Le ministre des Finances du Canada reconnaît qu'il y a un ralentissement économique marqué

Le ministre des Finances du nouveau gouvernement libéral du Canada Bill Morneau a présenté «la mise à jour financière automnale» annuelle de son ministère vendredi. Celle-ci révèle que l'économie et les finances du gouvernement fédéral du Canada se sont toutes deux fortement détériorées depuis que les conservateurs ont présenté leur budget en avril dernier.

La croissance économique, estimée à 2 pour cent pour l'année lors du budget du printemps, devrait maintenant n'être que de 1,2 pour cent seulement selon les prévisions. Les conservateurs avaient prévu un excédent de 2,4 milliards $ pour l'exercice financier 2015-2016. Avant même de prendre en compte la moindre promesse électorale des libéraux, Morneau affirme que le gouvernement prévoit maintenant un déficit de l'ordre de 3 milliards $.

Le Canada a connu une récession au cours des six premiers mois de 2015. Les chiffres présentés par Morneau montrent une contraction du PIB de 0,8 pour cent au premier trimestre et de 0,5 pour cent au second. «Pour l'avenir, les risques pour les perspectives canadiennes demeurent prépondérants», a-t-il déclaré en conférence de presse vendredi.

Les conservateurs ont affirmé avoir mis le Canada sur la voie de l'équilibre budgétaire, mais cette mise à jour budgétaire montre que, même si aucun des plans de dépenses des libéraux n'est adopté, Ottawa continuera d'accumuler des déficits pour les trois prochaines années.

Ancien PDG de caisse de retraite multimillionnaire qui entretient des liens étroits avec Bay Street, Morneau a reconnu que la croissance de l'économie canadienne serait anémique pour les quatre prochaines années, affichant un taux de croissance annuel d'à peine plus de 2 pour cent pour n'importe quelle année. 

Le nouveau ministre des Finances attribue le ralentissement de l'économie canadienne à la détérioration des conditions mondiales et mentionne que les autres pays ont signalé faire face à des défis similaires au récent sommet du G-20 en Turquie, où il était présent en compagnie du premier ministre Justin Trudeau.

L'économie canadienne a été durement touchée au cours de l'année écoulée par la crise mondiale grandissante du capitalisme, notamment par la forte baisse des prix du pétrole et des autres matières premières. Dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008, le gouvernement conservateur de Stephen Harper comptait beaucoup sur une forte croissance et d'importants investissements dans les provinces productrices de pétrole de l'Alberta et de la Saskatchewan pour propulser l'économie et stimuler l'importance géopolitique du Canada sur la scène mondiale comme une soi-disant «superpuissance énergétique».

L'effondrement des prix du pétrole qui était à plus de 100 $ le baril a vu l'économie albertaine tomber en récession cette année. Celle-ci affichait des taux de croissance de 3 et 4 pour cent respectivement en 2013 et 2014.

La forte dépendance de l'économie sur le pétrole en général a été montrée symboliquement la semaine dernière lorsque le dollar canadien a glissé en dessous de 0,75 $ US le même jour où le brut chutait en dessous de 40 $ US le baril.

L'Association canadienne des entrepreneurs en forage pétrolier a rapporté la semaine dernière que les projets de forage étaient en baisse de 58 pour cent cette année. Entretemps, des milliards de dollars en investissements pour divers projets d'exploitation des sables bitumineux en Alberta ont été mis en veilleuse. Le mois dernier, la pétrolière Shell a subi une perte de 2 milliards $ et a annoncé qu'elle interrompait ses travaux sur son projet d'extraction de 80.000 barils de pétrole par jour des sables bitumineux à Carmon Creek, en Alberta. Enbridge a pour sa part annoncé 500 suppressions d'emplois la semaine dernière et Husky est en voie de licencier 1400 travailleurs à l'échelle mondiale depuis la fin octobre, la plupart des suppressions de postes étant au Canada.

L'énorme réduction de l'activité dans le secteur de l'énergie a causé une forte augmentation du chômage en Alberta. En septembre, il y avait deux fois plus de travailleurs sur l'assurance-emploi dans cette province par rapport à l'année précédente.

Trudeau et ses libéraux du monde des affaires forment un gouvernement majoritaire depuis qu'ils ont remporté l'élection du mois dernier. Lors de la campagne, ils ont évoqué hypocritement les préoccupations et la colère de la population quant à l'économie et aux inégalités sociales croissantes.

La pièce maîtresse de leur plate-forme économique est un plan pour «relancer» l'économie en augmentant les dépenses d'infrastructure. Cet objectif devrait être atteint en autorisant trois années de déficits atteignant jusqu'à 10 milliards $ lors de chacun des deux premiers exercices financiers du régime libéral, puis d'un déficit de 5 milliards $ lors du troisième. Les libéraux ont aussi promis de trouver au moins 6 milliards $ par an en économies de façon à équilibrer les livres en 2019-2020.

Lors de la conférence de presse de vendredi, Morneau a soutenu que les libéraux allaient aller de l'avant comme promis dans les dépenses d'infrastructure, tout en esquivant les questions quant à ce que cela signifierait pour leurs limites de déficit annoncées précédemment.

Même si les libéraux mettent en œuvre leur programme d'infrastructure en entier, les dépenses supplémentaires se révéleront à peine plus grosses qu'une goutte dans l'océan. Selon les prévisions les plus optimistes, le stimulus ajouté augmentera le PIB d'un maigre 0,5 pour cent. D'autres économistes estiment que la hausse du PIB annuel ne sera que de 0,2 ou 0,3 pour cent.

Plus fondamentalement, il n'y a aucune perspective de reprise durable pour le capitalisme mondial. L'économie canadienne poursuivra donc sa stagnation actuelle ou connaîtra au mieux une croissance minimale puisqu'elle est fortement tributaire des prix élevés des matières premières nécessaires pour alimenter la croissance en Chine et ses exportations vers les États-Unis. En dépit d'une dépréciation significative de la valeur du dollar canadien au cours des deux dernières années, les exportateurs canadiens continuent néanmoins de perdre des parts de marché aux États-Unis, en particulier au profit de la Chine et du Mexique.

C'est là une réalité que la bourgeoisie désormais admet ouvertement. Un document de recherche publié par la Banque du Canada la veille de la mise à jour budgétaire de Morneau fait référence au ralentissement de la croissance comme «une nouvelle norme». Reconnaissant que la reprise dans le sillage de 2008 a été très faible, les auteurs du document écrivent : «Toutes choses bien considérées, il apparaît de plus en plus que sous l'effet conjugué de facteurs cycliques et structurels, la croissance des économies avancées pourrait demeurer modérée dans un proche avenir en regard de la moyenne enregistrée avant la crise.» L'étude soulève la possibilité que le Canada adopte des mesures non conventionnelles, notamment l'assouplissement quantitatif tel que pratiqué par la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne.

La mise à jour financière de Morneau reflète largement les chiffres présentés plus tôt ce mois-ci par le directeur parlementaire du budget (DPB). Le DPB a averti que la détérioration de la situation budgétaire du gouvernement menaçait la promesse des libéraux d'équilibrer le budget dans la quatrième année de leur mandat. «S'ils maintiennent le plan qu'ils ont annoncé, sur la base de nos prévisions, il sera difficile de parvenir à un équilibre pour 2019-2020», a déclaré le directeur parlementaire adjoint du budget Mostafa Askari.

Lors de sa conférence de presse vendredi, Morneau a réaffirmé l'engagement des libéraux d'équilibrer le budget d'ici à 2019, faisant référence à plusieurs reprises sur la nécessité d'adopter une approche «prudente». Il a promis en outre que les libéraux feront en sorte que le ratio dette-PIB diminue chaque année de leur gouvernement. Étant donné que les déficits budgétaires plus élevés sont désormais inévitables, si les libéraux mettent en œuvre leur plan d'investissement dans l'infrastructure, cela ne peut signifier que des mesures d'austérité encore plus sévères seront imposées.

Que les libéraux aient réussi à vendre leur programme réactionnaire aux électeurs comme une alternative «progressiste» au mantra du budget équilibré claironné par Harper et le chef du NPD Thomas Mulcair en dit long sur à quel point les campagnes des conservateurs et des néo-démocrates étaient à droite.

En plus des réductions de dépenses s'élevant à des milliards de dollars que le gouvernement Trudeau s'est engagé à effectuer, son programme de droite est illustré encore plus par son engagement à respecter le cadre financier réactionnaire créé par des décennies de réductions d'impôts massives accordées aux grandes entreprises et aux riches et de compressions des dépenses sociales.

Lors de la récente campagne électorale, Trudeau a catégoriquement rejeté toute idée d'augmentation des impôts sur les sociétés, tout en justifiant une petite augmentation des impôts du 1 pour cent supérieur des revenus en évoquant le motif qu'un système fiscal «plus juste» empêcherait les Canadiens de se tourner vers des options plus «radicales».

Quant à la «réduction des impôts de la classe moyenne» des libéraux, celle-ci va en grande partie bénéficier aux sections les plus privilégiées de la classe moyenne. Près des deux tiers des Canadiens – ceux dont le revenu imposable est de moins de 45.000 $ – ne recevront pas un sou de cette réduction d'impôts. Environ la moitié du total des «économies» reviendra aux revenus et salaires situés entre les 90e et 99e centiles les plus élevés.

De vastes sections de l'élite dirigeante sont entièrement en accord avec le plan libéral qui prévoit un déficit des dépenses gouvernementales. Après que la Banque du Canada ait procédé à deux baisses de taux d'intérêt en moins de six mois, réduisant de moitié le taux de prêt de base de 1 à 0,5 pour cent, l'élite dirigeante croit que c'est maintenant au tour du gouvernement de prendre des mesures pour augmenter les profits des entreprises. Comme le Financial Post droitiste le reconnaissait le mois dernier: «Nous ne pouvons pas continuer à compter sur la Banque du Canada pour faire le gros du travail.»

Plusieurs facteurs pointent vers un risque de plus grande instabilité économique encore pour la période à venir. Il est maintenant généralement reconnu que la reprise du prix du pétrole sera encore plus lente que ce qui était précédemment supposé. Le prix du baril ne devrait pas dépasser 60 $ avant 2018.

Il y a aussi de vastes préoccupations quant à la possibilité d'une «correction» grave du marché immobilier, considéré comme très gonflé, en particulier à Toronto et à Vancouver. Une forte réduction des prix de l'immobilier aurait de graves conséquences étant donné que la dette des ménages, représentant maintenant plus de 160 pour cent du PIB, est à un niveau sans précédent et parmi les plus élevés au monde.

(Article paru en anglais le 23 novembre 2015)

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