Les banques d'État chinoises engagent 200 milliards de dollars pour endiguer la chute des marchés

La réelle ampleur de l’intervention du gouvernement chinois pour arrêter la chute du marché boursier est apparue la semaine dernière grâce à des chiffres montrant que les grandes banques de l’État ont mis à disposition plus de 200 milliards de dollars pour stimuler le cours des actions. 

L’intervention, organisée par la société Chinese Securities Finance (CSF), a enrayé une chute des marchés d’actions qui a vu l’indice composite de Shanghai perdre 30 pour cent entre le 12 juin et le 9 juillet, effaçant plus de 3.000 milliards de dollars de capitalisations boursières des actions chinoises. Les marchés ont rebondi depuis grimpant de 17 pour cent ces deux dernières semaines. Mais rien n’affirme que cette reprise soit durable.

L’intervention massive des banques faisait partie d’un ensemble de mesures du gouvernement et des autorités financières pour arrêter un plongeon qui menaçait la stabilité économique et politique. D’autres mesures prévues étaient le retrait des grandes sociétés du négoce des actions; des enquêtes de police sur les ventes « malveillantes » à découvert; et les restrictions à la capacité des dirigeants d’entreprise et des PDG de négocier des actions. Les activités de négoce d’actions sont toujours suspendues pour 17 pour cent des sociétés cotées en bourse.

L’intervention bancaire s’est effectuée par deux voies. L’argent a été fourni à la CSF pour prêter aux maisons de courtage et maintenir leur liquidité. Et la CSF devait acheter directement des actions dans des fonds communs.

Le magazine financier chinois Caijing a rapporté que les cinq plus grandes banques du pays étaient directement engagées dans l’opération, chacune fournissant 100 milliards de renminbi. Au total, 17 banques y ont participé. Les prêts octroyés se montèrent en tout à 1.300 milliard de renminbis.

Si l’intervention semble avoir stoppé la chute du marché, du moins pour le moment, ce que cela indique est cause d’inquiétude non seulement pour le marché chinois mais encore pour le système financier mondial.

La semaine dernière, Standard & Poors (S & P) a averti de l’éventualité de plus en plus forte de défauts sur la dette en Chine et sur le marché des obligations de pacotille aux États-Unis. Ces menaces constituaient un point « d’inflexion » dans le cycle financier. Le marché chinois de la dette des entreprises équivaut à 160 pour cent du produit intérieur brut du pays. Selon S & P, les entreprises auront besoin de vendre environ 57.000 milliards de dollars de dette sur les quatre prochaines années, 40 pour cent en provenance de Chine et 20 pour cent des marchés américains. Elle s’attendait à ce que le taux de défauts sur la dette s’accélérerait dans la période à venir.

Jayan Dhru, un analyste de S & P, a déclaré au Financial Times: « La croissance rapide de la dette, l’opacité du risque et la tarification [en raison de l’engagement des banques sur le marché], un rapport de la dette au PIB très élevé et le risque d’aléa moral du marché chinois, font qu’il y a un haut risque à créditer. »

L’aléa moral se réfère à ce que les investisseurs et les spéculateurs tiennent compte de ce que les autorités financières, les gouvernements et les banques centrales se tiennent derrière le marché et vont intervenir pour empêcher un effondrement, les encourageant à faire des investissements encore plus risqués à la recherche de rendements plus élevés.

L’analyse de S & P souligne les risques posés aux marchés par la montée en puissance du parasitisme financier. Elle dit que quatre des cinq nouveaux émetteurs de dette américaine de 2012 à 2014 étaient des sociétés cotées « B » émettant des obligations de pacotille à rendement élevé. Ces titres servent de plus en plus à financer le rachat d’actions et à ce que l’analyse appelle « des investissements moins productifs, » plutôt qu’à des dépenses en biens d’équipement pour développer l’activité productive.

Ces opérations spéculatives ont été alimentées par le régime des taux d’intérêt proches de zéro mis en place par la Réserve fédérale américaine (Fed) et d’autres grandes banques centrales et pourraient être en danger si la Fed décidait d’augmenter son taux d’intérêt de base, même faiblement.

Janet Yellen, la présidente de la Fed, a indiqué que celle-ci pourrait commencer à relever les taux d’intérêt dès septembre mais, désirant apaiser les marchés, elle a fait savoir que tout « décollage » serait très lent et que la politique monétaire resterait « accommodante. » Le problème, cependant, est que même avec ces assurances on ne sait pas vraiment combien d’opérations spéculatives peuvent être affectées par une hausse des taux d’intérêt.

Une hausse des taux d’intérêt conduisant à une baisse du prix des obligations (qui évolue dans une relation inverse par rapport à leur taux d’intérêt) pourrait entraîner une vente importante des obligations. Cela signifierait moins de liquidités sur le marché, menant à ce que les entreprises les moins bien notées, capables de lever des fonds en raison de l’argent facile, ne pourront plus avoir accès à l’argent comme dans le passé.

Selon Bank of America Merrill Lynch, environ $28 milliards ont quitté les marchés obligataires la semaine dernière, la plus grande sortie en deux ans. Ces sorties pourraient augmenter si les taux d’intérêt commençaient à augmenter.

Les marchés mondiaux ont, grosso modo, résisté à la tempête sur les actions chinoises. Mais une décision extraordinaire de la Banque mondiale la semaine dernière a montré la fragilité croissante du système financier chinois et les implications mondiales potentielles de cette fragilité.

Mercredi dernier, la Banque mondiale a publié un rapport sur l’état de l’économie chinoise dans laquelle elle mettait en garde de « la mauvaise performance du système financier » qui confirmait les évaluations précédentes. Le système était « déséquilibré, refoulé, coûteux à entretenir et potentiellement instable. » Le rapport soulignait encore « les risques découlant d’un gaspillage dans la gestion, le surendettement et un système bancaire parallèle faiblement régulé ». Elle y fait des commentaires critiques sur le niveau d’implication du gouvernement dans les marchés financiers.

Deux jours après la publication du rapport, les observations critiques étaient retirées.

Défendant la décision lors d’une conférence de presse vendredi, le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a déclaré que les commentaires supprimés n’avaient pas suivi les contrôles internationaux appropriés et avaient été publiés par erreur.

La conférence de presse de Kim, qui a eu lieu à Beijing, venait à la suite de réunions avec de hauts responsables du gouvernement chinois, dont le Premier ministre Li Keqiang, qui a directement pris en charge la crise du marché boursier, le ministre des Finances Lou Jiwei et le président de la Banque populaire de Chine, Zhou Xiaochuan.

Cependant, Kim a maintenu que la suppression des commentaires n’était pas due à des pressions exercées par le gouvernement ou les autorités financières chinoises. « La publication de cette section particulière était tout simplement une erreur, » a-t-il dit. « Il n’y a pas eu pression ou communication du tout avec le gouvernement chinois. »

Cette assurance sera vraisemblablement prise avec beaucoup de prudence.

Le directeur national de la Banque mondiale pour la Chine, Bert Hofman, a également tenté de calmer les inquiétudes, affirmant que les passages litigieux n’avaient pas suivi la filière de vérification appropriée. Il a nié toute pression du gouvernement chinois.

« Nous travaillons avec le gouvernement sur le secteur financier depuis de nombreuses années et le rapport ne reflétait pas complètement le type de discussions que nous avions eu avec le gouvernement, » a-t-il dit.

La Banque mondiale et le gouvernement chinois ont collaboré sur l’introduction de soi-disant réformes du système financier chinois dans le cadre d’efforts de la part de Beijing pour l’intégrer davantage aux marchés financiers mondiaux. Le boom du marché boursier, directement promu par le gouvernement qui a attiré des millions de petits investisseurs dans le marché du négoce des actions, faisait partie de ces efforts.

Cependant, l’intervention massive du gouvernement et des banques pour stopper l’effondrement du marché boursier pourrait porter atteinte à son programme à long terme.

Larry Fink, le dirigeant de BlackRock, le plus grand fonds spéculatif dans le monde, a averti que l’intervention du gouvernement chinois pour soutenir le marché boursier avait endommagé la réputation financière du pays et pourrait repousser les investisseurs institutionnels. « En mettant en place ces blocages et restrictions, il semble que les marchés soient artificiels, » a-t-il dit.

(Article paru d'abord en anglais le 20 juillet 2015)

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