L'USA Freedom Act : un cache-sexe pour l’espionnage illégal

Après le passage par le Sénat de la Loi sur la liberté (USA Freedom Act), signé par Président Obama mardi soir, les médias officiels américains insistent à tue-tête que cette loi est une tentative majeure de freiner la surveillance de masse de la National Security Agency (Agence de sécurité nationale), la plus importante composante du vaste appareil de renseignement américain.

En fait, le projet de loi, qui a reçu l’aval de l’Administration Obama et des criminels de guerre tels que directeur de la CIA, John Brennan, n’est pas un effort pour limiter les vastes activités illégales des renseignements américains, mais de s'assurer que ces activités pourront continuer sur une base pseudo-juridique explicitement approuvée par le Congrès.

Obama a interdit la poursuite des agents de la CIA qui ont pratiqué la torture, ou des responsables de l’Administration Bush qui ont envahi Irak sur la base de mensonges. Il ne compte pas non plus demander de comptes pour plus d’une décennie d’espionnage illégal du peuple américain. Au contraire, la surveillance de masse des télécommunications et de l’Internet, dirigée contre les droits démocratiques de toute la population du globe, va s’intensifier.

La loi ne fait qu’une importante modification, en fait symbolique, dans les centaines de programmes d’espionnage dirigés contre le peuple américain : transférer la responsabilité de la conservation des métadonnées de téléphone de la NSA vers les entreprises de télécommunication. Ces entreprises sont tenues d'exécuter des requêtes de la NSA sur leurs bases de données sur ordre du tribunal de la FISA, une simple chambre d’enregistrement de longue date pour les services de sécurité américains.

Financial Times fait observer que la loi est « un changement beaucoup moins important dans le fonctionnement des services de renseignement » que ne suggèrerait la fureur politique qui l’entoure. « La réforme de la législation de surveillance laisse aux renseignements américains des pouvoirs juridiques et des outils de collecte des données en ligne redoutables, » poursuit le FT, selon lequel les agences de renseignement voulaient une réforme en surface pour limiter l'opposition publique suite aux révélations d’Edward Snowden sur l’espionnage massif et inconstitutionnel qu'ils mènent. 

Les médias américains, par contre, traitent cette loi de tournant historique qui renverse la montée des pouvoirs sécuritaires de l'Etat suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001.

Le Washington Post titrait « L’action du Congrès sur la NSA est un jalon dans le monde post-9/11. » Le Wall Street Journal titrait « Le Congrès freine les pouvoirs d’espionnage de la NSA » et écrivait que « le Sénat a voté pour limiter la collecte de millions de traces d’appels téléphoniques, le premier recul significatif des pouvoirs d’espionnage de l'Etat depuis les attaques du 9/11. »

La présentation la plus exagérée et la plus dithyrambique de la loi était celle du New York Times, le quotidien libéral de référence et partisan servile de l’Administration Obama. Son article, intitulé « La surveillance des États-Unis en vigueur depuis 9/11 est fortement limitée », passe sous silence le fait que cette loi ne touche que l’une des centaines d'opérations de surveillance de la NSA.

Selon son analyse, « La législation marque un tournant culturel de la nation, près de 14 ans après que les attentats du 11 septembre aient annoncé la construction d’un puissant appareil de sécurité nationale. Le revirement contre l’état sécuritaire a commencé avec les révélations par Edward J. Snowden, un ancien contractant de la NSA, sur la collecte en vrac des données téléphoniques. Le contrecoup s'est nourri du développement des réseaux de communication interconnectés gérés par des entreprises qui se sont senties malmenées par la curiosité du gouvernement. »

Ce n'est qu'une masse de falsifications et de distorsions. D’abord, le « puissant appareil de sécurité nationale » existait bien avant le 11 septembre 2001 ; en fait, de nombreuses questions troublantes demeurent quant au rôle de la CIA, de la NSA et du FBI, qui auraient rendu possible et même facilité directement ces attaques, permettant à Washington d’engager un programme d’agressions militaires prévu longtemps à l'avance, dont les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak.

Le« revirement contre l’état sécuritaire » suite aux révélations de Snowden s'est opéré dans la population, non pas dans les politiques du Congrès ou de la Maison Blanche, qui ont tous deux défendu l’appareil de renseignement et exigé l’arrestation et la poursuite de Snowden pour trahison. Par ailleurs, Snowden a révélé bien plus que la collecte en vrac des données téléphoniques. Il a publié des dizaines de milliers de documents sur une myriade de programmes d’espionnage illégaux de la NSA, qui visent à la fois la population américaine et le monde entier.

Les entreprises américaines n'ont pas non plus joué un rôle significatif dans l’opposition à l’espionnage par l'Etat. Au contraire, les révélations de Snowden ont démasqué la collaboration par Google, Microsoft et d’autres géants de la Silicon Valley, et de l’industrie des télécommunications tout entière, à la construction d'un appareil d'Etat policier américain.

L’article du New York Times cite l'aveu par la NSA que la collecte des métadonnées de téléphone n’a pas contribué à empêcher même une seule attaque terroriste. Mais il ne pose pas la question la plus évidente : si le programme visant les métadonnées téléphoniques n’a jamais servi contre le terrorisme, pourquoi la NSA, la CIA, l’Administration Obama et le Congrès le défendent-ils si catégoriquement, insistant seulement sur les modifications nécessaires pour donner l’illusion d’une « réforme » ? À quelle fin le gouvernement utilise-t-il vraiment ces données ?

La seule réponse politiquement sérieuse est que le gouvernement américain crée une vaste base de données sur les opinions et les liens politiques et sociaux et du peuple américain, qui servira à orienter la répression quand un mouvement de masse éclatera d’en bas contre le capitalisme.

Ces efforts n’ont pas connu même une seule journée d'interruption, ni avec la « fermeture » supposée de la collecte des métadonnées téléphoniques le 31 mai, ni avec le transfert prévu du programme de la NSA vers les entreprises de télécommunications d'ici six mois. L’appareil sécuritaire des USA, de loin le plus grand et le plus puissant au monde, constitue la principale menace qui pèse sur les droits démocratiques du peuple américain. Aucune propagande médiatique charriant des illusions sur la « réforme de la NSA » ne masquera indéfiniment cette réalité.

Il y a, malheureusement, des indications qu'Edward Snowden pourrait faire partie de ceux qui se sont laissé bercer par l'illusion d'une « réforme » de la surveillance. Il a participé à une conférence d’Amnesty International à Londres mardi dernier, avant le vote final du Sénat, parlant par liaison vidéo depuis la Russie, où il est exilé. Evoquant cette loi, il a dit, « C'est un événement significatif, important et même historique qu'on s'y oppose et que non seulement les tribunaux, mais le Congrès aussi et le président lui-même disent que cette surveillance de masse doit cesser. »

Snowden est dangereusement naïf, induit en erreur par ses associés dans des groupes tels qu'Amnesty, le journal The Guardian, et l’ACLU, dont la vision politique libérale est imprégnée d’illusions dans les prétentions démocratiques de l’impérialisme américain, et en particulier dans le Parti démocrate et l'Administration Obama. Malgré le courage dont il a fait preuve en dénonçant l’ampleur de l’espionnage de la NSA, et la menace permanente sur sa propre sécurité physique, Snowden traite les manœuvres de Washington d'une manière complètement crédule.

Il fait valoir que « Pour la première fois dans l’Histoire récente, nous avons constaté que malgré les prétentions du gouvernement, le public a pris la décision finale et c'est un changement radical que nous devons saisir, apprécier et pousser plus loin ». Le cours réel des événements est bien différent. Le « public » a été entièrement exclu de cette décision. L’appareil militaire et du renseignement a tranché. L’Administration Obama et le Congrès étaient aux ordres. La loi sur la liberté aux États-Unis, comme le Patriot Act auparavant, sert les intérêts de l’État policier américain émergeant.

Snowden a réagi avec dégoût à l’espionnage massif de la NSA, avec des convictions démocratiques sincères. Mais le développement d’un état de surveillance n’est pas le simple produit de la paranoïa post-9/11, ou de la volonté de puissance de certains politiciens, généraux et chefs du renseignement. La croissance d’un appareil d'Etat policier découle organiquement, pour ainsi dire, de l'extrême inégalité sociale qui caractérise la société américaine, et des guerres sans fin. L’appareil militaire et des renseignements n'est pas la cause, mais une manifestation empoisonnée, d’une crise profonde et historique du capitalisme américain.

Quels que soient les gestes d'Obama envers les libertés civiles — alors qu’il continue les assassinats par drones, Guantanamo, et toute la panoplie du militarisme américain — la classe dirigeante dont il est le serviteur n’a pas l’intention de réduire les pouvoirs répressifs de la machine d’État qui existe pour défendre sa propriété et ses richesses.

Il y a là une profonde leçon politique. Des individus courageux comme Snowden et des organisations comme WikiLeaks peuvent faire des révélations importantes. Mais seule la classe ouvrière, aux États-Unis et à l’étranger, peut mettre un terme aux attaques contre les droits démocratiques. Cela exige la construction d’un mouvement révolutionnaire de masse, basé sur un programme socialiste et internationaliste, et voué à la défense des droits sociaux et démocratiques des travailleurs.

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