agitation au sein du peuple afin de lutter pour la démocratie. Ce moyen était mauvais. Cela et la montée de la social-démocratie qui se fondait sur une mobilisation de la classe ouvrière contre le tsarisme, furent les raisons du déclin des narodniki et pas leur répression par l’Okhrana.

La méthode consistant à éliminer les dirigeants que proclame Baberowski fut, pour tous les régimes et agences de renseignement réactionnaires, la norme depuis la Première Guerre mondiale, depuis les Freikorps allemands et les SA de Hitler jusqu’à la CIA américaine. Avant le meurtre de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht en 1919, les rues de Berlin étaient tapissées d’affiches avec ce message: « Tuez les dirigeants. »

Münkler et Baberowski s’étaient pour la première fois montrés ensemble en février 2014. Le magazine Der Spiegel les avait alors présentés en compagnie de l’apologiste du nazisme, Ernst Nolte, en qualité de témoins clés d’un « changement de l’histoire » dont le trait essentiel était de banaliser les crimes commis par l’impérialisme allemand durant la Première et la Seconde guerre mondiale.

Les Etudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale (EJIES) de l’université Humboldt avaient à l’époque critiqué vigoureusement cette position. Dans une lettre adressée à la direction de l’université ils avaient écrit : « Cette tentative d'établir une version fausse de l'histoire intervient à un moment critique de l'histoire allemande… La résurrection du militarisme allemand exige une nouvelle interprétation de l'histoire qui minimise les crimes de l'époque nazie. »

Lorsque l’EJIES et le World Socialist Web Site poursuivirent leur critique de Münkler et Baberowski et que des étudiants critiquèrent les cours de Münkler sur le blog Münkler-Watch, les médias déclenchèrent une furieuse campagne de propagande. Ils accusèrent l’EJIES et Münkler-Watch de censure, de harcèlement et autres choses semblables, mettant sur le même plan les critiques à l’égard des professeurs réactionnaires de Humboldt et les menaces à la bombe et les appels au meurtre. Ce conflit a été documenté dans le livre Science ou propagande de guerre ?

L’apparition conjointe de Münkler et Baberowski au Schlüterhof dans le but de légitimer la guerre et la violence d’Etat a pleinement confirmé les critiques faites par l’EJIES.

(Article original paru le 11 décembre 2015)

 

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