Les forces de l'ordre attaquent la grève des marins et les migrants à Calais

La suppression violente de la grève des marins de MyFerryLink hier à Calais a déclenché une escalade diplomatique entre Londres et les autorités françaises à propos des 3.000 migrants détenus de force dans un camp insalubre aux abords de la ville et qui veulent se rendre au Royaume-Uni. 

Des centaines de travailleurs de MyFerryLink s'étaient mobilisés hier matin contre la menace du transfert par la société Eurotunnel de deux de leurs trois bateaux vers leur concurrent danois, DFDS. Ceci fait craindre la perte de 480 des 600 emplois que compte la société. Les marins grévistes ont bloqué le port de Calais, les voies ferroviaires de l'Eurostar et le tunnel sous la Manche, ainsi que les autoroutes A16 et A25. 

La préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, a lancé l'intervention de l'Etat pour reprendre le contrôle de la ville et écraser la mobilisation vers 10h30. Les forces de l'ordre, nombreuses à Calais en raison de l'important dispositif de surveillance dirigé contre les 3.000 migrants, s'en sont violemment pris aux marins. 

Une vidéo en ligne montre les CRS qui aspergent de gaz poivré un groupe de marins assis sur une autoroute, qui chantent La Marseillaise

Les accrochages entre les marins et CRS à travers la ville ont fait au moins deux blessés qui ont dû être hospitalisés parmi les grévistes. Une cinquantaine de CRS ont dispersé 200 manifestants sur les voies de l'Eurostar, à mi-chemin entre la gare Eurostar de Fréthun et la sortie du tunnel sous la Manche, en tirant des bombes lacrymogènes. 

Certains migrants ont tenté de profiter du relâchement de la surveillance par les forces de l'ordre, alors déployées contre les marins, pour se glisser dans des camions en route vers le Royaume-Uni et pris dans les embouteillages. 

Les CRS, qui procèdent régulièrement à des interpellations violentes des migrants de Calais, sont ensuite intervenus pour fouiller les camions et arrêter les migrants qui s'y étaient cachés. 

L'explosion sociale à Calais a soulevé les tensions grandissantes entre le Royaume-Uni et la France à propos du traitement des migrants piégés à Calais. 

Le ministère des Affaires Etrangères du Royaume-Uni (FCO) a publié un avertissement aux citoyens britanniques en France, brandissant la menace du «terrorisme» lié à l'Etat islamique. Selon le FCO: «De nombreux migrants illégaux autour de Calais pourraient tenter de rentrer illégalement au Royaume-Uni. La police locale renforce ses patrouilles, mais il faut garder fermées les portes des véhicules roulant à basse vitesse et sécuriser son véhicule quand il n'est pas surveillé». 

Déjà lundi, Natacha Bouchart, maire Les Républicains de Calais, était passée sur France Inter pour demander à Paris d'organiser un «incident diplomatique» avec Londres afin de forcer les autorités britanniques à aider Calais à composer avec l'afflux des migrants. «La Grande-Bretagne n'est pas honorée de faire partie de l'Europe, elle ne donne pas un sou» pour aider à accueillir les migrants, a-t-elle dit. 

Bouchart s'était également plainte que l'Etat français n'ait pas aidé Calais à améliorer les conditions d'accueil, afin d'éviter un revirement plus large de l'opinion en faveur des immigrés: «On aurait dû installer très vite des tentes humanitaires. Quand j'ai interrogé le ministère de l'Intérieur, on m'a dit, il ne faut pas que ce soit un appel d'air». 

L'ambassadeur britannique en France, Sir Peter Ricketts, a répondu à Bouchart hier dans les pages de la Voix du Nord. «Nous avons mis 15 millions d'euros sur la table pour améliorer la sécurité et la fluidité du port, avec l'installation des barrières», a-t-il dit. Pourtant, pressé sur une éventuelle contribution britannique à l'entretien du camp de détention des immigrés, il a répondu: «nous travaillons de très près avec les autorités locales, mais la sécurité dans la ville reste la responsabilité des autorités françaises». 

Le maire adjoint de Calais, Philippe Mignonet, a de son côté appelé à repousser la frontière britannique de l'autre côté du tunnel sous la Manche, pour que l'afflux des migrants se concentre sur le sol britannique, non pas à Calais. 

Le conflit social à Calais et la persécution des migrants par les autorités françaises et britanniques représentent en microcosme les tensions internes qui déchirent le capitalisme européen. Face à l'intensification de la crise économique et de l'oppression des travailleurs, immigrés et français, la bourgeoisie ne trouve d'autre solution que de stimuler le nationalisme et renforcer les forces de l'ordre. Celles-ci sont dirigées d'abord contre les migrants, mais lors d'un conflit social sérieux, elle seront mobilisées contre l'ensemble de la classe ouvrière. 

Les migrants de Calais sont les victimes de l'entrave réactionnaire à la liberté de mouvement que représentent la loi britannique et les lois qui régissent la zone Schengen. Forcés depuis des mois ou des années à rester dans des tentes sans toilettes ou chauffage, ils fuient des pays d'Afrique et du Moyen-Orient dévastés par les guerres et les régimes fantoches imposés par les puissances impérialistes. 

Si l'Etat français vient de débloquer un demi-million d'euros pour construire certaines infrastructures sanitaires sur le camp où ils résident, c’est en partie à cause des inquiétudes des autorités policières françaises. Au moins deux cas de tuberculose ont été recensés parmi les CRS chargés d'assurer la répression des migrants. Entretemps, ces derniers sont toujours emprisonnés dans un camp, sans perspective d'avenir à part tenter d'échapper aux forces de l'ordre françaises pour arriver finalement au Royaume-Uni. 

Quant aux marins, l'action de la préfète Buccio souligne que l'Etat ne tolérera aucune action de la classe ouvrière qui remette en cause la politique d'austérité salariale et de destruction d'emplois menée contre elle par le patronat, le gouvernement PS et l'Union européenne. 

Secouée par la crise capitaliste mondiale et vivant dans la crainte constante de mouvements ouvriers à travers l'Europe, avec en avant-goût la grève des aiguilleurs du ciel en France et la récente manifestation de masse contre l'austérité au Royaume-Uni, la bourgeoisie européenne se tourne de plus en plus vers la répression. 

Mais elle dépend avant tout des chefs syndicaux et de leurs alliés politiques, tous liés au PS, pour étouffer la colère ouvrière montante, comme ils l’ont fait en isolant le mouvement des marins de Calais. L’opposition à l’austérité capitaliste et à la persécution des réfugiés est avant tout une lutte politique, qui mène inévitablement à un affrontement avec l'Etat. Une telle lutte demande une mobilisation politique indépendante des travailleurs et une rupture avec les appareils syndicaux pro-capitalistes.

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