Le Canada augmente sa participation aux opérations militaires stratégiques de Washington

La visite en Ukraine du ministre canadien de la Défense Jason Kenney les 26 et 27 juin derniers n'est que la dernière d’une série d’initiatives qui montrent à quel point Ottawa est intégré aux offensives militaires stratégiques de l'impérialisme américain contre la Russie, la Chine et au Moyen-Orient.

En plus de réaffirmer le soutien indéfectible du Canada au régime pro-occidental de Kiev, le voyage de Kenney visait à éliminer les obstacles juridiques au déploiement de 200 soldats canadiens dans l'ouest du pays, où ils vont coopérer avec les forces américaines et britanniques pour entrainer des unités de l'Armée ukrainienne et le personnel de la Garde nationale. Beaucoup de recrues de cette organisation viennent de partis ultranationalistes comme Svoboda et le Secteur de droite néofascistes, qui ont mené le coup d'État orchestré par les États-Unis en février 2014 pour renverser le président élu de l'Ukraine et installer un régime pro-occidental à Kiev.

Le Canada joue un rôle de premier plan dans la poussée américaine visant à attacher l'Ukraine à l'impérialisme occidental afin de menacer et encercler la Russie. Harper a été le premier dirigeant étranger à visiter Kiev après le coup d'État de 2014, et à maintes reprises, que ce soit aux réunions du G-7 ou sur d'autres forums, il s’est associé au président américain Barack Obama pour inciter les Européens à prendre une position plus agressive contre la Russie.

Lors de sa dernière visite à Kiev au début de juin, Harper était accompagné de représentants du Congrès des Ukrainiens Canadiens qui joue un rôle important dans la fourniture de matériel militaire à l'Armée ukrainienne et aux milices de volontaires ultranationalistes. Harper a ensuite passé 20 heures sur la Baltique à bord du NCSM Fredericton, une frégate de la Marine royale canadienne qui participait à des exercices navals visant la Russie.

Soulignant l'intégration étroite des forces armées canadiennes et américaines, Kenney a révélé que les instructeurs de l'Armée canadienne déployés en Ukraine vont partager des installations avec leurs homologues américains.

Kenney a visité Kiev après avoir assisté au sommet des ministres de la Défense de l'OTAN à Bruxelles, principalement consacré à discuter de l'expansion des forces de l'OTAN, du déploiement d'armement et de la conduite d'opérations dans les États d'Europe orientale bordant la Russie. Lorsque les plans d'expansion de la nouvelle force de réaction rapide de l'Alliance atlantique ont été discutés, Kenney a dit que le Canada était prêt à contribuer des avions espions de l'Aviation royale canadienne, un avitailleur et du transport aérien.

Il a également promis que le Canada contribuerait 1.650 militaires pour un exercice militaire de l'OTAN prévu plus tard cette année en Italie, en Espagne et au Portugal. Cet exercice est annoncé comme le plus important de l'OTAN depuis la fin de la Guerre froide.

Avant la réunion de Bruxelles, Ottawa avait déjà signalé qu’il était prêt à fournir des officiers pour occuper des postes aux six centres de commandement de l'OTAN à être créés en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie.

Le gouvernement conservateur en a rajouté le 30 juin en annonçant de nouvelles sanctions contre la Russie, ajoutant à sa liste déjà longue de restrictions l'interdiction d’importer des produits de la Crimée ou de faire affaire avec le géant de l'énergie Gazprom.

Le rôle de premier plan que joue le Canada dans la campagne américaine contre la Russie est un signe de la transformation qu’a subie la politique étrangère canadienne au cours des deux dernières décennies. Sous des gouvernements libéraux et conservateurs successifs, le Canada a joué un rôle majeur dans une série d’interventions militaires des États-Unis, à commencer par le bombardement de la Yougoslavie en 1999 et l'occupation de l'Afghanistan, sans oublier le renversement du président élu d'Haïti Jean-Bertrand Aristide, la guerre de l'OTAN de 2011 pour un «changement de régime» en Libye et la guerre actuelle en Irak et en Syrie.

Toutes ces interventions impérialistes ont bénéficié de l'appui quasi unanime de l'élite dirigeante canadienne et de ses partis, y compris du Nouveau Parti démocratique (NPD) soutenu par les syndicats.

Le NPD s'est fait remarquer par son soutien à la position anti-russe du gouvernement Harper, et même s’il prétend être contre la mission de combat canadienne actuelle au Moyen-Orient, le parti soutient les objectifs de la guerre – la consolidation de la domination américaine sur la plus importante région exportatrice de pétrole dans le monde – et l'utilisation des Forces armées canadiennes (FAC) pour aider à armer les forces soutenues par Washington dans la région.

Des représentants militaires ukrainiens ont reconnu lors de la visite Kenney que l'une des principales raisons de leur intérêt pour l'instruction militaire canadienne était l'expérience acquise par les FAC au cours de leurs douze années passées en Afghanistan. Selon la Presse canadienne, les généraux ukrainiens ont admis en privé que l'expertise des FAC à désamorcer des engins explosifs dissimulés en bordure de route était inestimable.

Le premier ministre Harper a utilisé son discours prononcé le 1er juillet sur la colline parlementaire à l’occasion de la fête du Canada pour promouvoir le militarisme. Reprenant sa rengaine favorite, il a salué les membres des Forces armées en tant que défenseurs et garants des valeurs canadiennes. Il a dit à la foule rassemblée: «Dans la mer baltique et en Europe de l'est, ils soutiennent nos amis et alliés agressés par la Russie. En Irak et au Koweït, ils combattent les terroristes là-bas pour que nous soyons en sécurité ici.»

Ces remarques ont été faites peu après que l'Aviation royale canadienne ait passé la barre des 1.000 sorties dans le cadre de la guerre en Syrie et en Irak. Ces sorties comptent plus d'une centaine de missions de bombardement effectuées par des chasseurs CF-18. Kenney a salué ce nombre sur un ton fanfaron en conférence de presse, déclarant que cela prouve «à nouveau la capacité des Forces armées canadiennes à se battre aux côtés de leurs alliés et à affaiblir la capacité de l'EIIS [État islamique en Iraq et en Syrie] à mener des opérations dans la région».

La guerre saluée dans des termes si élogieux par Harper et Kenney produit en réalité une catastrophe sociale et politique, les États-Unis envisageant aujourd’hui une partition de l'Irak selon des lignes ethniques et communales. Quelques jours seulement après sa conférence de presse, Kenney a été forcé sur les ondes de l'émission «Question Period» de la CBC de nier les rumeurs selon lesquelles le Canada allait emboiter le pas aux États-Unis et déployer encore plus d'instructeurs militaires en Irak pour renforcer l'armée décrépite de Bagdad.

Dans son budget en avril, le gouvernement conservateur a annoncé une forte augmentation des dépenses militaires, y compris un montant additionnel de 390 millions de dollars pour l'exercice financier en cours. Le gros de cette somme, soit 360 millions, est allé au financement des opérations des FAC en Syrie et en Irak.

Le budget a également annoncé une brusque augmentation des dépenses militaires de deux à trois pour cent par année à compter de 2017. Cela se traduira par 11 milliards de dollars de plus en dépenses militaires au cours de la prochaine décennie, le budget de 2026 ayant 2,3 milliards de dollars de plus en dépenses que ce qui avait été prévu par le passé. En 2011, le gouvernement avait déjà continué l'expansion des dépenses militaires commencée par l'ancien gouvernement libéral alors que celles-ci avaient déjà atteint leur plus haut niveau en termes réels depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Alors que la dernière augmentation des dépenses militaires a été en partie conçue pour faire en sorte que le Canada respecte la directive de l'OTAN demandant que les États membres allouent au moins deux pour cent de leur PIB de prévu à leurs forces armées, l'expansion des Forces armées canadiennes est avant tout motivée par la détermination d'Ottawa que le Canada continue à servir comme l'un des principaux alliés militaires de Washington.

Dans un contexte où la domination mondiale des États-Unis est menacée en raison de leur déclin économique relatif et la montée de nouvelles puissances, l'élite dirigeante canadienne calcule qu'elle peut mieux faire valoir ses propres intérêts impérialistes en renforçant son partenariat avec Washington et Wall Street.

En Asie, où les tensions ont fortement augmenté ces derniers mois en raison des provocations des États-Unis et de leurs alliés régionaux en mer de Chine méridionale, Ottawa participe activement aux poussées agressives de Washington afin d'isoler et de cibler la Chine. À la fin de 2013, le gouvernement conservateur a conclu un accord secret avec l'armée américaine, le Cadre de coopération en matière de politique de défense en Asie-Pacifique, qui détaille la collaboration à venir entre les forces armées américaines et canadiennes dans la région. Le Canada fait également des démarches pour établir de nouvelles bases militaires à des endroits stratégiques, notamment à Singapour et en Corée du Sud.

Ce programme militaro-stratégique axé contre la Chine est couplé à la participation du Canada au Partenariat transpacifique (PTP) – un bloc économique dominé par les États-Unis et dont la Chine est exclue – que Washington veut utiliser pour dicter les règles en matière de commerce et d'investissement dans la région Asie-Pacifique.

Le mois dernier, Harper a profité d'une apparition publique à Québec pour réitérer l'importance de la participation du Canada au PTP. Faisant écho à la ligne de l'administration Obama, Harper a déclaré: «Je crois que ces négociations vont établir ce qui va devenir la base du réseau commercial international dans la région Asie-Pacifique. Il est essentiel à mon avis que le Canada en fasse partie – que l'économie canadienne en fasse partie.»

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