Secteur public québécois: travailleurs en colère, syndicats prêts à capituler

La grande majorité des 500.000 travailleurs du secteur public québécois ont tenu une journée de grève le 9 décembre dernier, au cours de laquelle des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à travers la province pour dénoncer les coupures sauvages du gouvernement libéral de Philippe Couillard.

Alors que les chefs syndicaux n'ont aucune intention d'en faire un tremplin pour une véritable contre-offensive ouvrière (il n'y a même pas eu de discours à la fin de la manifestation à Montréal), la forte participation souligne la détermination des travailleurs ordinaires à résister au programme d’austérité de l’élite dirigeante. 

Des dizaines de milliers de travailleurs ont déferlé dans les rues de Montréal et de Québec

Au cours des derniers jours, l'opposition aux coupes budgétaires et aux mesures anti-démocratiques du gouvernement Couillard a gagné de nombreux groupes de travailleurs.

Les 8000 cols blancs de Montréal, qui sont sans contrat de travail depuis 2012, tenaient aussi une journée de grève le 9 décembre.

La veille, des milliers de cols bleus de Montréal ont tenu une assemblée générale pendant les heures de travail, défiant ainsi une ordonnance de la Commission des relations du travail et les menaces de représailles du maire Denis Coderre.

Les travailleurs municipaux voulaient entre autres dénoncer la loi 15, qui impose de sévères coupures dans les retraites, ainsi que le «pacte fiscal» du gouvernement libéral prévu pour 2016, qui permettra aux municipalités de décréter les conditions de travail de leurs employés. Coderre a annoncé qu’il imposera de sévères amendes au syndicat et aux employés pour avoir débrayé.

Les étudiants employés de l'Université du Québec à Montréal, qui sont sans contrat de travail depuis près de deux ans, ont déclenché une grève illimitée ce lundi. Le lendemain, alors que les professeurs honoraient les piquets de grève des étudiants, la direction a obtenue une injonction de la Cour supérieure du Québec pour leur interdire de bloquer les entrées de l’établissement, minant ainsi leur mouvement de grève.

Au même moment, de récents sondages ont montré qu’il existe une importante opposition dans la population aux mesures d’austérité et un fort appui pour les travailleurs du secteur public, qui sont une cible centrale de l’assaut gouvernemental.

En dépit de cet appui populaire et de la colère montante parmi les travailleurs, tant le Front commun du secteur public que les syndicats municipaux font tout pour empêcher une mobilisation de l’ensemble des travailleurs et des étudiants dans une lutte commune contre l’austérité, à travers la province et partout au Canada.

Depuis le début du conflit de travail, les dirigeants du Front commun gardent les travailleurs du secteur public enfermés dans le cadre de négociations bidon, où les paramètres budgétaires et les exigences du gouvernement sont fixés d'avance et seuls des ajustements mineurs sont possibles. Devant l'offensive tous azimuts des libéraux pour démanteler les services publics et ramener les conditions de travail des décennies en arrière, les syndicats font tout pour étouffer la colère de leurs membres et éviter une confrontation avec le gouvernement Couillard.

Les quelques journées dispersées de grève organisées par le Front commun et d'autres syndicats non-affiliés n’ont rien à voir avec le type de mobilisation militante et politique que requiert une véritable lutte pour la défense des services publics et des emplois. Les syndicats ont toujours maintenu que la grève ne servait qu’à faire pression sur le gouvernement pour une entente «négociée» – c’est-à-dire l’imposition des coupures avec la collaboration des dirigeants syndicaux.

Ces derniers ont démontré leur «bonne foi» au gouvernement en annulant de manière arbitraire les trois journées de grève à l'échelle provinciale qui étaient initialement prévues du 1er au 3 décembre. Et bien que certains syndicats ont commencé à évoquer la possibilité d’une loi spéciale, les dirigeants du Front commun gardent un silence coupable depuis des mois sur cette menace omniprésente parce qu’ils espèrent l’utiliser pour acculer leurs membres au pied du mur et les forcer à accepter une entente pourrie.

Au même moment, la bureaucratie syndicale sème la division parmi les travailleurs. La FAE (Fédération autonome de l'enseignement) et la FIQ (Fédération interprofessionnelle de la santé) n'ont pas rejoint le Front commun et recherchent une entente séparée avec le gouvernement. Au sein du Front commun, chaque syndicat demande que son propre secteur soit épargné des coupes budgétaires sans remettre en question l'ensemble du programme d'austérité appliqué par les libéraux de Couillard, les autres paliers de gouvernement au Canada, et les dirigeants politiques à travers le monde. 

Des travailleurs du Front commun et de la Fédération autonome de l’enseignement ont convergé en masse au Centre-ville de Montréal

Les chefs syndicaux sèment surtout le poison du nationalisme en présentant la guerre de classe menée par l'élite dirigeante québécoise et canadienne comme une attaque sur le «modèle québécois». Le modèle en question est la collaboration intime entre gouvernement, patronat et syndicats qui sert à étrangler les luttes ouvrière et sociales afin d'enrichir une petite élite économique en condamnant le plus grand nombre au chômage, à la précarité et à la pauvreté.

Des sympathisants du World Socialist Web Site sont intervenus au cours des dernières journées de grève pour recueillir des entrevues auprès des travailleurs et fournir une nouvelle perspective politique à leur lutte. Ils ont distribué des centaines de copies d’un pamphlet qui expliquait entre autres les causes objectives de la capitulation des syndicats. En voici un passage:

«Le rôle traître des chefs syndicaux est le fruit d’une orientation nationaliste et pro-capitaliste qu’ils maintiennent depuis des décennies et sur la base de laquelle ils ont saboté une lutte ouvrière après l’autre, au nom de la "paix sociale".

«Leur hostilité à un véritable mouvement anti-austérité a été démontrée lors de la grève étudiante de 2012 lorsqu'ils ont isolé les étudiants grévistes pour ensuite détourner leur lutte derrière l'élection du Parti québécois qui, une fois au pouvoir, a poursuivi les mesures d'austérité et attisé le chauvinisme anti-musulman.

«Les bureaucrates syndicaux sont grassement récompensés pour ces services rendus à la classe dirigeante. Ils siègent sur des comités tripartites (syndicat-gouvernement-patronat) et contrôlent de riches fonds d’investissement et de capital de risque, tels que le Fonds de solidarité de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ)».

* * *

Deux enseignants de Montréal, qui ont voulu demeurer anonymes, ont expliqué ce qui les amenait à manifester: «Nos conditions se détériorent d’année en année. On veut nous imposer de plus grosses classes, moins de services aux élèves, plus d’enfants en difficulté dans les classes. Au niveau des salaires, ça fait des années qu’on a pas eu d’augmentation. On s’appauvrit sans cesse, ce qui n’est pas logique dans une société où le coût de la vie augmente.»

Ils ont ensuite indiqué qu’il y a une tentative de réduire les services scolaires pour les transférer au secteur privé: «Le gouvernement veut privatiser l’aide aux enfants en difficulté. C’est comme les soins de santé, si tu as de l’argent tu auras le droit d’avoir des services».

Après que les reporters du WSWS ont souligné que les six plus grandes banques canadiennes ont fait des profits de 35 milliards l’an dernier, les enseignants se sont indignés: «On sait qu’il y a de l’argent quelque part, c’est inacceptable que le gouvernement veuille couper en éducation et dans la jeunesse».

David, un enseignant du primaire et son collègue ont aussi donné leur impression des mesures qui prennent place. «Le gouvernement veut couper l’avenir aux enfants. La privatisation est son but ultime. Il dit on va couper dans les dépenses, on va privatiser, les services vont se donner quand même mais ça ne sera pas à la charge du gouvernement». Il a ajouté que «le gouvernement vient appauvrir la classe ouvrière et favorise les plus nantis. Les PDG des grandes entreprises et les ministres, qui se votent des augmentations de salaires, eux s’en mettent plein les poches. Ils n’ont que faire de l’école publique, ils envoient leurs enfants dans les écoles privées qui sont subventionnées massivement. Ça démontre toute cette ironie, c’est le monde à l’envers». 

David, à droite, et son collègue

Nicolas un enseignant d’histoire à temps partiel s’est aussi entretenu avec le WSWS. «Les compressions vont toucher non seulement les employés de l’État, mais l’ensemble des citoyens, y compris les enfants de la population. On ne peut plus tolérer qu’on fasse des économies sur le dos des prochaines générations.

«L’impact des compressions va augmenter la précarité d’emploi qui est déjà très importante. On dresse souvent le portrait des enseignants qui sont permanents avec 2 mois de vacances par année. Ça fait 2 ans et demi que je travaille à temps partiel. Avant ça j’ai fait 4 stages non rémunérés, et comme plusieurs autres enseignants précaires, j’ai un autre emploi et je travaille 7 jours semaine. Mon deuxième emploi de plongeur me permet d’exercer ma passion, qui est celle d’enseigner. Mais soyons honnêtes, ma demi-tâche d’enseignement me donne 222 dollars nets par semaine. J’adore mon métier, toutefois le gouvernement fait en sorte qu’il est de plus en plus difficile de s’accrocher à ce métier».

Questionné sur les implications de défier un décret, Nicolas a affirmé: «Je pense que la lutte devrait être élargie pour que tous les citoyens soient impliqués».

Julie, Catherine, Mylène, et Nawal, des enseignantes du primaire ont exprimé leur colère face aux coupures libérales. Julie a dit que «l’argument du gouvernement c’est qu’il n’y a pas d’argent, mais comme on le voit avec Bombardier [qui a reçu une subvention de $1,3 milliard ], il y en a, de l’argent. C’est une question de priorité».

Catherine voyait de son côté que l’austérité n’était pas limitée à la province de Québec: «Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable, on n’est pas les seuls à faire face à l’austérité quand on regarde partout dans le monde».

Questionnée sur la possibilité d’une loi spéciale, Nawal a répondu que «si on se fie par le passé, oui c’est possible. Des lois spéciales ont déjà été mises en place justement pour provoquer l’arrêt des mouvements de grève. En 1982, le gouvernement Lévesque a renvoyé tous les enseignants au travail avec une coupure salariale de 20%. Si on est préparé à défier les lois, non, on subit, on suit le mouvement. Ça impliquerait des grands sacrifices, mais surtout une grande solidarité.»

Lorsque les reporters ont mentionné que la stratégie de compromis des syndicats était liée à leur intégration dans le système capitaliste, Catherine a dit avec aplomb: «le syndicat c’est un business».

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