Les confessions de Yanis Varoufakis: La pseudo-gauche en tant que type social

Yanis Varoufakis a démissionné en tant que ministre des Finances de la Grèce le 6 juillet. Il l’a fait en accord avec le premier ministre Alexis Tsipras dans le but de faciliter une capitulation rapide aux dirigeants de la zone euro qui voulaient qu’il soit remplacé. 

La veille, presque deux tiers des électeurs grecs avaient voté massivement «non» contre l’acceptation des exigences des créanciers internationaux de la Grèce pour les nouvelles mesures d’austérité. Tsipras avait l’intention de trahir ce mandat et rien ne devait l'empêcher d'atteindre ce but.

Depuis sa démission, Varoufakis a écrit et donné des interviews sur son rôle dans les discussions qui ont livré la classe ouvrière et la jeunesse grecques à la merci de l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (la troïka). Ses tentatives d’autoglorification prouvent que Varoufakis et Tsipras savaient qu’il serait impossible d’obtenir un compromis de la part des dirigeants de la zone euro sur l’austérité. Plutôt, ils ont gardé cette chimère en vie afin de neutraliser la résistance populaire aux diktats de la troïka, tandis qu’ils cherchaient à maintenir la position de la Grèce au sein de l’Union européenne au nom de la bourgeoisie grecque.

Le 13 juillet, le New Statesman a publié une interview exclusive avec Varoufakis, modestement intitulée «Notre bataille pour sauver la Grèce». L’entrevue a été rendue publique trois jours seulement après le vote au parlement (auquel ne s'est pas présenté Varoufakis) qui autorisait Tsipras et le remplaçant de Varoufakis, Euclid Tsakalotos, à négocier un nouveau plan de sauvetage avec les dirigeants de la zone euro. Varoufakis a néanmoins proclamé son soutien aux négociations.

L’Eurogroupe, a déclaré Varoufakis dans l’interview, est contrôlée «complètement et totalement... par le ministre des Finances de l’Allemagne. C'est comme un orchestre très bien réglé et c’est lui, le chef.» Il a décrit la position du ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble comme «constante du début à la fin. Son point de vue était: “Je ne vais pas discuter le programme”...»

Interrogé pour savoir si la France, qui a été dépeinte comme plus favorable à la Grèce, offrait une solution, il a répondu qu'«en dernière analyse, quand “le Docteur” Schäuble réagissait et dictait effectivement la ligne officielle, le ministre des Finances français finissait toujours par se plier à ses demandes».

Varoufakis aurait pu aussi bien parler de lui-même: des bruits d’opposition auxquels succède inévitablement la capitulation.

Lorsqu’on lui a demandé, «Alors, pourquoi continuer jusqu’à l’été?» Dans ces conditions, Varoufakis a répondu sans ambages que, quant à lui, «il n'y avait pas d'autre solution».

Le problème était que, «Les négociations ont beaucoup traîné, car l’autre côté refusait de négocier», a-t-il dit.

Lorsqu'on lui a demandé s’il avait essayé de travailler «avec les gouvernements d’autres pays endettés», Varoufakis a déclaré: «Dès le début, ces pays en particulier ont bien fait savoir qu’ils étaient les ennemis les plus énergiques de notre gouvernement. Et la raison en était, bien sûr, que leur plus grand cauchemar était notre succès: si jamais nous réussissions à négocier un meilleur accord pour la Grèce, évidemment cela les anéantirait politiquement, ils auraient à expliquer à leur propre peuple pourquoi ils n’avaient pas négocié comme nous l'avions fait.»

Interrogé enfin sur les perspectives de succès pour les négociations post-référendaires, il a répondu, «Je crois que ce sera encore pire.»

Varoufakis n’a rien dit de tout cela sur le coup. À chaque étape, au lieu de cela, lui et Tsipras ont soutenu que juste une dernière poussée a été nécessaire pour obtenir un accord – afin d’empêcher les travailleurs et les jeunes de tirer les conclusions politiques nécessaires.

De même, ils n’ont pas fait appel à la classe ouvrière en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Portugal, en Irlande et dans le reste de l’Europe pour qu'elle rompe avec ses propres gouvernements proaustérité corrompus. Faire cela aurait également obligé Syriza à «s'expliquer» auprès du «peuple» et risquer la colère de la bourgeoisie, soit «le plus grand cauchemar» de Syriza comme pour les gouvernements que Varoufakis condamne maintenant.

Parlant à «ABC Late Night Live» de l’Australie le même jour où l’article du New Statesman a été publié, Varoufakis a admis que lui et Tsipras avaient en effet prévu un «oui» au référendum, ce qui aurait permis à Tsipras de déclarer la défaite et d'accéder aux demandes de l’Eurogroupe.

«J’avais supposé, et je crois que le premier ministre aussi, que notre soutien et le vote pour le “non” auraient fondu de façon exponentielle. Mais le peuple grec a surmonté la peur, ils ont mis de côté leurs intérêts pécuniaires, ils ont ignoré le fait que leurs économies ne pourraient pas être accessibles, et ils ont donné un “non” retentissant et majestueux à ce qui était, tout compte fait, un ultimatum terrible de la part de nos partenaires européens», a-t-il dit.

Le soir du référendum, Varoufakis a dit: «Je voyageais sur un beau nuage poussé par de beaux vents de l’enthousiasme du public pour la victoire de la démocratie grecque au référendum.»

Cependant, «Au moment où je suis entré dans le bureau du premier ministre... j'ai tout de suite senti l'atmosphère de défaite, qui était complètement à l'opposé de ce qui se passait à l’extérieur.»

Ce qu’il décrit ici est la réaction horrifiée de la direction de Syriza qui venait de se rendre compte que la capitulation immédiate qu'elle avait prévue était gâchée. Même dans ce cas, Tsipras, comme Varoufakis le savait très bien, avait l’intention de suivre une version plus longue de la même ligne de conduite.

Selon son récit, «À ce moment-là je devais préciser au premier ministre: “Si vous voulez utiliser l'effervescence de démocratie à l’extérieur des portes de ce bâtiment, vous pouvez compter sur moi. Mais si, d’autre part, vous sentez que vous ne pourrez pas gérer une proposition irrationnelle de nos partenaires européens devant ce majestueux ‘non’, je vais tout simplement disparaître dans la nuit.”»

Tsipras, dit-il, «n’avait pas ce qu’il fallait, sentimentalement, affectivement, à ce moment, pour porter le vote du “non” à l’Europe et l’utiliser comme une arme».

Au lieu d’opposer Tsipras, et afin de faciliter une trahison, Varoufakis «a décidé de lui donner la marge de manœuvre dont il a besoin pour retourner à Bruxelles et conclure ce qu’il sait être un accord impossible. Un accord qui n’a aucune chance de réussir.»

Varoufakis a fini en comparant l’accord conclu au coup de 1967 qui a installé le régime des généraux – seulement cette fois-ci réalisé avec les banques plutôt qu’avec les chars – avant de souligner le danger des conséquences politiques:

«Au Parlement, je vois le côté droit de l’auditorium où siègent 10 nazis qui représentent l'Aube dorée. Si notre parti, Syriza, qui a cultivé tant d’espoir en Grèce... si nous trahissons cette espérance et nous inclinons devant cette nouvelle forme d’occupation postmoderne, alors je ne vois pas d’autre issue possible que la poursuite du renforcement de l'Aube dorée. Ils hériteront du rôle dirigeant dans la campagne anti-austérité, tragiquement.»

Et il explique ceci tout en décrivant au New Statesman qu'il «se sent sur le toit du monde» et «soulagé de ne pas avoir à maintenir plus longtemps cette pression incroyable à négocier une position que je trouve difficile à défendre».

Contrairement aux travailleurs et aux jeunes Grecs, il peut éventuellement se permettre d’être joyeux quant à la perspective d’un mouvement fasciste renaissante.

Varoufakis fait partie de la couche sociale privilégiée pour laquelle Syriza parle et dont les intérêts sont liés à l’exploitation capitaliste continue de la classe ouvrière. Si la défense du capitalisme exige à un moment donné le déchaînement de la violence de l’État ou de l’utilisation des bandes fascistes, ceux qui sont dans les rangs de Syriza n’hésiteront pas à le faire.

Quant à Varoufakis, si l’expérience passée est un guide, alors lui et sa femme, Danae Stratou, transféreraient probablement leurs millions d’euros d’actifs à l’étranger et puis ils suivront leur argent. Après tout, il l’a fait tant de fois auparavant.

Dans une esquisse biographique sur son blogue, il explique que lorsqu'il était adolescent, «Étant donné que les étudiants étaient les premiers et les principaux objectifs des forces militaires et paramilitaires, mes parents ont déterminé qu’il était trop risqué pour moi de rester à l’Université en Grèce. Alors, je suis parti, en 1978, pour étudier en Grande-Bretagne.»

Sa «rupture avec la Grande-Bretagne, poursuit-il, a eu lieu en 1987 dans la nuit de la troisième victoire électorale de Mme Thatcher. C'était trop difficile à supporter. Bientôt, j'ai commencé à planifier mon évasion...»

Il est retourné en Grèce depuis Sydney en Australie en 2002, devenant un conseiller au dirigeant de PASOK, George Papandreou. Cependant, «Peu de temps après l’implosion de la Grèce... tout ce que j’avais aidé à créer à l’Université d’Athènes s’est effondré», «mon salaire a diminué» et «des membres de ma famille ont été menacés de mort parce que je tenais à discuter publiquement de derniers scandales des banquiers grecs... Pris ensemble, ces trois facteurs indiquaient qu'il était temps de quitter la Grèce à nouveau» – cette fois-ci à destination d’Austin au Texas.

Les commentaires de Varoufakis sont bien plus révélateurs que ses propres penchants politiques. Il était, après tout, jusqu’à récemment presque universellement salué par les groupes de la pseudo-gauche, et il l’est encore par beaucoup.

Paul Mason, rédacteur économique au bulletin de nouvelles de Channel 4 au Royaume-Uni et un ancien membre dirigeant du groupe Workers Power (Pouvoir ouvrier), a écrit la préface d’une édition récemment publiée du livre de Varoufakis: Le Minotaure planétaire. Il décrit comment son «franc-parler a changé le modus operandi des sommets de l’Euro, probablement pour toujours», et comment il a «mis à nu le problème central de l’économie mondiale».

Il poursuit: «Nous ne savons pas comment la lutte entre Syriza et la zone euro prendra fin, mais nous pouvons être certains qu’il y aura un compromis. Les politiciens vivent dans un monde de compromis, à l'opposé des théoriciens. Mais, au final, la gauche radicale saura ce que cela signifie de se battre pour un nouveau type de capitalisme plus juste, face à la résistance de l'ancien type.»

Mason reflète fidèlement la fascination exercée sur la pseudo-gauche par Varoufakis et le reste des dirigeants de Syriza. Les gens de la pseudo-gauche admirent leur volonté de «vivre dans un monde de compromis» et ils souhaitent les imiter en décrochant eux aussi un rôle dans le gouvernement.

Même s'ils ne sont peut-être pas aussi riches ou couronnés de succès que Varoufakis, ils viennent de la même couche sociale et ils veulent aussi créer une «nouvelle sorte de capitalisme plus juste»: un capitalisme dans lequel les super riches, le un pour cent, donnent aux 10 à 20 pour cent les plus riches de la population une part plus grande du gâteau économique en échange de leur rôle visant à, dans les mots de Varoufakis, «sauver le capitalisme de lui-même», ou, pour être plus précis, d’un défi révolutionnaire de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 20 juillet 2015)

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