Élections au Sri Lanka: l'Alliance nationale tamoule présente un manifeste pro-impérialiste

Le 25 juillet, l'Alliance nationale tamoule (ANT), qui représente les élites tamoules au Sri Lanka, a présenté un manifeste électoral réactionnaire lors d'une conférence de presse à Jaffna, une ville à majorité tamoule dans le nord du pays.

Tandis que grandit la colère sociale dans les régions tamoules du Sri Lanka, l'ANT donne son appui au gouvernement à Colombo, porté au pouvoir suite à un changement de régime qui a été orchestré par les États-Unis lors des élections présidentielles en janvier dernier. L'ANT soutient que ce gouvernement rend possible un partage du pouvoir qui serait profitable au peuple tamoul.

Le manifeste suit entièrement les directives qui avaient été données par le secrétaire d'État américain John Kerry durant sa visite au Sri Lanka en mai. Après avoir rencontré la délégation de l'ANT, Kerry avait dit que l'ANT devait travailler avec «le nouveau gouvernement pour en arriver à une entente à l'amiable dans l'intérêt du pays».

Selon M.A. Sumanthiran, un membre de la délégation qui s'est entretenue avec Kerry, le secrétaire d'État des États-Unis a déclaré: «je ne vous demande pas de reculer sur les questions qui vous sont chères, mais de négocier avec la majorité cingalaise une entente acceptable pour les deux parties».

L'ANT se vante ouvertement du rôle qu'elle a joué dans l'équipe politique, organisée par les États-Unis, qui s'est assurée que le président Maithripala Sirisena soit élu en janvier. Elle écrit: «Nous avons joué un rôle important pour réaliser ces objectifs le 8 janvier 2015». Dans cette opération, le président Mahinda Rajapakse, qui entretenait des liens étroits avec la Chine, a été remplacé par Maithripala Sirisena, conformément au «pivot vers l'Asie» des États-Unis et aux préparatifs pour une guerre contre la Chine.

Le chef de l'ANT a dit: «Nous ne nous arrêterons pas à une solution politique. Nous croyons fermement que le résultat des élections parlementaires sera semblable et viendra confirmer la victoire de Maithripala Sirisena du 8 janvier. Si ce n'est pas le cas, nous allons appuyer Maithripala pour avoir un gouvernement fort au parlement.»

Depuis que Sirisena a été installé à la présidence, la politique étrangère du Sri Lanka a été orientée radicalement vers l'accroissement de l'influence des États-Unis dans l'Océan indien. Washington suit l'élection de près et espère raffermir l'emprise que les États-Unis ont sur l'île depuis le changement de régime de janvier. Dennis Blair, ancien directeur du renseignement national américain, a commenté récemment: «L'élection parlementaire sri lankaise du 17 août va déterminer si les réformes du président Maithripala Sirisena, élu à la surprise générale en janvier, vont continuer.»

Le manifeste de l'ANT approuve les politiques du gouvernement Sirisena envers les Tamouls. On peut y lire que «depuis janvier 2015, le nouveau régime a décidé de redonner des terres au peuple tamoul et de relocaliser ceux qui avaient été déplacés.»

En réalité, au cours des six derniers mois, rien n'a véritablement changé pour des milliers de personnes qui ont souffert horriblement durant la guerre civile sanglante menée par un gouvernement après l'autre pour réprimer la minorité tamoule au Sri Lanka. Mis à part quelques gestes symboliques, le nouveau régime continue les politiques racistes du gouvernement Rajapakse.

Sirisena est arrivé au pouvoir avec un «programme de 100 jours» qui promettait de «restaurer la démocratie», améliorer les conditions de vie et hausser le salaire des employés du secteur public et du secteur privé. Ses promesses n'ont rien créé de substantiel pour la classe ouvrière et de nouvelles attaques se préparent contre les travailleurs, cingalais et tamouls.

Les élections parlementaires sont conçues afin de permettre au régime de présenter ses politiques différemment, de réduire les concessions minimes qu'il a faites et, comme en Grèce, de mettre en œuvre de douloureuses mesures d'austérité pour répondre aux exigences du Fonds monétaire international et du capital financier mondial.

Le manifeste de l'ANT suggère fortement que Sirisena et le premier ministre Ranil Wickremesinghe vont demeurer au pouvoir après les élections pour mettre en œuvre «un vaste programme pour le développement du Nord et de l'Est».

Le programme de développement proposé par l'ANT – qui comprend un aéroport international, des ports maritimes et des ports de pêche – vise à promouvoir l'exploitation à bon marché de la main-d'oeuvre tamoule. Depuis la fin de la guerre civile en 2009, le gouvernement a établi de petites installations industrielles qui produisent surtout des vêtements pour l'exportation. Ces installations sont construites comme des prisons et embauchent des travailleurs à des salaires encore plus bas que ceux offerts dans les zones de libre-échange dans d'autres parties du pays.

Le caractère totalement anti-ouvrier de la perspective nationaliste de l'ANT souligne l'importance politique de la campagne du Parti de l'égalité socialiste (SEP) dans les élections. Le SEP est le seul parti qui lutte pour l'unité de la classe ouvrière tamoule et cingalaise, contre la guerre et l'austérité, sur la base d'une perspective socialiste révolutionnaire. Le SEP présente des candidats à Jaffna, Nuwara Eliya et Colombo.

Le programme de l'ANT témoigne de la faillite politique du nationalisme tamoul. Et cela est devenu de plus en plus évident depuis la défaite des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) en 2009. Selon le quotidien tamoul Virakesari, le chef de l'ANT Sampanthan a déclaré devant un groupe de membres et de partisans de l'ANT: «Nous ne pouvons continuer notre voyage politique; il faut y mettre un terme. Si le peuple tamoul nous donne une victoire écrasante en élisant 20 de nos membres au parlement, nous allons lui présenter une solution politique d'ici la fin de 2016.»

La «solution politique» de Sampanthan est le partage du pouvoir avec le gouvernement de Colombo, à l'initiative de l'impérialisme. Un tel accord donnerait plus de pouvoir à la bourgeoisie tamoule pour exploiter «son propre» peuple. Les masses ouvrières et opprimées tamoules doivent s'opposer à une telle entente qui ne leur offre rien et se préparer à lutter avec leurs frères et sœurs de classe de toutes ethnicités, contre l'austérité et le risque croissant d'une guerre.

Le manifeste de l'ANT commence par une récapitulation des négociations et des accords survenus entre les nationalistes tamouls et les gouvernements sri lankais depuis l'indépendance officielle en 1948. Le bilan politique du nationalisme tamoul est une série de déceptions, d'échecs et de trahisons: le résultat de négociations pour le partage du pouvoir avec la bourgeoisie cingalaise.

Depuis 1968, les partis nationalistes tamouls font référence aux «promesses non tenues» du Sri Lanka Freedom Party (SLFP) et du Parti national uni (UNP), les principaux partis capitalistes cingalais, pour justifier leur supposé refus de participer à de tels accords. Durant les dix dernières années, la direction de l'ANT a soutenu que la «communauté internationale», c'est-à-dire les principales puissances impérialistes, devait jouer le rôle de médiateur pour que la négociation avec le gouvernement soit possible.

En janvier cependant, l'ANT a entamé des négociations à huis clos avec les directions de l'UNP et du SLFP, apparemment sous la médiation des États-Unis, pour accorder un appui inconditionnel à la campagne de Sirisena. On pouvait lire dans des articles publiés en janvier que Sumanthiran, un membre dirigeant de l'ANT, avait exigé un ministère durant ces négociations. L'ANT s'est toutefois empressé de nier ces reportages, affirmant que sa position durant l'élection présidentielle n'avait aucun lien avec des ententes secrètes ou des promesses de postes ministériels.

Mis à part un bref passage où on peut lire que le LTTE a «continué sa lutte armée», le manifeste ne mentionne pas l'histoire du LTTE et sa demande d'un État indépendant. La défait sanglante du LTTE dans la guerre civile a été surtout le résultat de la faillite de sa perspective nationaliste tamoule. Dans les régions tamoules au nord et à l'est du Sri Lanka, le LTTE a imposé son autorité politique en réprimant les travailleurs et les pauvres et en assassinant ses opposants politiques.

Le LTTE s'est aliéné les travailleurs cingalais en perpétrant périodiquement de violentes attaques contre des civils cingalais. À l'international, le LTTE comptait sur l'appui de l'impérialisme américain et européen et sur la bourgeoisie indienne, même après que ceux-ci ont rendu leur organisation illégale et sont venus en aide, diplomatiquement et militairement, à Colombo contre le LTTE. Le résultat fut une défaite catastrophique pour le LTTE dans la guerre civile et la destruction de ses forces sur l'île, ainsi que la mort de milliers de civils, dans un massacre perpétré par l'armée du Sri Lanka.

La réaction de l'ANT est d'exhorter les États-Unis et les autres puissances impérialistes à intervenir dans la vie politique sri-lankaise, supposément pour amener une paix durable dans le pays déchiré par la guerre. Le manifeste déclare: «L'ANT croit fermement qu'une paix permanente basée sur une véritable réconciliation n'est possible que sous les auspices de la communauté internationale, ce qui permettrait à tous les peuples du Sri Lanka de vivre en tant que citoyens égaux.»

Même après que les demandes faites aux puissances impérialistes sont demeurées sans réponse, l'ANT adopte une fois de plus une position dangereuse et sans scrupules en appelant à une intervention impérialiste au Sri Lanka. L'expérience des interventions néocoloniales de Washington en Irak, en Afghanistan, en Libye et au Pakistan démontre la faillite du culte de la «communauté internationale» par l'ANT. Les puissances impérialistes ont exploité les divisions ethniques et les conflits religieux pour dominer ces pays, causant la mort de centaines de milliers de personnes.

(Article paru en anglais le 5 août 2015)

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