Pegida et le tournant à droite de la politique allemande

Le mouvement droitier « Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident » (Pegida) a été depuis le début et dans une large mesure un produit des partis de l’establishment et des médias. A présent, les responsables du gouvernement utilisent la mobilisation de ces bandes d’extrême-droite pour arranger un tournant vers la droite de toute la politique et pour appliquer un programme extrêmement réactionnaire.

Dans l’actuel numéro de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, l’ancien ministre de l’Intérieur et actuel vice-président de la fraction parlementaire de la CDU-CSU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne/Union chrétienne-sociale) Hans-Peter Friedrich (CSU), défend les manifestants de droite et appelle à adopter leur programme.

Il dit d’abord que c’est « le souhait des gens de vouloir une identité culturelle » qui serait à l’origine des manifestations racistes. Selon lui, les participants soulèvent des « questions légitimes » et il affirme que « dans le passé nous avons traité avec beaucoup trop de légèreté la question d’identité de notre peuple et de notre nation. »

Il accuse la chancelière allemande Angela Merkel (CDU) de « nager avec le courant des sondages d’opinion de la presse dominante, influencés par les ambiances » et de négliger les valeurs conservatrices. Pour cette raison, le parti droitier anti-européen Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD) deviendra un « danger mortel » pour la CDU/CSU.

Dans le but d’empêcher une « opposition extra-parlementaire émanant de la droite, » la CDU/CSU conservatrice doit reprendre les thèmes soulevés par Pegida et l’AfD. Friedrich lie sa défense de Pegida à l’exigence d’une politique « proche des milieux économiques. » Il réclame la « protection de la propriété » et s’oppose à un salaire minimum et au contrôle des loyers.

Friedrich bénéficie du soutien de l’expert en questions intérieures de la CDU, Wolfgang Bosbach, qui a dit au journal berlinois Tagesspiegel: « Si un nouveau parti de centre-droit s’établissait, ce serait un défi pour l’Union. » Le chef de l’aile de la CSU représentant les intérêts de la petite et moyenne entreprise, Hans Michel Bach, a exigé lui, que la CDU/CSU « devait garantir que le camp de la bourgeoisie ne soit pas divisé. Une telle scission ne profiterait qu’à la gauche politique. »

La CDU en Saxe, qui entretient des liens étroits avec l’extrême-droite, a annoncé vouloir mettre en œuvre les revendications de Pegida. « Nous voulons donner une évaluation honnête des échecs qui existent, » a dit l’actuel secrétaire général de la CDU en Saxe, Michael Kretschmer.

Il a annoncé que la CDU chercherait à accélérer la procédure d’examen des demandes d’asile afin de garantir une déportation plus rapide des demandeurs. Les réfugiés devaient « redoubler leurs efforts d’intégration, » a dit Kretschmer.

L’idée maîtresse de cette campagne xénophobe a été rendue évidente lundi dans le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) par l’économiste et le directeur de l’Institut de conjoncture de Munich Ifo, Hans Werner Sinn. Dans un jeu de chiffres cynique, il a tenté de prouver que l’immigration coûtait au gouvernement allemand plus que les immigrants ne rapportaient à la société. A son avis, ce qu’il fallait c’était « un débat non idéologique sur la politique d’immigration et [un] qui ne soit pas motivé par le souci du politiquement correct. »

Sinn met au centre du débat le démantèlement de l’Etat social, le qualifiant d’« aimant pour les travailleurs peu qualifiés ». Il propose de « restreindre le principe d’inclusion, l’accès des immigrants aux prestations de l’Etat social ». Il propose à cette fin un modèle en vertu duquel les immigrés peuvent être expulsés s’ils n’ont pas trouvé d’emploi dans les six mois. De plus, ils ne devraient pas percevoir de prestations telles que des exonérations d’impôts ou des allocations familiales durant les quatre premières années de leur séjour.

Le programme formulé par Sinn ne vise pas seulement les immigrants mais tous les travailleurs en Allemagne. Il ferait des immigrants des esclaves sans droits, contraints d’accepter tout emploi quelles qu’en soient les conditions afin d’échapper à la déportation. Cette armée d’esclaves serait alors utilisée pour détruire les conditions de travail de tous les travailleurs et pour miner davantage encore les prestations sociales.

Les remarques faites par Friedrich, Bosbach et Sinn montrent clairement ce qui est en jeu avec Pegida. Ce mouvement n’est pas l’expression spontanée de sentiments largement répandus, mais le produit d’une mobilisation consciente de la lie fasciste de la société. Les premières petites manifestations hebdomadaires de Pegida n’ont pas seulement reçu beaucoup d’attention des médias mais aussi beaucoup de soutien de la part de représentants de tous les partis siégeant au parlement.

Depuis le ministre-président du Land de Thuringe, Bodo Ramelow, du parti La Gauche (Die Linke) jusqu’au patron de la CSU Horst Seehofer tous ont indiqué leur volonté politique de dialoguer avec les protestataires. La presse écrite et les chaînes de télévision ont ressassé les remèdes de charlatans de Pegida.

Le battage médiatique et les manifestations orchestrées servent actuellement à faire passer en force une politique profondément réactionnaire. Il n’est pas simplement question de détruire l’Etat social en Allemagne, et partout en Europe, comme l’exige Sinn, mais aussi de remilitariser la politique étrangère allemande. Voilà un bon moment que les positions anti-immigration de Pegida vont de pair avec une forme extrême d’anti-américanisme et avec l’exigence que l’Allemagne joue un rôle indépendant dans les affaires mondiales.

En dépit d’une propagande médiatique continue, la vaste majorité de la population allemande rejette les missions de combat de la Bundeswehr (l’armée allemande) à l’étranger. La campagne de Pegida sert à mobiliser des couches droitières et arriérées dans le but d’intimider cette opposition. Comme dans le passé, le retour du militarisme allemand va de pair avec une résurgence du nationalisme et du chauvinisme. Après avoir collaboré en Ukraine avec les fascistes de Svoboda, l’élite allemande se tourne maintenant vers la tourbe fasciste pour imposer ses objectifs.

La vaste majorité de la population rejette les défilés de l’extrême-droite où les représentants de l’AfD défilent aux côtés de nombreux fonctionnaires du NPD fasciste (Parti national démocrate allemand). Les contre-manifestations attirent régulièrement un nombre substantiellement plus grand de participants que n’en rassemble Pediga.

Juste avant Noël, le site web change.org a mis en ligne une pétition intitulée « Pour une Allemagne colorée – un million de signatures contre Pegida ! » En l’espace de quelques jours, elle avait recueilli plus de 254.000 signatures.

(Article original paru le 3 janvier 2015)

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